Tribune libre – Le siècle de l’Entente commence : 2026-2126

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Vous serez peu à ce rendez-vous de clôture ! En tout cas, nous pouvons le donner à nos héritiers(1).

« Il ne suffit pas de vouloir des accords. Il faut apprendre comment s’entendre.« 

L’analyse des évolutions sociétales et politiques conduit à voir la vie en société comme la régulation d’affrontements divers.

Le rapport de force : maître esclave, dominant-dominé, affrontement des représentations du bien et du mal, les rapports minimalistes et maximalistes de tolérance. 

A bien observer les conflits, ceux qui ont un caractère majeur disparaissent avec leurs protagonistes. Cette observation démontre le caractère personnel de tout conflit. 

Traditionnellement, pour aborder la régulation des différends, la raison est mise au service des états émotionnels, comme moyen au service de l’affrontement, avec des marques de limitation ; il faut désormais procéder par des inversions : la raison peut être utilisée pour mieux comprendre et résoudre des problèmes considérés comme impossibles à résoudre. Là où les Anciens voyaient des paradoxes, nous identifions des biais de la pensée analytique….

OIMED

Nous vivons une époque charnière. Une ère où les conflits ne sont plus seulement géopolitiques ou économiques, mais profondément relationnels. Certes, les tensions entre les groupes humains ont toujours été d’abord des conséquences de difficultés interpersonnelles entre ceux qui ont exercé les pouvoirs sur des populations. La mésentente, l’envie, les jalousies, les peurs, les frustrations, les rancunes jouent autant dans toutes les formes de voisinage, qu’il s’agisse de territoire ou de terrain, de concurrence ou de relations intimes. 

Cette époque est celle de la mondialisation qui ne se résume plus à des flux de capitaux et d’échanges commerciaux, ni à des ambitions de découvertes et de conquêtes, mais à la circulation massive de représentations, de technologies intrusives avec des modèles d’organisation et de communication. Dans cette époque, il ne s’agit plus simplement de survivre ou de coexister, ni de piloter les effondrements économiques et les affrontements de personnes sur les terrains politiques mais d’apprendre à réfléchir, d’apprendre l’usage de la raison, d’apprendre à s’entendre.

Nous sommes ainsi entrés dans un siècle qui n’est plus seulement celui des Lumières, mais un siècle qui renouvelle en profondeur les ambitions universalistes, c’est l’ouverture du siècle de l’entente. Cette entente n’est ni fusionnelle, ni normative, ni moralisatrice. Elle n’est pas l’unanimité. Elle n’exige ni conversion, ni domination, ni reddition. Elle repose sur un principe fondateur : l’ajustement relationnel. Et pour cela, un outil central s’impose : la médiation professionnelle, fondée sur une ingénierie systémique relationnelle.

La qualité relationnelle comme matrice civilisationnelle

Aujourd’hui, le mot “relation” est partout, mais la maîtrise des interactions est presque nulle dans les structures de pouvoir. Dans les écoles, les parlements, les ministères, les institutions internationales, la communication reste hétéronome, la conflictualité est normalisée, la confrontation est ritualisée. Le conflit est géré comme une variable structurelle, jamais comme un symptôme d’incompétence relationnelle. 

Cette incompétence est entretenue par des formations d’un autre âge — juridiques, religieuses, psychologisantes — incapables de transmettre l’essentiel : l’apprentissage de la liberté dans la relation, toutes les relations : les relations personnelles, interpersonnelles et organisationnelles.

C’est ici que la médiation professionnelle, dans sa rigueur méthodologique et son orientation vers l’altérité, apporte une rupture féconde. Elle ne consiste pas à trouver un compromis, mais à restaurer l’exercice autonome de la liberté de décision, dans et par la relation. Elle ne répond pas par l’autorité de fonction, mais par la reconnaissance, le doute rationnel, la structuration de la pensée qui émerge de l’autorité de compétence dans un domaine qui en est éminemment privé par l’entretien fataliste de l’ignorance et de la maladresse.

Ces dix dernières années, nous avons sillonné la France, les Antilles, la Suisse, le Luxembourg, le Portugal, l’Italie, l’Espagne, l’Angleterre, le Canada, et le cœur de l’Afrique francophone, à Abidjan, pour faire connaître la Médiation Professionnelle et le droit à la médiation.

L’institutionnalisation du droit à la médiation : un paradoxe apparent, une nécessité profonde

Il est temps de reconnaître le droit à la médiation comme un droit fondamental, au même titre que l’éducation ou la santé. Refuser à une personne la possibilité d’un tiers compétent en structuration relationnelle, c’est l’exposer à la domination, à la soumission ou à la rupture — c’est donc nier son autonomie, l’abandonner à une dynamique confusionnelle sous l’égide d’une bienveillance justifiant les différentes formes de l’arbitraire et de la répression.

