Afrique : la découverte de la médiation professionnelle

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[pullquote]Par Maître Simone Solange Feoketchang Kouatchou – Cameroun et Maître Agnès Tavel – France[/pullquote]

Depuis quelques années, le terme de « médiation », associé au « mode de règlement des conflits » est utilisé dans de multiples contextes. Cependant, la médiation est une pratique de la vie politique et sociale qui remonte a plus de huit cents ans. Les médiateurs étaient des intervenants visant l’apaisement entre des communautés, principalement religieuses, ou des seigneurs dont les conflits pouvaient déranger leur voisinage. La Suisse a ainsi bénéficié d’une médiation restée célèbre dans les annales de la tourmente napoléonienne, avec l’acte de médiation de 1803. Cette médiation politique se poursuit, avec une efficacité toute relative, et consiste souvent à proposer des idées, voire des solutions à des dirigeants parvenus à transformer la population de leurs pays en fournaise guerrière. On peut constater que l’Afrique offre un environnement propice à toutes ces médiations.

La plupart des auteurs font remonter la médiation aux années 1970, aux Etats-Unis, dans la perspective de diminuer les dépenses publiques. C’est plus tard, dans le courant des années 1990, que l’union européenne s’est lancée dans cette course d’économie. Après 2000, des directives ont incité les pays membres à intégrer la médiation dans leur législation.

[pullquote]Tous les champs sont concernés : famille, entreprise, commerce, voisinage, consommation, administration…[/pullquote]

Pour les affaires privées, la tentation libérale est d’en faire un instrument à la charge directe des intéressés. Ainsi, la médiation ballote entre baisse de l’implication financière de l’Etat dans la gestion du pacte social et pis-aller du système judiciaire.

S’il faut s’en réjouir, la multiplication des formes de médiation et des organes les pratiquant ne va pas sans susciter moult confusions. Certains y voient une pratique de la bienveillance traditionnelle combinée à des rappels à l’ordre moral, à des règles de droit, teintée de psychologie ; c’est dans ce creuset que la palabre avoisine la conciliation et l’arbitrage. Néanmoins, un courant professionnel, exigeant en rationalité et en efficacité, s’est vite constitué. Il affirme une discipline à part, liée à l’évolution des droits humains et de la performance, une approche méthodologique qui se renforce par une transmission pédagogique. C’est ainsi que le terrain de la médiation devient celui d’une discussion dont les enjeux semblent bien dépasser la seule transformation de la préoccupation pratique judiciaire où nous pourrions être tentés de la cantonner.

Le choix d’une médiation professionnelle

Ainsi, deux représentations de la médiation coexistent. Ici, la médiation est tenue par les professions spécialisées dans la gestion des différends habituellement soumis au système judiciaire. Cette médiation est considérée comme une activité complémentaire, dont la préconisation relève du bon conseil des juges et des professions ordinales. Elle est soutenue par des courants normatifs, confessionnels et de rappel à une certaine conformité. Là, la médiation est devenue une profession, avec un code d’éthique et de déontologie – le CODEOME – dissociée du droit, de la morale et de la psychologie. Elle implique un changement de paradigme. Elle est une discipline de la relation. Elle permet d’étudier les composantes de la qualité relationnelle et celles de la dégradation des relations. Elle consiste dans la pratique de techniques et la mise en œuvre de processus et dispositifs garantissant le respect des fondamentaux des droits de la personne. Cette discipline est indissociable de la rationalité et de la laïcité.

Un changement de paradigme, pour une nouvelle assise culturelle

Un constat peut être posé: la médiation professionnelle tend à faire échapper les relations au contrôle des systèmes d’autorité auxquels elles sont habituellement soumises. Cette seule raison pourrait expliquer pourquoi cette conception d’intervention de règlement des différends connait des difficultés d’expansion, alors qu’elle présente des avantages incontestables sur le plan économique, structurel et social. De même, la mise en place d’une médiation sous tutelle est rendue difficile, parce qu’il est clair qu’elle ouvre le chemin à la médiation professionnelle. Il en découle que les points de résistances ne viennent pas tant des citoyens eux-mêmes, usagers confiants de ce qui leur est proposé par les autorités publiques, que de la part des corporations dont le secteur d’activité se trouve bousculé. Il en va en effet, notamment pour toute la pratique occidentale de la « gestion des conflits », désormais très répandue dans le monde, d’un changement profond quant à la conception du rapport à l’autre, en tant qu’il pourrait être libre de ses décisions si les moyens de connaissances et de compétences étaient apportés aux citoyens.

