Ethique et déontologie en médiation, l’indépendance n’est pas un statut mais une posture, pour les nuls

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Pour une différence entre droit et déontologie

Casse tête et médiationRevenons à la première confusion. Qu’est-ce que l’indépendance ? En terme de déontologie, il s’agit d’un principe. Le professionnel indépendant sur le plan déontologique fait son travail au regard des règles de son art, sans qu’une autorité tutélaire puisse venir lui demander de modifier son processus ou de l’orienter au nom d’intérêt ou d’enjeu de quelle nature que ce soit. Le professionnel exerçant en indépendant n’apporte pas son concours à une démarche parce qu’elle aurait été décidée antérieurement à son intervention.  Le professionnel indépendant ne répond pas à des sollicitations d’allégeance.

On peut comprendre alors que l’intervention d’un médiateur professionnel ne saurait être encadrée par des impératifs règlementaires. Ce médiateur ne saurait être mis en situation de faire des rappels à la loi, à la morale, voire à l’ordre public. Ce n’est pas son affaire. Il y a le monde des juristes qui est fait pour cela, avec policiers, gendarmes, avocats, juges, huissiers, notaires, etc. Les procureurs sont  assistés par des porte-paroles nommés « médiateurs du procureur de la république » (médiateurs pénaux). Ces « médiateurs » ont un lien de subordination avec le procureur de la république ; d’une autre façon, le « médiateur familial » exerce sous contrôle du juge aux affaires familiales. Ce médiateur là s’en tient à la représentation officiel de son rôle : se substituer au juge pour « protéger » les intérêts de l’enfant et de l’époux le plus faible, niant au passage la capacité des parents eux-mêmes. Le système de médiation familial entretient le système de la mise sous tutelle des personnes qui ont vécu un conflit, comme ci le différend avait eu pour conséquence d’altérer leur capacité de décider.

La plupart des médiateurs exercent dans un rapport de subordination et exerce une autorité d’influence sur les personnes qu’ils reçoivent. Ils ne peuvent imaginer exercer en dehors d’un cadre, tant ils ont le sentiment d’insécurité pour eux mêmes. Or, précisément, le métier de médiateur est un travail de funambule, pratiqué sur la corde raide tendue entre l’émotion et la raison. Seuls les « médiateur professionnel » (CPMN) savent conduire une discussion pour permettre aux parties de trouver des terrains d’entente sans exercer de censure. Les parties peuvent ainsi en venir à reprendre leur relation, l’aménager ou la rompre, selon les trois issues que j’ai identifiées pour conduire une médiation professionnelle. Sur le chemin de Descartes, ils aident les personnes à mieux ordonner leurs idées, à les structurer, pour trouver quelque chose de plus solide dans leur relation. A défaut de trouver cela, les médiateurs professionnels aident les parties à choisir comment rompre dans les conditions les moins insatisfaisantes possibles. Parfois, quel que soit le cas, ils accompagnent des accords intermédiaires, ce qui est inimaginable pour les professionnels du contentieux pour lesquels une médiation doit nécessairement se clore par un écrit qui scelle un accord affirmé comme définitif.

Ainsi, l’indépendance d’un médiateur professionnel n’a rien à voir avec qui paie sa prestation. Un médiateur professionnel peut être salarié d’une organisation. Dans le cadre de l’exercice de sa mission, il est indépendant de tout commanditaire, sinon il pourrait bien devenir une autre partie au conflit. Il n’est pas plus le porte parole des uns que des autres. Il ne préconise pas l’application du règlement intérieur, celui-ci relevant du champ disciplinaire auquel le médiateur professionnel ne saurait se référer.

Le médiateur professionnel est indépendant quels que soient les acteurs en présence et les attentes organisationnelles affirmées. Sa technicité, avec les savoir faire d’altérité, et son engagement éthique et déontologique, lui permettent d’intervenir auprès de confrères susceptibles d’être engagés dans des différends. Parce que contrairement aux autres tiers, le médiateur professionnel n’obéit pas. Il n’est pas l’instrument d’une rémission, pas plus que d’une recherche de docilité. S’il applique rigoureusement son processus de résolution des différends, il ne peut intervenir sur la façon de penser et de décider des protagonistes. Il est l’accompagnateur d’une réflexion en vue d’une définition d’un projet et d’une prise de décision.

A titre d’exemple : un médiateur qui demande à un de ses confrères de changer le contenu d’un document de médiation (rapport de mission) parce qu’il craint de perdre le client qu’il a par ailleurs en tant que consultant ne saurait être médiateur professionnel. Cette allégeance témoigne d’une absence totale d’indépendance. Si le médiateur exerce en étant tenu de faire un rappel au règlement intérieur d’une organisation, il n’est pas indépendant et ne saurait être « médiateur professionnel ».

C’est avec cette identification de l’indépendance que l’on retrouve les deux courants de la médiation :

  1. la médiation pour inciter les personnes à se conformer. Cette médiation, lorsqu’elle est pratiquée sournoisement, si elle correspond à un fantasme moralisateur, est contraire à la déontologie.
  2. et l’autre médiation, la médiation professionnelle. Elle se distingue par le recours à la raison et conduit sur les chemins de la réflexion. Elle n’est pas compromissoire ; elle permet d’impliquer les personnes fourvoyées dans un conflit de faire valoir le principe de sauvegarde de leur libre arbitre

L’indépendance est exigeante parce qu’elle impose une discipline.

En indiquant, par ailleurs, que l’on peut être subjectif mais indépendant, on peut mieux cerner encore la signification de ce principe. Le principe d’indépendance implique que chacun est libre de ses idées. Le médiateur professionnel a son référentiel déontologique qui encadre les règles de son art.

En conséquence, un médiateur appartenant à une institution telle que la CPMN est tout à fait habilité à intervenir dans des conflits entre des médiateurs de la CPMN, tel que prévu dans le Code d’éthique et de déontologie, le CODEOME. La CPMN n’est pas une autorité de tutelle, mais une organisation garantissant précisément l’indépendance, l’impartialité et la neutralité de ses membres.

J’espère que cet article permettra à ceux qui n’y voient pas très clair de mieux comprendre déjà ce qu’est l’exigence de l’indépendance.

Article suivant : le 10 janvier, l’indépendance n’est pas l’impartialité, pour les nuls

Dossier sur l’éthique et la déontologie en médiation, pour les nuls

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