Depuis quelques années, les neurosciences offrent un éclairage nouveau sur les mécanismes de la pensée, des comportements humains et des relations sociales. Ces avancées scientifiques permettent d’explorer les processus sous-jacents aux conflits et aux interactions humaines. En Médiation Professionnelle, intégrer ces apports peut permettre de mieux comprendre pourquoi et comment les blocages relationnels se produisent, ainsi que d’éclairer la pertinence des processus et techniques pour les surmonter.

L’un des concepts centraux issus des neurosciences est celui de l‘énergie libre, initialement développé en thermodynamique et adapté par Karl J. Friston au fonctionnement du cerveau humain. Ce concept éclaire le rôle des erreurs de prédiction dans les incompréhensions relationnelles et montre comment la Médiation Professionnelle peut contribue à réaligner des perceptions. Cette approche offre ainsi une base théorique nouvelle pour explorer le fonctionnement des techniques que j’ai développées en médiation professionnelle, à partir de l’outil systémique des interactions en communication (Etude SIC) et pour renforcer leur efficacité dans la régulation des différends. Elle ouvre aussi des perspectives pour l’accompagnement individuel et organisationnel.

Fondement : la théorie de l’énergie libre de Karl J. Friston

La théorie de l’énergie libre, développée par Karl J. Friston, postule que le cerveau humain fonctionne comme une machine à prédictions, ajustant constamment ses représentations pour réduire les écarts entre ses attentes internes et les informations qu’il reçoit de son environnement. Ces écarts, appelés « erreurs de prédiction », constituent des incohérences que le cerveau cherche à corriger afin d’atteindre une harmonie cognitive, en lien avec la quête de satisfaction et d’équilibre relationnelle. Pour optimiser ce processus, le cerveau établit des interconnexions neuronales tout en minimisant leur nombre, adoptant ainsi une logique d’économie d’énergie. En tant que principal consommateur d’énergie du corps humain, il tend à maximiser son efficacité en réduisant les ressources mobilisées pour traiter les informations. Cette gestion énergétique peut être perçue comme une dynamique de rationalisation, visant à atteindre des résultats optimaux avec le moins d’effort possible.

Cette capacité d’ajustement a plusieurs effets : elle permet de mieux comprendre le monde et d’agir en conséquence, mais elle tend également à expliquer la survenance des entêtements, lesquels sont identifiés en Médiation Professionnelle comme les points d’ancrage de la conflictualité. Lorsqu’une personne fixe ses attentes et ses interprétations de manière rigide, son cerveau cherche à minimiser son incertitude interne en restant attachée à une représentation figée de la situation. Ce mécanisme est à la source des postures de blocage, car changer de point de vue demande un effort supplémentaire pour le cerveau.

Ainsi, les erreurs de prédiction relationnelles deviennent des points de fixation émotionnelle. D’autant que les erreurs de prédiction peuvent être exacerbées par trois facteurs identifiés en Médiation Professionnelle comme invariants de la dégradation de la qualité relationnelle : les prêts d’intention négative, les interprétations qualifiantes, et les dynamiques contraignantes. Ces facteurs, regroupés sous l’acronyme PIC, favorisent les blocages émotionnels et relationnels, caractéristiques des erreurs de prédiction, rendant la résolution du différend difficile sans intervention externe. Dans son approche technique, le médiateur professionnel utilise l’altérocentrage et la reconnaissance méthodologique qui permet à son interlocuteur de reconstruire des interconnexions par un processus de distanciation et de clarification des positionnements relationnels, ce qui tend à permettre au cerveau de revisiter ses schémas.

Transposition à la Médiation Professionnelle

Comme nous venons de le voir, dans une situation de conflit, chaque partie construit des représentations basées sur son propre système prédictif qui se manifeste par des énoncés et des comportements de type PIC :

  • des attentes par rapport à l’autre (« il doit comprendre et répondre à mes aspirations / corriger ses abus à mon égard, me donner satisfaction, ne pas chercher à m’imposer sa solution… »).
  • des prêts d’intention négative (« il fait cela pour me nuire, me mépriser, me diminuer… »).
  • des interprétations qualifiantes négatives (« C’est un voleur, un agresseur et son comportement est stupide… »).

Dans ces rapports conflictuels, les représentations sont figées et biaisées. Elles limitent la capacité d’écoute et de compréhension mutuelle et entraînent des erreurs de prédiction relationnelles. Le rôle du médiateur professionnel est donc d’aider les parties à :

  • Identifier les mécanismes des erreurs de prédiction : reconsidérer l’intentionnalité par rapport à l’interlocuteur
  • Revenir sur ses propos qualifiants négativement : identifier au mieux les énoncés factuels
  • Ouvrir de nouvelles perspectives d’interaction : se positionner dans une démarche contributive

Application pratique en Médiation Professionnelle

1. Clarification des prédictions et attentes

Le médiateur professionnel aide les parties à adopter une perspective résolutoire. Il les guide dans l’identification des mécanismes de dégradation relationnelle qui influencent leurs attentes et leurs prédictions. Il utilise des techniques d’altérocentrage et de restitution de sens pour rendre ces prédictions conscientes et faciliter une discussion qui, jusqu’alors, est devenue inimaginable.

