Le décret du 18 juillet 2025 peut sembler constituer une avancée en matière de reconnaissance des modes amiables de résolution des différends (MARD). Toutefois, ce texte, tout en consacrant une recommandation de la médiation dans le cadre judiciaire, tend à l’inférioriser par rapport au jugement étatique.
Nous identifions huit points critiques qui nécessitent clarification, révision ou vigilance, afin de garantir la cohérence et l’efficacité de la médiation pratiquée dans le cadre du système judiciaire français.
1) Exigence envers la médiation vs exigence envers la justice étatique
Constat : Le décret encadre de façon minutieuse la médiation (statut, impartialité, absence de condamnation, formation, reddition de comptes, etc.) alors que la justice étatique n’est pas soumise à la même exigence de résultats pérennes (un jugement peut être exécutoire mais contesté, parfois inefficace socialement).
Effet pervers : La médiation est jugée « à la réussite » (un échec se voit immédiatement), tandis que le jugement est jugé « à la régularité procédurale » (qu’il soit accepté ou pas par les parties).
Conséquence : Cela crée une asymétrie de légitimité : la médiation est sommée de prouver son efficacité, le jugement bénéficie d’une présomption d’autorité.
En bref : le jugement demeure apprécié à l’aune de la régularité procédurale, la médiation à l’aune de son aboutissement. Une intégration d’indicateurs publics de performance de l’amiable serait une saine évolution (voir point 8).
2) Confusion des registres : technicien, conciliation, médiation
Constat : Le décret ouvre la possibilité de recourir à un technicien dans un cadre amiable, mais sans distinguer clairement entre :
Contentieux (juridique → juge),
Litige (technique → expert),
Conflit (émotionnel/relationnel → médiateur).
Risque : Mobiliser un technicien « en médiation » revient à plaquer un regard d’objectivation technique sur une dynamique qui relève d’abord de l’interaction humaine et de la subjectivité.
Effet : On brouille les frontières entre conciliation (transaction juridique sur droits disponibles), expertise (éclairage technique) et médiation (travail relationnel sur le conflit).
Clarification : la conciliation doit être définie pour ce qu’elle est : une contribution judiciaire de proximité et la médiation (quand elle est professionnelle) une expertise relationnelle résolutoire de promotion de la qualité relationnelle.
Constat : En procédure judiciaire, la rémunération du médiateur est encadrée (provision, fixation judiciaire en cas de désaccord, homologation possible de l’accord sur rémunération – art. 1535-6).
Paradoxe : Les avocats, obligatoires dans la procédure participative, n’ont pas leurs honoraires soumis à un contrôle comparable.
Conséquence : Cela introduit une distorsion de concurrence entre professions : la médiation est bridée dans sa liberté tarifaire alors que le conseil/plaidoirie ne l’est pas.
Effet symbolique : Cela peut être perçu comme une dévalorisation structurelle de la médiation, cantonnée dans un statut d’auxiliaire du procès, et non comme une profession autonome.
Argument : la médiation doit bénéficier d’un principe de liberté contractuelle comparable, avec transparence tarifaire mais sans tutelle judiciaire.
Article concerné : art. 1535-6 CPC
4) Indépendance et garantie institutionnelle
Constat : Le décret exige des garanties d’indépendance individuelles mais ne prévoit pas de cadre institutionnel de reconnaissance.
Pratique existante : La CPMN, depuis 25 ans, propose une certification professionnelle et un référentiel déontologique qui remplissent déjà cette fonction (le CODEOME et un dispositif de formation continue).
Manque du décret : Il ne capitalise pas sur ces initiatives professionnelles, préférant maintenir un contrôle par le juge et le greffe.
Conséquence : Les médiateurs doivent porter eux-mêmes la garantie de leur indépendance, qui n’a rien à voir avec des dispositifs d’ordres professionnels relevant d’une conception culturelle soumise aux principes nationaux.
