Faut-il débaptiser le « travail » ?

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Le travail a fait souffrir

Souffrir au « travail », voilà une idée qui ne posait aucune … « question » voici quelques siècles. Enfin, aucune « question », si je puis dire, au temps où le mot « travail », du latin tripalium : racine trav provient de trab, trabis : « poutre », désignait un instrument d’immobilisation à trois pieux utilisé à des fins de torture, la question y était associée. C’était aux environs du XII° siècle, époque où il valait mieux ne pas connaître les effets du bois vert plus que les crépitements du bois sec.

Plus tard, le travail servait toujours à immobiliser, mais des animaux, notamment chez le forgeron. Durablement, la souffrance a été liée au travail. Naturellement ou culturellement. Les deux mots étaient associés. Travailler, c’était l’oeuvre des « hommes de peine ».

Le travail fait souffrir mais il en résulte une nouveauté

C’est l’époque des transformations, de l’industrialisation, on va tous ensemble au turbin (mot qui semble fait sur la racine latine turba (foule)). Cette souffrance qui se transforme n’est pas seulement collective. Lors d’un accouchement, quand le travail commence, c’est un mauvais moment pour la future mère. Il faut immobiliser une femme enceinte, parfois forte, pour l’aider à accoucher. Cette immobilisation vaut travail : une torture, de la souffrance, pour donner naissance. Cette transformation de l’état de souffrance à la joie a souvent inspiré : il faut souffrir pour être belle, un mal pour un bien, travailler, prendre de la peine, c’est le fond qui en manque le moins, etc. Pendant des lustres, un travail sans désagrément n’était guère concevable. Le temps vint cependant de la quête de l’accouchement sans douleur. L’énoncé biblique y perdit de sa saveur : tu ne seras plus contrainte à enfanter dans la douleur.

D’ailleurs, n’est-ce pas toute peine qui mériterait salaire ? Depuis quand rémunérerait-on un moment répété qui fut aussi récréatif ?

Avec la laïcité, les temps ont changé. Le travail est devenu un droit plus qu’une contrainte. Ce changement a été accompagné d’un paradoxe avec la crainte du chômage : avoir de la peine de ne pas avoir de travail

Ainsi, c’est de ne pas avoir de travail qui maintenant fait souffrir.

Hé oui, logiquement, le travail ne devrait plus faire souffrir. Mais que vaudrait ce travail où l’éventuelle sueur de son front serait pour tous un plaisir de footballeur ? D’évidence, si l’on prend cette mesure comme référentiel, alors il faut payer plus cher celui qui prend du plaisir à faire ce qu’il fait plutôt que celui qui souffre de le faire… La liberté est plus rémunératrice que la soumission : tout un programme…

Le travail ne doit plus faire souffrir

Quelques décennies après les recherches en obstétrique, la vie professionnelle ne doit plus être un désagrément de l’existence. Il est illégal de faire souffrir par le travail, voire de souffrir au travail. Désormais, depuis l’article L4121-1 du code du travail, la souffrance doit disparaître de l’environnement professionnel.

L’employeur est tenu responsable des peines qu’il n’aurait pas connues ou été amené à connaître. Il doit s’intéresser en amont à ce qui pourrait nuire à la santé physique ou mentale d’un salarié. Aller au travail ne doit plus être comparable à aller au chagrin. Fini. De là à dire qu’on changerait le mot travail par celui de loisir, c’est encore un peu trop tôt peut-être. Avec cela, le législateur n’a pas peur d’envisager de prolonger les rendez-vous ritualisés au travail en prolongeant soit ici le temps de travail, soit là le temps de cotisation.

Faut-il débaptiser le « travail » pour l’adapter à la conception contemporaine ?

Quel mot choisir pour bien désigner ce que le travail doit être ? Pourra-t-il conserver ce souvenir étymologique sans risquer de revenir à ses sources ? L’éducation sous influence biblique indique que la souffrance fait partie de l’existence. Le défi de l’humain au monde divin aurait créé une rupture. La conscience des souffrances et de leur durée auraient été la punition. Terminé le paradis. Le travail en serait une conséquence. Mais au XX° siècle, le travail est considéré comme un moyen, pas une fin. Le travail doit au mieux être agréable, au pire ne pas être désagréable : la responsabilité revient bien moins à celui qui le choisit qu’à celui qui le propose.