Ce droit est aujourd’hui restreint. En France, l’Etat confère encore aux écoles confessionnelles et des organismes influencés par elles, un monopole implicite dans la formation des magistrats, des avocats et des institutions. Les préférences accordées à certaines doctrines affaiblissent la pluralité épistémologique tout en portant atteinte au principe de laïcité. Le Diplôme d’État de la médiation familiale (DEMF) quant à lui, constitue un verrou d’accès, sans fondement qualitatif, aux financements publics en matière familiale, créant une fracture d’accès pour les médiateurs professionnels (CAP’M) face aux logiques conservatrices.

Les élus eux-mêmes ne sont pas formés à la qualité relationnelle. Les diplomates gèrent la guerre, négocient, échangent, concèdent, jouent le jeu de la corruption, parce qu’ils n’ont pas encore appris à instituer la paix par le paradigme de l’Entente. 

Enseigner la liberté : une urgence politique

Le défi du siècle n’est pas seulement écologique, économique ou technologique. Il est relationnel. Il est éthique. Il est épistémologique.

Il ne s’agit plus de “gérer les conflits”, mais de réduire l’intensité conflictuelle à un niveau non-belligène. Il ne s’agit plus d’enseigner le droit, mais d’enseigner la liberté. Pas comme une injonction, mais comme un apprentissage de base. Pas comme une morale, mais comme une compétence cognitive, réflexive, altérocentrée.

“Le conflit n’est pas une fatalité. C’est la manifestation d’une incompétence relationnelle. Et qui dit identification d’une limite de compétence, dit perspective d’acquisition et de perfectionnement.”

La profession de médiateur est la profession des défis sociétaux, car elle permet d’aborder les grands défis du siècle avec un cadre unifié. Par exemple :

  • Réconcilier la justice et la relation (Défis n°6 et 7),
  • Garantir la sécurité sans violence (Défi n°4),
  • Organiser l’économie sans redevabilité (Défi n°8),
  • Construire un consensus sans vérité absolue (Défi n°2),
  • Assurer une cohabitation harmonieuse avec le vivant (Défi n°12).

Ces défis ne sont pas des utopies. Ce sont des problèmes relationnels universels, à traiter non par des dogmes, mais par une science : la science de la relation.

Pour une gouvernance par l’entente

La médiation professionnelle n’est pas une méthode “douce”. C’est une technologie de civilisation, fondée sur une vision systémique, une pratique rigoureuse, une éthique de l’altérité. Elle permet d’entrer dans le paradigme de l’entente sociale, à la place du contrat social qui, fondé sur la défiance et la norme, a montré ses limites.

Nous ne devons pas choisir entre la contrainte et le chaos.
Il existe une autre voie : celle de l’ajustement relationnel. C’est celle que nous proposons.

Former à la médiation professionnelle, c’est enseigner la liberté. Appliquer l’ingénierie relationnelle, c’est construire une société éthique sans surveillance. Instituer le droit à la médiation, c’est rendre possible un monde de contribution sans violence. Il ne manque pas de volonté. Il manque une méthode. Elle existe.

Appel

Nous appelons les législateurs, les éducateurs, les gouvernants, les citoyens, à soutenir :

  • L’inscription constitutionnelle du droit à la médiation comme droit fondamental d’accès à la régulation relationnelle sans autorité ni norme imposée.
  • L’introduction systématique de la qualité relationnelle dans l’éducation, la diplomatie, la gestion publique, le soin et la justice.
  • La reconnaissance de l’indépendance de la profession de médiateur sans formalisme d’autorité politique, en identifiant les courants de pensée comme critère national et international de compétence dans la profession de médiateur.
  • Le soutien à la recherche transdisciplinaire sur l’ingénierie systémique relationnelle comme fondement de la paix, de la liberté et de la démocratie.

Le siècle de l’entente ne se décrète pas.
Il s’enseigne, il se structure, il se vit.

Et ce siècle commence maintenant.

Références : 

(1)J’ai toujours eu un faible pour l’interpellation de François Villon « Frères Humain qui après nous vivez »…

  • The Life of the Law, par Laura Nader. L’auteure critique l’institutionnalisation de la médiation en raison des modèles standardisés liés aux représentations traditionnelles d’exercice des pouvoirs. 
  • École Professionnelle de la Médiation et de la Négociation www.epmn.fr
  • Chambre Professionnelle de la Médiation et de la Négociation www.cpmn.info 

site personnel de Jean-Louis Lascoux, initiateur de la profession de médiateur, président du CREISIR, fondateur de l’école professionnelle de la médiation et de la négociation

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Jean-Louis Lascoux
"Je prends de l’avance sur les générations futures." Chercheur en Ingénierie relationnelle et médiation professionnelle - CREISIR. Directeur de publication de L'Officiel de la Médiation, initiateur de la Médiation Professionnelle et du droit à la médiation, auteur de "Pratique de la médiation professionnelle" (ESF Sciences Humaines), du Dictionnaire de la Médiation (ESF sciences Humaines), de "Et tu deviendras médiateur et peut-être philosophe" (Médiateurs Ed.), Président de l'EPMN. "... La vie ne m’a pas déçu ! Je la trouve au contraire d’année en année plus riche, plus désirable et plus mystérieuse..." Friedrich Nietzsche, Le gai savoir, aphorisme 324, 1882