Pour bien comprendre cette idée, nous pouvons l’inverser : que l’éducation apporte un enseignement sur le savoir-faire face à l’adversité et la conflictualité, et la médiation serait une évidence pour tout le monde ; si l’on considère la médiation comme une pratique pédagogique et non une instrumentation judiciaire, alors on réalise le changement de paradigme évoqué plus haut. Comme ce n’est pas le cas, on peut comprendre que la médiation sous contrôle – qui est la plus promue du fait de la forte influence des écoles confessionnelles et juridiques – reste sous l’emprise d’un amateurisme souvent dissuasif, parce qu’il ne s’agit en réalité que d’un pis-aller de la coutume autoritaire.

[pullquote]Ainsi, la promotion de la médiation se fait selon une forte contre-productivité, avec un rythme d’un pas en avant, un de côté et un en arrière.[/pullquote]

L’émergence d’un droit à la médiation

Dans ce brouhaha, la médiation est officieusement cantonnée dans une pratique secondaire. Au nom d’une spécificité culturelle ou d’un réalisme d’opportunité, l’habitude sert de rempart contre une sortie de l’amateurisme.

L’exigence du professionnalisme contribue à tirer vers le haut le mouvement de la médiation, toutes tendances confondues. En dix ans, plusieurs pays ont mis en place des dispositifs de « médiation obligatoire ». Toutefois, aucun pour le moment n’est allé sur la voie tracée par le droit à l’éducation, tel que proposé par Jean-Louis Lascoux, initiateur de la « médiation professionnelle », et tous les droits promoteurs et protecteurs des personnes, ici celui d’un « droit à la médiation ».

L’observation est claire qu’une personne qui fait appel au système judiciaire entraîne son adversaire dans une logique de soumission à la décision d’un tiers ; tandis qu’exiger le recours à la médiation entraîne les protagonistes d’un différend vers la libre décision. Le premier système fait in fine deux soumis, du second résulte l’extension de deux libertés de décision.

C’est donc un devoir des Etats démocratiques de mettre en place la médiation en tant que droit prédominant sur l’accès au système judiciaire.

Faut-il envisager un ministère de la médiation ?

La médiation doit être considérée à part de tous les systèmes actuels. Elle ne doit pas être placée sous la tutelle des juges pas plus que du monde juridique. Elle ne doit pas être confiée à des autorités cultuelles. La médiation doit être placée dans un environnement de confiance, indépendante, pour que ses praticiens soient effectivement neutres et impartiaux.

La médiation des relations s’inscrit dans un droit protecteur de l’exercice du libre arbitre. Ce n’est pas aux juges d’en décider. Il ne peut pas savoir quand recourir à la médiation, ni pourquoi elle doit être mise en place. Il est formé au droit, et s’il a pour mission de chercher à concilier, la médiation professionnelle est une tout autre affaire. C’est son intime conviction qui dans tous les cas fait sa décision sur ce genre de questionnement.

Les limites des uns ne sont pas celles des autres. Autrement dit, la loi doit préconiser le recours systématique à la médiation, une médiation exercée par des professionnels formés à la rationalité du démontage des conflits, dans la perspective de la qualité relationnelle et de la libre décision.

Dans le même ordre d’idée, on peut aisément comprendre que des personnes qui parviennent à un accord les libérant d’un différend ne sauraient être placées sous une tutelle. Rien ne justifie l’instauration ou la restauration de la suspicion propre à la dynamique d’adversité. Elles n’ont de compte à rendre à personne. Leur accord est libre et ne relève de rien d’autre que de la liberté contractuelle.

En revanche, si la loi peut faire quelque chose relativement aux médiateurs, c’est garantir leur posture, de sorte que les citoyens puissent avoir pleinement confiance dans leurs prestations. Autrement dit, il en va de la reconnaissance des médiateurs professionnels, avec une éthique et une déontologie à part, garantissant leur indépendance, leur impartialité et leur neutralité. Le modèle de la liberté de la presse et de l’ombudsman a tout lieu d’être source d’inspiration. Les référentiels doivent rester centrés sur le respect de la libre décision individuelle, de sorte que les médiateurs restent dans leur rôle de non-influence. Ainsi, la médiation peut offrir une alternative non pas au système judiciaire, mais à l’adversité.

