Pourquoi la « médiation » peine à s’imposer au Liban ?

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Médiation d’amateur, conciliation et juridisme volontaire

Non, je ne suis pas d’accord avec la manière dont certains prétendent promouvoir la médiation appliquée dans les contextes conflictuels, pas plus que de la culture de la médiation qui peut servir la société civile toute entière. Je ne suis pas en accord non plus avec leur style de médiation qui n’est ni plus ni moins que du juridisme forcené, teinté de morale et de psychologisation, dont l’objectif est de convaincre et non pas d’aider à décider par soi-même.

J’ai initié la « médiation professionnelle », préconisé la médiation obligatoire, défini l’inimaginable discussion, mis en évidence la définition des différends, et je démontre l’intérêt de la reconnaissance du droit à la médiation. Comment faire entendre ces idées qui semblent si peu compréhensibles par ceux qui veulent imposer toujours le même modèle ? L’idée est simple, comme pour promouvoir la médiation, une médiation professionnelle, rien ne vaut le débat, la polémique, l’affrontement des arguments.

A qui s’adresse cette « harangue » ?

Le débat s’ouvre…

Amateurs de la médiation, bricoleurs des ententes forcées, retraités de la justice, conciliateurs de fin de semaine, formateurs copieurs, merci d’affuter vos arguments, parce que votre crédibilité est interpellée quant à votre revendication de pouvoir exercer sérieusement une médiation qui ne soit pas la continuité de la même chose correspondant à ce que vous attendez des autres : qu’ils se conforment, non qu’ils décident par eux-mêmes.

Pourquoi la médiation peine à s’imposer auprès des entreprises libanaises ?

[pullquote]Le droit est un environnement d’interprétations et d’affrontements. La médiation est un nouveau paradigme que les porteurs de cette pathologie sociale qu’est le juridisme cherchent à capter.[/pullquote]

La question revient à un journal libanais, L’orient le jour du 1er juin : Pourquoi la médiation peine à s’imposer auprès des entreprises. L’article relate la tenue d’un évènement sur la médiation commerciale, tandis qu’avec des représentants de la Chambre Professionnelle de la Médiation et de la Négociation – CPMN et de l’Ecole qui lui est rattachée, l’EPMN, nous participions à un évènement sur la même thématique à Abidjan. C’est dire si le sujet intéresse et mobilise. En Côte d’Ivoire, plus de 250 professionnels, acteurs économiques, sociaux et politiques étaient présents. Aujourd’hui, les demandes affluent de réitérer l’événement. Que se passe-t-il alors au Liban ? Il semble bien se passer exactement ce que nous avons pu éviter à Abidjan : la main mise sectorielle des professions du droit sur une nouvelle profession qui par définition doit s’en démarquer : le droit est devenu un environnement d’interprétations et d’affrontements, tandis que la médiation est le contexte exigeant de la compréhension et du dialogue. Un tout autre paradigme et ce n’est pas qu’un mot, c’est une affaire de posture, de culture et de projet relationnel.

L’argument qui consiste à dire que la médiation ne parvient pas à s’imposer quelque part a pour effet (sinon pour but ?) de desservir la médiation. Iriez-vous voir un film à propos duquel on dit « Ce film ne parvient pas à trouver son public ? ». Peut-on trouver meilleur argument pour écarter les personnes de la médiation ?

Ce que je peux vous dire, c’est que le dispositif de médiation que j’ai initié n’est pas une affaire d’amateurs : il aboutit nécessairement à un résultat, c’est pourquoi le slogan de la CPMN est « un médiateur, une mission, un résultat ». Il existe bien trois issues que ce processus permet de mettre en oeuvre et c’est une garantie pour les usagers de cette médiation, la médiation professionnelle, discipline enseignée exclusivement à l’EPMN.

La médiation professionnelle, une profession liée à la liberté d’expression

Très clairement, la médiation ne doit pas être placée sous une tutelle. Les médiateurs doivent pouvoir exercer dans les mêmes conditions de liberté que les journalistes. Si on veut la conduire aux mêmes résultats que la conciliation, il suffit d’en faire la même chose : la laisser se contaminer par cette nouvelle pathologie sociale qu’est le juridisme. Ceux qui y voient une provocation, une attaque, une mise en cause du professionnalisme des avocats et des professions du droit se trompent : chacun à son professionnalisme et les conflits ne seront pas gérés, mais orientés vers les possibilités de résolution qui s’offrent quand on se consacre à cet objectif. Le système du rappel juridique et de l’encadrement légal existe déjà avec la conciliation. Laissons donc au monde du droit la conciliation. La médiation professionnelle peut devenir un moyen au service de la société civile, sans que le monde du droit soit invité à superviser, contrôler, encadrer ce qui relève de la liberté relationnelle et contractuelle.

