Ethique et déontologie en médiation, la médiation professionnelle pour les médiateurs nuls en médiation

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Pour ceux dont le référentiel est celui de l’adversité, les choses ne sont pas toujours compréhensibles concernant l’éthique et la déontologie en médiation. J’ai souhaité poursuivre avec Jean-Louis Lascoux la discussion sur l’éthique et la déontologie en médiation pour les nuls.

Voici le contenu d’un échange que j’ai eu avec lui sur l’application du Code d’éthique et de déontologie des médiateurs professionnels, le CODEOME, dans des contextes de différends éventuels lorsqu’un membre de la CPMN est impliqué.

Quid de l’indépendance,  de l’impartialité et de la neutralité des médiateurs de la CPMN ? Ce sujet a déjà été abordé, mais reprenons la question : pouvons-nous considérer que le fait d’être membre d’une même organisation professionnelle peut porter atteinte à l’indépendance posturale de ses membres ? Peut-on considérer que le fait d’être membre de la CPMN peut-être créateur d’un lien de subordination ou d’un conflit d’intérêt ? Quelles seraient les incidences sur la médiation ?

Une situation pour lancer la discussion

Pour bien gratiner la situation, je prends une situation de conflit entre des personnes toutes formées à la médiation à la même école, l’EPMN. Deux d’entre-elles s’approprient un produit destiné à des entreprises et la clientèle qui est déjà dans le giron. Plusieurs éléments (articles de presse, témoignages, contrats…) attestent des faits. Chacun peut avoir des sentiments de légitimité. Les trois invariants de la relation conflictuelle sont réunis :

  • le lien juridique (c’est ce qui permet d’identifier la nature de la relation)
  • le préjudice pour le technique (c’est l’ensemble des aspects matériels, évaluables, quantifiables, mesurables…)
  • et la motivation émotionnelle pour dynamiser le conflit (c’est ce qui donne la mesure de l’implication pour agir)

On reste logique en médiation professionnelle, le dispositif est prévu par le CODEOME, un médiateur est mandaté. Y aurait-il cependant un danger ? Le médiateur fait parti de la CPMN, soit la seule organisation de médiateurs professionnels. Alors ?

Soudain,  les deux personnes en cause s’interrogent sur l’indépendance du médiateur. Dans les articles précédents, il y a de quoi démêler tout cela. Mais, pour faire simple, qu’en est-il dans cette affaire ?

La question pourrait sembler absurde, tant la posture d’un médiateur professionnel est précisément la marque spécifique de son professionnalisme. Alors, est-ce une « bonne question » ? Est-ce une affabulation fondée sur une crainte ? Est-ce un a priori de ne pas pouvoir faire face à une relation, avec un aveu implicite de faiblesse ? Est-ce la trace de la faiblesse mentale qui précisément empêche la médiation ? Est-ce autrement mieux fondé ?

Un médiateur professionnel ne fait pas allégeance à une organisation

La réponse est nette : le fait d’être membre de la CPMN apporte des garanties pour les clients de la médiation : le respect d’une éthique et d’une déontologie stricte. Réfléchissons. La posture du médiateur professionnel est une constante (cf. le CODEOME), il est indépendant relativement à toute autorité et il n’a aucun lien de subordination avec qui que ce soit dans l’exercice de ses missions. Le rapport qu’il entretient avec la CPMN est celui d’une adhésion à une éthique et une déontologie qui l’oblige à une rigueur, pas à celui d’une allégeance à une autorité.

Le médiateur professionnel est tenu par son processus et, en admettant qu’il ait affaire à des personnes aussi compétentes que lui en médiation, mais empêtrées dans un différend, il serait tenu à son processus. Ses collègues seraient attentifs à un bon déroulement et, s’il faisait quelques incartades, le rappelleraient aux fondamentaux. Ils sauraient s’aider mutuellement. A moins. A moins d’incompétences ou de faiblesse mentale avérée.

Dans tous les cas, la dépendance du médiateur serait aisément identifiable et n’apporterait rien en terme d’efficacité. Les parties pourraient même utiliser leur collègue pour avancer quoi qu’il en soit vers la résolution du différend, en lui signalant ses maladresses. Donc, rien à craindre en réalité.

Quels risques si une certaine partialité s’exprimait malgré tout dans la médiation de la part du médiateur professionnel ?

Admettons cependant qu’au cours de la médiation, le médiateur professionnel ne sache pas se retenir d’exprimer son parti pris. S’il en venait à le faire, il ne pourrait qu’exaspérer la partie mise à son index et celle-ci serait à même d’interpeller le maladroit. La partialité est  un parasite de la conduite de la réunion, mais elle est si facilement identifiable, a fortiori par des médiateurs, même prétendus, qu’il n’y a aucune crainte à avoir sur le résultat de la médiation. Dans cette situation à plus forte raison, l’accord ne peut être déterminé par le manque d’impartialité du médiateur. Connaissant le processus, la partie en cause pourrait le ramener vers son objectif.