Exemple :

Vous exprimez que ce changement d’attitude a marqué un tournant dans votre relation avec votre associé et que, depuis, vous vous sentez engagé dans un différend que vous avez tenté de résoudre par vos propres moyens. C’est cependant parce que vous n’avez pas trouvé les meilleurs arguments que vous recourrez à la médiation professionnelle… Je vous remercie de votre confiance.

2. Identification des erreurs de prédiction

Le médiateur professionnel aide les parties à reconnaître les incohérences dans leurs interprétations.

Exemple :

Vous affirmez que votre associé cherche à nuire à vos intérêts. En raison de ce que vous constatez de ses comportements, vous en tirez la conclusion que ses intentions sont plus de vous nuire que de tenter de protéger ses propres intérêts (réflexion sur la cohérence des prédictions relatives aux intentions)…

3. Réduction des incohérences par la distanciation

Le médiateur introduit des locutions adverbiales de distanciation (« peut-être que », « pour l’instant », « dans cette situation ») afin de dépassionner les échanges et d’encourager une réflexion nuancée.

Exemple :

Peut-être que, dans cette situation, vous avez vécu les actions de votre associé comme une trahison, alors qu’il aurait agi pour une cause que vous ne seriez éventuellement pas prêt à entendre…

4. Ouverture vers une issue consensuelle

En identifiant les prêts d’intention, les propos jugeants et les dynamiques contraignantes, le médiateur professionnel permet aux parties de co-construire une nouvelle perception de la situation.

Implications pratiques pour la Médiation Professionnelle

Par ses techniques de distanciation, le médiateur professionnel favorise le renouvèlement de leur approche de la situation, ce qui va dans le sens de l’application du principe d’énergie libre :

  • Encourager une réflexion nuancée sur les attentes et les prédictions.
  • Aider les parties à réduire les incohérences dans leur communication.
  • Favoriser une meilleure compréhension mutuelle.

Cette approche offre aux médiateurs professionnels un outil puissant pour renforcer leur méthodologie et améliorer la qualité relationnelle. Elle permet de guider les parties vers un projet relationnel, plutôt que de simplement gérer un différend. De fait, pour atteindre cet objectif, le médiateur professionnel développe le processus structuré permettant à chacun d’identifier les invariants de la dégradation relationnelle, puis de se les approprier pour ensuite participer de manière contributive à une réunion résolutoire qui permet de réaliser le parcours logique de l’élaboration d’un projet : bilan de l’antériorité, inventaire du présent et définition du projet.

Une invitation à l’innovation

Médiateurs professionnels, ne restez pas figés sur vos acquis. Je vous invite à explorer cette réflexion sur l’énergie libre et à l’intégrer dans vos pratiques. Continuez d’innover et de développer vos compétences pour répondre aux défis relationnels de notre époque.

La médiation professionnelle est une pratique vivante, qui s’enrichit de la recherche en ingénierie systémique relationnelle. Elle évolue avec les avancées scientifiques et les besoins sociétaux. Ensemble, ouvrons de nouvelles perspectives pour transformer les difficultés relationnelles en opportunités de compréhension et de croissance commune.

Lexique

  • Énergie libre : concept issu de la thermodynamique, adapté par Karl Friston, désignant la marge d’incertitude qu’un système cherche à réduire. Dans le cerveau humain, cela correspond à la réduction des écarts entre les prédictions et les informations reçues pour économiser de l’énergie et éviter les tensions mentales.
  • Erreur de prédiction : écart entre une attente ou une prédiction interne et la réalité perçue. Le cerveau cherche à réduire ces écarts pour atteindre une harmonie cognitive.
  • Altérocentrage : technique posturale de médiation professionnelle consistant à se centrer sur les paroles, le ressenti et le comportement de l’autre, en énonçant ses propos sans jugement ni interprétation, et à exprimer des éventualités pour favoriser des connexions nouvelles de pensée.
  • Doute (expérientiel et rationnel) : utilisation de locutions adverbiales (comme « peut-être », « pour l’instant ») pour réduire la charge émotionnelle d’une discussion et favoriser une réflexion nuancée.
  • Prêts d’intention : attribution d’une intention négative à autrui sans preuve objective. Cela constitue une erreur de prédiction fréquente en situation de conflit.
  • Harmonie cognitive : état d’équilibre mental que le cerveau cherche à atteindre en réduisant les incohérences entre ses prédictions internes et les informations de l’environnement.
  • Propos qualifiants négatifs : interprétations jugeantes désobligeantes, méprisantes ou insultantes à l’encontre d’une personne, de nature à soutenir les erreurs de prédiction.
  • Dynamique contraignante : propos affirmant une obligation de faire ou de ne pas faire, souvent en usant d’une posture d’autorité ou de menaces. Cette dynamique renforce les erreurs de prédiction.

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