Mettre en place le « droit à la médiation » par la reconnaissance constitutionnelle et le renforcement des pouvoirs du juge

[pullquote]La médiation juridique peine à s’imposer, ce qui n’est pas le cas de la médiation professionnelle dont les résultats satisfont même ceux qui y viennent à contrecoeur.[/pullquote]

Pour en arriver là, il convient de mettre en place les modalités de l’exercice d’un nouveau droit lié aux droits Humains, celui de la liberté, garantie dans son exercice par l’Etat et son instrument contraignant qu’est le sytème judiciaire : le droit à la médiation.

Celui qui accepte la médiation dans le cadre d’un différend reste dans le champ de la liberté, en l’occurence de la liberté de décision ; celui qui refuse la médiation fait par définition obstacle à l’exercice de la liberté de décision, en cherchant à faire que la partie adverse se soumette, plutôt que de poursuivre la discussion accompagnée par un tiers, le médiateur professionnel. Cette posture hostile doit rencontrer une détermination de garantir l’exercice de la liberté de décision, celle donnée par le législateur et garantie par le juge qui se trouvera habilité à sanctionner celui qui fait obstacle à l’exercice de ce droit fondamental. Il pourra aussi faire supporter à celui qui a refusé le dialogue les frais engagés dans le cadre de la procédure.

Pourquoi donc la médiation est-elle difficile à faire passer dans la vie économique et culturelle ?

La réponse à cette question exprimée d’un ton navré apparaît : les acteurs économiques ne s’y trompent pas. Si la médiation est de même nature que la conciliation, pratiquée souvent sans conviction, formalité d’usage d’un système procédural encombré, s’il s’agit de refaire la même chose avec les mêmes acteurs aux commandes, l’enthousiasme ne saurait être là. On pourra faire tous les colloques, toutes les propagandes, toutes les communications, on ne pourra qu’avoir le résultat obtenu, nommer des appellations sectorielles « médiation familiale », « médiation judiciaire », l’échec est assurément au rendez-vous. Mais si une discussion vient témoigner de ce que la médiation est une affaire professionnelle, exercée avec les compétences indispensables au démontage de la dynamique émotionnelle au coeur des différends, alors la médiation professionnelle ne s’impose pas, mais est une évidence.

Le paradoxe réside bien dans la démarche qui consiste à dire extra-judiciaire ce que certains juristes ne veulent pas laisser leur échapper, comme si une relation devenue conflictuelle et potentiellement judiciarisable appartenait au monde du droit.

L’argument financier de moindres dépenses n’est certainement pas un argument pertinent : ça se saurait si les parties étaient plus intéressées par le fait de ne pas dépenser que par la motivation émotionnelle de donner une leçon à l’autre en même temps que de l’entraîner dans une procédure coûteuse. C’est donc sur ce qui motive qu’il convient de travailler et ce qui motive est la confusion pascalienne : la raison du coeur, l’exercice du plus malin ou du plus fort, ce qui fait bouger, se mouvoir, l’émotion…

Pour les petits entrepreneurs qui font appel à l’entremise d’un tiers moralisateur, les autorités religieuses, c’est bien le témoignage de leurs aspirations à trouver un accord. L’absence d’efficacité de cette pratique n’entame en rien la recherche des parties, elle pointe seulement ce qui est déjà fait par ailleurs, le besoin de méthodes, de processus de ceux qui veulent exercer en médiation. Ainsi, dans tous les cas, la médiation ne doit pas être conçue comme un moyen au service de l’appareil judiciaire, ni dépendant de lui, mais un moyen au service des citoyens, relevant de la société civile.

Le manque d'imagination conduit l'université saint-joseph à surfer sur le partenariat de l'école catholique en reprenant des mots clés de l'EPMN et de la CPMN
Le manque d’imagination conduit l’université saint-joseph à surfer sur le partenariat de l’école catholique en reprenant des mots clés de l’EPMN et de la CPMN

L’imitation n’est pas non plus un instrument de garantie de compétences, au contraire

Enfin, j’ai remarqué le langage tenu par le centre catholique libanais, à Beyrouth, qui anime cette conférence et il m’a été déjà désagréable de devoir intervenir auprès de lui pour lui demander de cesser d’utiliser le référentiel de l’EPMN et de la CPMN. Le fait de l’utiliser ne lui donne pas les compétences et les exigences que nous affirmons, notamment la laïcité qui lui échappe.

Ainsi, pour terminer, rassurez-vous, ce n’est pas qu’au Liban que cette forme de médiation a du mal à s’imposer. L’alternative se fait avec la médiation professionnelle qui offre un véritable moyen pour permettre aux parties d’un différend de s’en sortir. En tant que discipline, elle apporte les fondamentaux de la qualité relationnelle qui peuvent être dispensés dans les formations initiales et les formations continues.

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Jean-Louis Lascoux
8 années plus tôt

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