Avouons-le : Hammourabi n’avait sans doute pas imaginé qu’un jour, sa célèbre formule deviendrait un problème de cohérence biologique. Quand, au XVIIIᵉ siècle avant notre ère, le roi de Babylone grave dans la pierre la loi du talion — « œil pour œil, dent pour dent, main pour main » — il cherche à contenir la spirale de la vengeance, pas à l’encourager. Les religions de la Bible ont repris le refrain babylonien qui a introduit une innovation dans les relations : la mesure dans la punition. Pas plus qu’on ne t’a pris, pas moins non plus. Le dommage doit être symétriquement restitué, comme un calcul exact dans un monde sans calculatrice.
Mais tout de même : pourquoi la dent ? Pourquoi pas la main, l’oreille, ou la barbe (au hasard) ? Parce que la dent est un symbole parfait : visible, comptable, et surtout irréversible. Perdre une dent, c’est une marque durable, une cicatrice du corps et du statut. On pouvait compter les torts à la manière d’un dentiste mésopotamien : une dent cassée pour une dent cassée, justice rendue.
Sauf que… trois mille sept cents ans plus tard, des chercheurs japonais viennent gâcher la métaphore. L’équipe du professeur Katsu Takahashi à Osaka a identifié la protéine USAG-1, coupable de bloquer la repousse naturelle des dents. En inhibant cette protéine, un médicament nommé TRG-035 pourrait réactiver les germes dormants des dents, permettant à l’humain adulte de refaire pousser ce que la vie (ou un coup mal placé) avait pris. Autrement dit : la dent, ce symbole d’irréversibilité, devient recyclable.
Les implications sont vertigineuses. Non seulement pour les dentistes et les fabricants d’implants, mais aussi pour les idéologues du châtiment et des raisonnements qui s’appuient sur les modèles de le fatalisme de la servitude et du « contrat social » (Hobbes, Locke, Rousseau). Car si la perte d’une dent n’est plus une peine définitive, la loi du talion se désarme. Que vaut un « dent pour dent » quand la dent revient ? Faut-il désormais prévoir un délai de repousse dans la sanction ? Ou réviser tout le Code d’Hammourabi à la lumière de la biologie régénérative ?
Et, soyons logiques : si la dent finit par repousser, la maxime d’Hammourabi perdra de son mordant. La justice vengeresse, privée de ses dents symboliques, devra apprendre à mâcher autrement ses rancunes. Quant à l’œil, le jour où lui aussi repoussera, il ne restera plus qu’à recycler la vengeance au musée des organes obsolètes — entre la rate romantique et la bile noire. Le temps judiciaire perdra son fondement ; la médiation professionnelle atteindra son apogée…
Sources scientifiques
- Mainichi.jp 12.06.2023
- AFP – Sciences et avenir 17.12.2024
- Dictionnaire encyclopédique de la médiation



![Livre [nouveauté] : Médiations en milieux hostiles](https://www.officieldelamediation.fr/wp-content/uploads/2023/10/Médiations-en-milieux-hostiles-218x150.png)


