Une mesure efficace pour prévenir les difficultés et être attentif à ce qui peut nuire à la vie professionnelle

L’imagination galope pour trouver les bonnes astuces pour remplir cette incroyable obligation de résultat : personne ne doit plus souffrir de travailler. En tout cas, en France. Il y a eu l’ère du travail, voici l’ère du ludisme. Cette évolution du droit de vivre tourné non plus vers la peine mais vers le plaisir n’est pas sans difficulté. Comment faire pour s’assurer que la personne recrutée est bien en adéquation de compétences et plaisirs avec le poste à pourvoir ? Comment être certain que cette gageure ne sera pas mise en cause dans le temps à l’insu de la personne elle-même et donc de l’employeur ?

Le service de la médiation professionnelle au renouveau du travail

Le seul moyen qui apparaît efficace dans cette perspective est de penser autrement les relations au sein des organisations. Ca fait plus de vingt ans que je participe à faire réfléchir les dirigeants : on ne manage plus comme au temps du service militaire obligatoire. La mise en place de référent médiation professionnelle au sein des organisations est un moyen simple et efficace pour permettre à tous les salariés d’avoir un interlocuteur indépendant, neutre et impartial. Ce référent doit être formé à la médiation professionnelle.

Selon l’importance de l’entreprise, plusieurs médiateurs professionnels peuvent être identifiés parmi les salariés : c’est le travail préalable qui ne nécessite pas un investissement aveugle comme avec les questionnaires des RPS et autres QVT. L’accompagnement est instauré au moyen d’un engagement éthique, par Contrat Cadre éthique et médiation ou convention simplifiée de ViaMediation.

Cette intégration au sein des organisation de la médiation professionnelle permet d’accompagner les salariés à tout moment de leur vie professionnelle. C’est l’intégration d’une démarche éthique. Elle répond à l’obligation actuelle des entreprises en terme de prévention des risques professionnels, notamment des difficultés relationnelles et de la vigilance sur la souffrance en milieu professionnel. Cette réponse est facile à mettre en place et elle est aussi très anticipatrice. Soutenue par la Chambre Professionnelle de la Médiation et de la Négociation, elle reste à la portée de toute organisation.

 

5 Commentaires
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[…] mois, j’ai discuté sur la notion de “travail” et j’ai questionné “Faut-il débaptiser le “travail”“. La réponse n’est pas gagné si l’on en croit l’étude complaisante, […]

Christian MARIAUD
Christian MARIAUD
10 années plus tôt

L’approche de Jean-Louis reprenant l’étymologie du mot travail est très intéressante. Personnellement, j’y apporterais un complément historique pour rappeler que depuis l’origine, l’homme répartit son temps de vie éveillé entre d’une part la production de ses moyens de subsistance et d’autre part des activités sociales, culturelles, ludiques et relationnelles. A remarquer que les latins distinguaient l’activité elle-même (opera) et la forme dominante de travail à l’époque qui était soit agricole ou militaire pour les hommes soit l’accouchement pour les femmes (labor).   Dans la démocratie athénienne antique, la citoyenneté et la qualité d’homme n’étaient pas associées au travail que seuls… Read more »

Jérôme Messinguiral
Admin
10 années plus tôt

Bonjour Martine, les conventions ViaMédiation et le Contrat Cadre Ethique et Médiation viennent répondre à ce référentiel pour les organisations pour mettre au cœur de la culture d’entreprise la qualité relationnelle 

Martine GIRAUDY-ROBERT
10 années plus tôt

Merci Jérôme. Je dois encore convaincre…Nous nous verrons au symposium 2013.

Martine GIRAUDY-ROBERT
10 années plus tôt

Je viens de lire très attentivement ce nouvel article de JLL car ce sujet est effectivement de grande importance. Les constats de « souffrance au travail » sont également connus dans les secteurs de l’informatique et dénoncés récemment par un Syndicat ! La problématique du ‘middle management’ et de l’adéquation entre les compétences recherchées et celle retenues lors des entretiens d’embauche par les ‘commerciaux en charge de la recherche de ressources génèrent souvent de la souffrance au travail pour le recruté à qui l’on demande des exercices hors ses connaissances…Mais maintenant le terme SSII est remplacé par ESN et la mise en… Read more »