Pour que le parti pris soit conçu comme opérant, il faudrait que le médiateur ait une intervention à l’insu de la partie craintive. Autrement dit, l’intervention relèverait d’une manipulation dolosive face à une partie faible mentalement, incapable de suivre un raisonnement. La médiation ne pourrait en conséquence aboutir, puisqu’aucun accord fiable ne pourrait être passé. Donc, dans la réalité, le parti pris ne saurait être opérant quant au résultat.

Que fait un médiateur professionnel qui se retrouve partie prenante d’une médiation.

Imaginez qu’étant médiateur professionnel,vous vous retrouvez en médiation. Le tiers commence à dérouler un processus structuré que vous connaissez. Tout le monde est donc bien informé. Quels risques alors, si ce n’est de montrer qu’on est en conflit et qu’on se comporte comme des personnes en conflit. Certes, la connaissance du processus est là, mais n’est-ce pas un avantage ? Le processus est ancré en vous. Si un élément du processus pêche, ou si la posture du médiateur faiblit, comment allez-vous réagir ?

  1. Laisser faire en vous disant que ce médiateur est dans une situation délicate face à cette assemblée en affrontement
  2. Chacun ses responsabilités, s’il ne sait pas faire, je tempête, voire je m’en vais
  3. Faire en sorte de corriger la maladresse pour que le processus aboutisse, parce qu’il y va aussi de votre intérêt de mettre un terme à ce conflit

Donc si le médiateur était partial, le processus ne serait pas impacté, parce qu’il y aurait dans la salle suffisamment de personnes formées à la médiation pour que ça ne soit pas le cas. Quant au résultat de la médiation, la seule chose qui pourrait faire qu’un accord soit signé au dépend de l’une des parties seraient sa faiblesse mentale, or on n’imagine pas que des personnes exerçant en médiation puisse avoir ce type de faiblesses.

Avec ce travail de clarification réalisé dans ce dossier sur l’éthique et la déontologie en médiation pour les nuls, il reste à bien affirmer qu’un médiateur professionnel est celui qui sait maintenir sa triple posture de distanciation et sait en conséquence l’éveiller chez autrui, sans (paradoxalement) en craindre les avantages.

Ainsi, chaque personne qui vient en médiation peut donc être assurée d’une totale indépendance de la part du médiateur professionnel qui, pour apporter cette garantie, ne peut donc qu’être un membre de la CPMN.

En bref, reprenons les principales conséquences d’un manquement à la distanciation

Admettons qu’un médiateur ne sache pas rester impartial, il risque donc de compromettre de bon déroulement de la médiation et de ce fait être la cause de la désimplication de l’une des parties au moins.

Admettons qu’un médiateur ne sache pas rester neutre, les parties peuvent se voir proposer une solution ou discuter la leur. C’est donc l’aboutissement de la médiation qui risque d’être corrompu.

Admettons qu’un médiateur ne sache pas rester indépendant, alors il se positionne comme un porte parole de l’autorité qu’il représente et ça ne trompe personne. Il n’est pas forcément de parti pris vis-à-vis des protagonistes, mais il agit en arbitre ou en conciliateur, et c’est à la fois l’ambiance de la médiation qui est menacée et le résultat consensuel.

Dans un cas comme dans l’autre, si c’était des médiateurs qui étaient en conflit, il faudrait qu’il ait quelque fragilité mentale pour craindre du manque de distanciation sans pouvoir le contourner. En effet, les médiateurs, s’ils dépassent l’amateurisme, ne sauraient se faire influencer, puisque leur domaine de compétences est précisément la vigilance à ce qu’il n’y ait pas de manoeuvre contraire à la qualité relationnelle et à la libre décision.

3 Commentaires
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chantraine
chantraine
10 années plus tôt

Très intéressante réflexion qui montre à quel point la peur d’être démasqué, ou le manque d’affirmation de soi, peut conduire des médiateurs professionnels en conflits à refuser de prendre part à une médiation encadrée par un médiateur professionnel, pour préférer s’en remettre à l’autorité d’un juge, toute puissante, et toute illusoire…

Fabien Eon
Fabien Eon
10 années plus tôt

Voici une idée tout à fait intéressante : la présence d’un médiateur professionnel est une garantie de réussite en médiation, même si ce n’est pas lui le médiateur, et qu’il est prenante au conflit.
En y réfléchissant, c’est vrai que le processus et les techniques de la médiation professionnels sont assez solides et structurés pour être portés par l’une des parties au conflit.
Merci pour cette réflexion.

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