La qualité relationnelle, pilier du management au 3° millénaire

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La « qualité relationnelle » semble être devenue l’un des piliers du savoir-faire en management. Ce concept que j’ai énoncé voici six ans, comme lié à la médiation professionnelle, initiée dès 1999, est rentré dans le langage courant, associé le plus souvent à celui d’ingénierie relationnelle. Pourtant, au début, lorsque je parlais de qualité dans les relations, ils étaient nombreux à m’affirmer ne pas voir le rapport, parce que pour tout le monde le terme de qualité renvoyait à l’idée de norme ISO et personne n’imaginait alors pouvoir considérer que le rapprochement de la qualité et de la relation pouvait être pertinent.

Désormais, dans un souci de pérennisation des organisations, il appartiendrait aux professionnels des ressources humaines de lui faire toute la place qui lui revient. Cette thématique, issue de la médiation professionnelle, devrait interpeller chaque dirigeant d’entreprise.

Il est désormais convenu qu’on « ne dirige plus les hommes comme avant ». D’ailleurs, c’est bien simple, même à l’armée les corvées ne sont plus attribuées comme jadis. A l’école, on ne fait plus prendre les distances, bras tendus devant et prise des marques sur les côtés. Déjà à l’époque, les choses n’étaient pas aisées pour qui cherchaient à vaincre les récalcitrants.

Aujourd’hui, la quête éducative ne simplifie pas le travail des enseignants eux-mêmes formés à la vieille école. Aucune organisation n’échappe à ce raz-de-marée sur les modèles de l’autorité et de la soumission. Malgré les tentatives arc-boutées contre les mises en cause de toute nature, le lien de subordination est réinterrogé.
Des organisations très hiérarchisées ont bousculé leur modèle pour faire entrer le dialogue social et la qualité relationnelle en vue de comprendre les phénomènes de désobéissance associés à l’implication, de prévenir les risques de démotivation, de découragement, voire d’écœurement professionnel. Même la mondialisation, avec les manœuvres économiques de délocalisation se heurte à l’évolution des mentalités. Partout, les hommes prétendent de moins en moins subir. Chacun se met en posture d’exiger que le fardeau de l’existence devienne de plus en plus léger.

Alors, on n’exerce plus une autorité sans être interpellé sur ses éventuelles conséquences collatérales. Il peut devenir délicat de démêler ce qui est de la surcharge professionnelle de l’implication volontaire et du zèle, tout autant que de ce qui est de la démotivation ou du « syndrome d’épuisement professionnel ».

Les organisations responsables de la santé relationnelle des citoyens ?

N’allons pas trop vite. Ici on parle de souffrance au travail, là d’éthique. Tous les dirigeants sont tenus de se préoccuper de la santé de leurs salariés. Il y va maintenant de la santé mentale en plus de la santé physique au travail. Avec la législation, en jouant de sémantique, des prestataires ont trouvé la veine pour placer leur perfusion sur les entreprises. Mais concernant le sujet lui-même, rien de bien nouveau.

On retrouve trace de la préoccupation de la santé des citoyens dans les frémissements de la révolution française. En 1700, Vauban, spécialiste des grands chantiers, conseillait au roi de mettre en place des moyens pour protéger la santé de ses travailleurs. Ca n’a pas marché. Il n’a pas été suivi par les seigneurs locaux qui n’ont pas voulu prendre en charge sa proposition du genre sécurité sociale. Dans « l’esprit des loi » (1748), Montesquieu, plus généraliste, énumérait les obligations de l’Etat qui devait garantir à chacun, selon lui, « un genre de vie qui ne soit pas contraire à sa santé. ».

Le sujet n’est donc pas nouveau et la responsabilisation des dirigeants sur la santé des personnes qu’ils gouvernent non plus. En regardant l’évolution des droits et des obligations, il est logique que santé et bien-être soit aussi considérée au regard des rapports à l’autorité. Cette logique est en lien avec le rapport dominant/dominé, avec l’entretien d’un rapport de force. Mais faut-il pour autant médicaliser les relations humaines ? Dans les contextes où la compassion est fortement agitée, c’est un travers dans lequel il apparaît facile de tomber.

Obligation de prévention des risques professionnels et droit de retrait

La responsabilisation devenue juridique se confond avec une accusation possible : « Vous n’avez pas rempli votre devoir de protection. » Pourquoi ? Parce qu’il est convenu que la servitude va de paire avec l’exercice d’une mise sous tutelle.

Au XXI° siècle, dans les pays Occidentaux, ça donne : « Tu diriges, ce qui implique que tu as des personnes sous ton autorité, alors elles t’obéissent, donc tu dois assumer les conséquences de leur servitude, notamment sur leur santé. – Oui, même si elles t’obéissent de moins en moins. » Cette idée fait l’objet d’une ré-interrogation depuis quelques temps déjà. La Boétie est passé par là, avec son « Discours sur la servitude volontaire » (1549). Son cheminement a consisté a interpellé chacun quant à sa responsabilité organisationnelle.

Allant dans le même sens, Descartes en a rajouté une super couche avec son « Discours pour bien conduire sa raison »(1637). Il a proposé à chacun de « ne pas prendre pour soi ce qui ne l’est pas » et d’emprunter les chemins de l’affirmation de soi. Pas simple, mais ce qui peut signifier que « tu peux faire le choix de partir au lieu de subir. »

Dans une organisation qui fait le choix de la qualité relationnelle, c’est la responsabilité individuelle qui est promue ; c’est tout autant l’affirmation de soi qui est attendue que l’implication éclairée de chacun pour participer au projet de l’entreprise. Dans cette perspective, en 1982, on a inventé le droit de retrait. Désormais, « Tu peux faire le choix de cesser de t’exposer.».