Il convient donc de mettre un terme à cette erreur de placer la médiation sous le joug de la judiciarisation. La logique est de créer une instance de médiation, avec un ministère spécifique, car comme l’éducation ou l’administration de la justice, la promotion de la médiation est une inspiration politique.

Une feuille de route exigeante où l’OHADA peut avoir un rôle essentiel

En France, le législateur a déjà commis plusieurs erreurs, notamment avec la médiation familiale. Si l’exemple de la promotion de la médiation peut être également réalisé en Afrique, il ne s’agirait pas de se fourvoyer de la même manière. Pour que la médiation reste indépendante, un diplôme d’Etat ne peut être adopté, parce qu’il connote et enferme la médiation dans un carcan doctrinal. La médiation ne peut être conçue sous la moindre tutelle. Son indépendance n’est pas négociable. Elle ne consiste à rien d’autre qu’une aide professionnelle au dialogue devenu inimaginable.

Comme le prévoit la constitution, la loi doit protéger chacun contre les heurts de l’existence et apporter à tous la garantie de pouvoir étendre au plus loin l’exercice des libertés fondamentales.

Avec sa spécificité et son héritage encore présent avec la palabre, institution de la tradition, la médiation professionnelle peut être une ressource pour la définition d’un pacte social original, typique de la quête d’accueil et d’ouverture que revendiquent de nombreux pays africains.

Partout, on crée des organismes dédiés à la médiation. Il est intéressant de voir que l’initiative provient du privé. Ainsi, au Cameroun, la Chambre de commerce du Cameroun a décidé de mettre en place son propre Centre d’arbitrage et de médiation, en Côte d’Ivoire, la Cour d’Arbitrage a développé un partenariat avec l’Ecole de Bordeaux, l’Ecole Professionnelle de la Médiation et de la Négociation, premier centre garantissant l’approche disciplinaire de la résolution des différends. Au Togo, une instance similaire a été créée.

L’espace OHADA offre une opportunité de développement de la médiation professionnelle, parce que la recherche est d’étendre les ententes par delà des frontières dont, au demeurant, les origines ne se retrouvent nullement dans une aspiration générale de l’époque, et même contemporaine.

Déjà des conventions ViaMediation – qui permettent de clarifier la démarche éthique associée à la médiation professionnelle – sont signées avec des clubs OHADA. Cette rencontre partenariale fait avancer des pratiques mieux adaptées pour des relations de confiance entre acteurs économiques.

La médiation professionnelle avance également auprès de plusieurs ONG internationales, de l’Organisation des Nations Unies et de l’Union Africaine.

  1. Pratique de la Médiation professionnelle, Jean-Louis Lascoux, ESF, 7° édition, 2015
  2. La médiation professionnelle arrive en Afrique, Par M° Simone Solange Feoketchang Kouatchou et Aïcha Sangaré, directrice de l’EPMN. http://www.village-justice.com/articles/mediation-professionnelle-arrive,20203.html
  3. Rapport sur les réflexions du groupe de travail sur la coparentalité, comment assurer le respect de la coparentalité entre parents séparés
  4. Code de la Médiation, recueil des textes officiels et professionnels, par Maître Agnès Tavel, préfacé par le premier président Bruno Steinmann, Médiateurs Editeurs.
  5. Rapport du groupe de travail « Médiation familiale et contrats de co-parentalité » mis en place par Mme Dominique Bertinotti le 21 octobre 2013 http://oned.gouv.fr/ressources/mediation-familiale-et-contrats-co-parentalite
  6. Marc Juston en 2009, opposé à la médiation obligatoire
  7. Manifeste pour le droit à la médiation http://www.mediateurs.pro/
  8. 10 propositions pour la transposition de la directive européenne sur la médiation civile et commerciale
  9. Discours introductif au droit à la médiation, bibliothèque nationale 2013 https://www.youtube.com/watch?v=G4ebo6f20js
Simone Solange Feoketchang Kouatchou
Simone Solange Feoketchang Kouatchou, avocate et médiateure professionnelle