Le Qatar s’est imposé comme un médiateur incontournable sur la scène internationale, tout en faisant face à des accusations persistantes de violations des droits des travailleurs migrants et d’achat d’influence en Europe et en Afrique. Une contradiction qui interroge les fondements de son soft power.
Introduction
En juillet, puis en août 2025, le ministère des Affaires étrangères qatari a annoncé de nouvelles médiations réussies : réunification d’enfants séparés de leurs familles, en Ukraine et en Russie. Cette initiative s’inscrit dans une stratégie plus large de soft power, où Doha se présente comme un acteur humanitaire et neutre. Pourtant, cette image contraste vivement avec les réalités documentées sur son territoire et ses pratiques d’influence à l’étranger.
1. La méthode qatarie : médiation et financement
Le Qatar a développé une diplomatie qui peut apparaître fondée sur la neutralité, la discrétion et le pragmatisme. Ses médiations ciblent des dossiers précis (libérations d’otages, trêves, réunifications familiales) évitant ainsi les blocages politiques. Surtout, Doha assume intégralement les coûts logistiques de ces opérations, comme l’ont rapporté le New York Times et Reuters. Cette générosité calculée lui permet d’acquérir une influence disproportionnée sur la scène internationale.
2. L’exploitation des travailleurs migrants : des réformes en demi-teinte
Cinq ans après l’annonce faite en 2016, soit en mars 2021, dans la perspective de la coupe du monde de football, dont l’attribution a été fortement controversée, le Qatar a aboli officiellement le système de kafala, qui liait les travailleurs migrants à leur employeur. Des réformes ont été adoptées, incluant l’instauration d’un salaire minimum et la fin de l’autorisation de sortie du territoire.
Cependant, comme le révèle Amnesty International, ces avancées législatives peinent à s’appliquer sur le terrain. En septembre 2023, Le Parisien rapportait que le groupe français Vinci était mis en examen pour « travail forcé » et « réduction en servitude » sur ses chantiers qataris. Des cadres étaient accusés d’avoir soumis des ouvriers à des conditions proches de l’esclavage moderne, y compris pendant la préparation de la Coupe du monde 2022. A noter aussi que l’une des caractéristiques de ce pays est d’avoir une population de 3 M composée de plus de 85% d’étrangers. D’autres entreprises françaises, comme Bouygues et Accor, ont également été épinglées pour leur rôle dans l’exploitation de main-d’œuvre migrante (Le Parisien, novembre 2022). Le site Multinationales.org documente le cas de Bouygues, accusé de fermer les yeux sur les violations des droits humains sur ses chantiers au Qatar.
Par ailleurs, les conditions des femmes au Qatar restent un sujet suffisamment documenté pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur la nature du régime quant à l’absence d’égalité des droits et aux principes de discrimination qui est au cœur du droit qatari.
3. Le Qatar et l’achat d’influence en France et en Afrique
Au-delà des questions sociales, le Qatar est régulièrement accusé d’utiliser sa richesse pour acheter des influences et des allégeances.
Le Paris Saint-Germain (PSG) : le club de football est devenu un outil de soft power majeur pour le Qatar depuis son rachat en 2011. Le site du PSG vante les ambitions sportives et internationales du club, sans mentionner les enjeux politiques sous-jacents.
L’affaire Sarkozy-Platini : Le Monde révélait en novembre 2022 que Nicolas Sarkozy et Michel Platini étaient visés par une enquête française sur l’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar. Selon Marianne, Sarkozy aurait joué un rôle clé dans cette attribution, en échange de soutiens politiques et financiers.
- Mission Ouattara en Côte d’Ivoire : Afrique sur 7 rapportait que Nicolas Sarkozy s’était vu confier une mission par Alassane Ouattara, partenaire du Qatar en Afrique de l’Ouest. Cette mission illustre les réseaux d’influence qataris sur le continent, où Doha investit dans les secteurs miniers, agricoles et logistiques.
En conclusion : une stratégie délibérée
La contradiction entre l’image humanitaire du Qatar et les réalités sociales et politiques est le fruit d’une stratégie consciente qui achète la complaisance et en fait des complicités. Doha utilise des médiations à fort retentissement médiatique pour détourner l’attention des critiques sur les droits humains et sur son sexisme légalisé, et consolider son influence géopolitique.
La médiatisation de ses réussites diplomatiques est ainsi une habileté qui tend à démontrer une utilité sur la scène internationale en scénarisant une légitimité de sa sécurité. Cette approche, qui peut être qualifiée d’« opportuniste humanitaire », lui permet de se poser en partenaire indispensable tout en maintenant des pratiques controversées sur son sol et à l’étranger.
Le Qatar n’a donc pas une politique altruiste. C’est un acteur qui utilise des leviers financiers et de communication – médiations humanitaires, investissements ciblés, achats d’influence – pour maximiser son pouvoir local et international. La contradiction n’est qu’apparente ; elle est le reflet d’une realpolitik assumée, ce qui ne saurait occulter les ombres portées de son modèle : l’exploitation persistante des travailleurs migrants et une influence qui apparaît achetée à coup de milliards.
Parmi les sources
- QNA.org.qa
- AA.com.tr
- Radio France International
- Soft power est un concept popularisé par Joseph Nye pour désigner la “manière douce” d’interagir d’un Etat sur les autres.
- Monde Diplomatique 2018
- Challenges (l’escalavage moderne au Qatar)
- Amnesty International (rapports sur les droits des travailleurs au Qatar)
- visitqatar.com/
- Le Parisien (enquêtes sur Vinci, Bouygues et Accor)
- Multinationales.org
- hrw.org/fr/
- Site officiel du PSG
- Marianne (rôle de Nicolas Sarkozy)
- Le Monde (enquête sur l’attribution de la Coupe du monde 2022)
- Afrique sur 7 (mission Sarkozy en Côte d’Ivoire)
- Ouest-france.fr/



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