Ainsi, si les employeurs ont une obligation de protection contre les risques liés à l’exercice d’une activité professionnelle, le salarié a la possibilité de se retirer dans le cas où il pourrait se sentir menacé. Par conséquent, le lien de subordination n’est plus assimilable à un devoir de docilité ni de soumission. Il semble néanmoins convenu que la personne ayant un statut de salarié aurait moins de capacité de vigilance que celle ayant un statut d’employeur puisque c’est ce dernier qui est condamné dans le cas où un salarié n’aurait pas exercé à temps son droit de retrait.

Mais quoi, avec ce système de répartition des obligations d’un côté et des droits de l’autre, n’entretient-on pas un système d’adversité ? Et si on mettait en place un modèle d’altérité à la place du modèle qui fonctionne sur les antagonismes ? Les conséquences sont multiples. Du même coup, il s’agirait aussi moins d’une affaire de médicalisation des problématiques relationnelles que d’une affaire d’éducation ou de formation tout au long de la vie, en l’occurrence sur la thématique des attitudes et des comportements. Ca mérite d’être réfléchi. Ca mérite d’être bien intégré.

La qualité relationnelle, un changement de paradigme

Restons un instant de plus sur la posture d’autorité et de servitude. Enfermés dans ce système, les managers peuvent avoir le sentiment qu’ils ont comme alliés les acteurs des systèmes arbitraux. Cette croyance est tout aussi illusoire que l’inverse. Les systèmes d’autorité fonctionnent souvent en autarcie, avec des référentiels corporatistes. Ce qui est néanmoins certain, c’est que l’évolution des entreprises a créé une dichotomie de fonctionnement :

  • soit on continue à s’en référer à un système autoritaire, ou à le réparer coûte que coûte, comme si les changements culturels lui faisaient subir des distorsions et le rendaient en quelque sorte malade (on parle « d’organisation pathogène », et on met des emplâtres avec des systèmes compassionnels et de fatalisme sur la déresponsabilisation ;
  • soit on recherche des dispositifs visant à soutenir les efforts de responsabilisation, à encourager la quête d’autonomie, à soutenir la recherche de perfectionnement et l’éducation dans tous les domaines, même celui de l’affirmation de soi.

Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de faire appel à des tiers. Mais dans le premier, c’est pour tenter d’en restaurer le vieux modèle, dans le second c’est l’accompagnement d’une inévitable évolution de civilisation. Cela donne une ambiance générale dans les relations internes en entreprise. Les managers, et notamment ceux qui exercent les fonctions dans les ressources humaines, ont un chantier ouvert sur la mise en place de dispositifs, non pas pour favoriser l’implantation d’instrumentation de victimisation, mais pour soutenir la quête de la responsabilité individuelle qui est associée à la qualité des relations.

Pour la qualité des relations, internaliser la médiation professionnelle

Il s’agit de changer de référentiel. Il ne s’agit plus d’en appeler à la servitude et donc à l’exercice d’une autorité de fonction. Ce n’est plus « Vous n’êtes pas là pour donner un accord quant à la tâche elle-même, à la rigueur sur la manière, mais pas sur la finalité. » ou bien : « Vous ne vous entendez pas, écoutez moi !». C’est un changement de paradigme qui s’appuie sur une autre manière de considérer « l’autre ». C’est l’introduction de l’altérité dans les organisations, avec tout un ensemble d’avantages en interne et en externe dans la culture de l’entreprise.

Concrètement, la qualité de la relation doit entrer dans un projet global d’entreprise. Avec elle, la médiation professionnelle en devient l’outil. Ce changement implique qu’il ne s’agit plus d’exercer des pressions pour obtenir une soumission fataliste. Le « référent qualité relationnelle », un médiateur professionnel interne, doit savoir aider à réfléchir pour aider à décider et soutenir une implication volontaire. Dans ce changement, le management s’appuie ici sur la quête de la qualité des relations, ce qui permet précisément d’anticiper les risques de la dégradation relationnelle. Les dirigeants laissent la posture d’autorité sur les personnes pour privilégier le projet de l’entreprise et son rôle sociétal. Il confie aux professionnels de la relation ce qui relève de leur spécialité. Ils peuvent faire le choix d’internaliser ces compétences ou de recourir à des prestataires extérieurs.

L’idée peut paraître simple. Faut-il y voir un paradoxe ? Cette évolution d’un meilleur exercice de la qualité des relations apporte une garantie d’implication. On cesse d’avoir peur des non-dits qui, quoiqu’il en soit, alimentent les rumeurs. Les salariés ne sont plus confortés dans une position de servitude avec la plainte de victimisation qui va avec. Non seulement on sort du modèle compassionnel qui conforte la déresponsabilisation, mais aussi de la médicalisation de l’entreprise.

L’idée se concrétise par la mise en place d’un dispositif de « référents qualité relationnelle », pour répondre à tous les salariés exposés à des difficultés interpersonnelles au travail. Ces référents sont liés à l’organisation des médiateurs professionnels (1), de sorte qu’ils ne soient pas exposés à la solitude qui oppresse les personnes exposées à l’émotionnalisation dans les organisations. Ce lien professionnel consolide le dispositif en le plaçant en dehors des rapports hiérarchiques, et lui apporte les piliers de la médiation professionnelle.

Et cela peut se faire rapidement grâce à la volonté des dirigeants. En effet, les managers d’aujourd’hui sont en position d’intermédiaires dans l’évolution culturelle de nos organisations. Ils peuvent faire le choix d’accompagner le changement en cours. Ils sont embarqués et c’est à eux d’apporter les touches facilitatrices d’une organisation qu’ils peuvent améliorer. Dans cette perspective, la médiation professionnelle est à leur service, de manière indépendante, neutre et impartiale.