Articles concernés : art. 1530-2 et 1530-3 CPC
5) confidentialité : un risque d’extrapolation
l’art. 1528-3 prévoit deux exceptions à la confidentialité (ordre public / protection de la personne), mais le médiateur ne saurait être juge ou appréciateur préalable de ce qui est de l’ordre public ou de tout autre aspect juridique. Il ne peut être tenu par un devoir de rupture de la confidentialité au nom de ce que seul un juge peut interpréter et qui au demeurant peut faire l’objet de recours procédural.
si le médiateur ne se sent pas en capacité ou compétent, il doit s’en remettre à l’organisation de médiation à laquelle il est tenu d’avoir adhéré, dans le respect d’un cadre éthique et déontologique (Cf. CPMN). Un doute exprimé par un médiateur peut paraître aggravant dans l’esprit du juge.
Article concerné : art. 1528-3 CPC
6) Amende civile jusqu’à 10 000 € (art. 1533-3)
Texte : sanction du refus de se présenter à la réunion d’information sans motif légitime.
Problème : cela peut faire basculer la médiation dans un registre de sanction institutionnelle contraire à l’incitation relationnelle.
Impact pour la profession : le médiateur devient le vecteur d’une obligation judiciaire au bénéfice de l’Etat, ce qui brouille son image de tiers neutre.
Argument : la sanction devrait viser l’obstruction procédurale, pas la médiation elle-même, pour ne pas transformer le médiateur en « auxiliaire d’exécution » du juge ; si sanction financière, alors, elle devrait bénéficier à la partie qui entre en médiation tandis que l’autre qui ne vient pas fait obstruction à l’exercice de la liberté de décision.
Article concerné : art. 1533-3 CPC
7) Durée des médiations judiciaires (5 mois + 3 mois, art. 1534-4)
Texte : durée fixée par la loi, prolongation limitée.
Problème : rigidité du délai, qui ne s’adapte pas à la diversité des conflits (certains demandent quelques semaines, d’autres un an).
Impact pour la profession : impose une logique « administrative » du temps, alors que la médiation suit le rythme des personnes et du conflit.
Argument : laisser au juge (ou aux parties) une marge d’appréciation pour fixer la durée, plutôt que de figer une limite
Article concerné : art. 1534-4 CPC
8) Absence de statistiques et d’indicateurs officiels
Texte : le décret ne prévoit pas de système de mesure spécifique des médiations réussies, homologuées ou non.
Problème : l’efficacité de la médiation ne sera pas visible dans les statistiques judiciaires.
Impact pour la profession : invisibilisation du travail réel des médiateurs, alors que la charge judiciaire s’allège grâce à eux.
Argument : sans données fiables, impossible d’évaluer la contribution de la médiation au fonctionnement global de la justice. Cela revient à nier sa valeur systémique.
Aucun article spécifique – omission du décret
Conclusion critique
Le décret :
consacre la médiation juridiquement mais l’infériorise structurellement par rapport au jugement (contrôle accru, rémunération régulée, dépendance au juge) ;
confond parfois les registres (technique/juridique/émotionnel), risquant d’amoindrir la spécificité de la médiation ;
n’accorde pas à la profession la confiance institutionnelle qu’elle a déjà construite en pratique (CPMN).
Tableau « Risques / Propositions »
Risque identifié
Proposition de correction
Asymétrie de légitimité entre médiation et jugement
Reconnaître la valeur systémique des médiations réussies, même sans homologation
Confusion technicien/conciliation/médiation
Clarifier les registres de ce qu’est un différend : juridique (juriste avocat, juge), technique (expert), relationnel (médiateur professionnel)
Régulation inégale des rémunérations
Liberté contractuelle pour les médiateurs, comme pour les avocats
Absence de garantie institutionnelle
Reconnaître les chambres professionnelles (ex. CPMN) comme organes de certification
Confidentialité partielle
Confidentialité intégrale, sauf exceptions décidées par le juge
Amende civile (10 000 €)
Recentrer la sanction sur l’obstruction procédurale ; bénéfice éventuel à la partie coopérante
Durée rigide (5 + 3 mois)
Marges d’appréciation du juge ou des parties pour adapter la durée
Absence de statistiques
Mise en place d’indicateurs officiels de suivi et d’évaluation des médiations