Transposition de la directive européenne sur la médiation civile et commerciale

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Parrainage du Ministère de la Justice
Le ministère de la justice dans la précipitation des lobbys d'une médiation pour obéir ?

Les nouvelles dispositions prises par le gouvernement en matière de médiation contreviennent à plusieurs aspects fondamentaux pour l’exercice de la médiation. Comment la médiation professionnelle peut-elle être pratiquée dans le respect de ses engagements qui, plus clairs, vont parfois au delà des dispositions légales ?

Une nouvelle atteinte à la liberté de décision…

Après un travail qui pourrait sembler très important, une mobilisation institutionnelle allant de différents ministères au Conseil d’État, un site internet dédié à une consultation publique, des actions de lobbying à tout va de la part de professionnels du droit, de regroupements syndicaux, d’association de bénévoles intervenants dans la sphère judiciaire, et, pour ne pas le cacher, de la part de la chambre professionnelle de la médiation et de la négociation, enfin, après tout cela, presqu’à bout de souffle, voici l’Ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011 portant transposition de la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale.

On n’y croyait plus. Mais, dans ce jeu où la démocratie se perd, qui l’a emporté ? A première lecture le texte n’aurait pas changé grand chose. Il ne changerait rien. Il ne présenterait a priori que l’auto-satisfaction institutionnelle française d’avoir depuis plus d’une décennie des textes sur la médiation. Mais ce n’est pas juste : ce texte est chargé d’inepties, d’invraisemblances, d’absurdités et d’anti-constitutionnalité. Les rédacteurs ont trouvé de quoi faire obstacle à l’exercice des libertés, notamment de la liberté individuelle, laissant certainement au conseil constitutionnel le soin de démêler l’affaire.

Sur la définition de la médiation

En tant qu’initiateurs et promoteurs du concept de « processus structuré » relativement à celui de la médiation professionnelle, nous pourrions être satisfaits d’y trouver l’expression. Les médiateurs professionnels savent qu’il s’agit d’un processus en deux grandes étapes : la préparation individuelle des parties suivie de l’organisation et de l’animation de leur rencontre. Il s’agit de permettre aux parties de se positionner dans leurs attentes, besoins, aspirations, de définir leurs limites et représentations des enjeux pour ensuite pouvoir confronter leurs points de vue. Ils doivent dégager une sérénité suffisante pour la résolution de leur différend. Les médiateurs professionnels savent qu’un tel processus est structuré au sein de chacune de ces deux étapes. Il découpe l’entretien en trois parties et la réunion également. Cette structuration a pour effet de permettre aux protagonistes de bien conduire leur intervention en vue de reprendre la relation, de l’aménager ou de la rompre. Il s’agit des issues de l’altérité, telles qu’elles peuvent être mise en parallèle à celles de l’adversité. Dans le texte, ils découvriront que le rédacteur officiel entend que « processus structuré » est un déroulement sans rigueur ni consistance, ce qui les place bien au-delà de la moyenne de la limite de compétence :

« La médiation (…) s’entend de tout processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur, choisi par elles ou désigné, avec leur accord, par le juge saisi du litige.

Pour une rédaction ridicule, elle mérite d’être paraphrasée avec une application au système judiciaire. Nous devrions pouvoir lire, sous la plume de ce rédacteur que « La justice s’entend de toute décision arbitrale, quelle que soit sa dénomination, par laquelle deux ou trois parties tentent, essayent, cherchent probablement en vain, de parvenir à une soumission, voire une résignation en tout cas un abandon de leur libre décision… etc…« 

Faut-il en déduire que la médiation peut être appelée autrement et que ça serait la même chose ? La nuance conceptuelle échapperait-elle au rédacteur de cette ordonnance ? Il est quand même rappelé plus loin que le médiateur est défini par décret du Conseil d’Etat, lequel renvoie en fait à l’article 131-5 du Code de Procédure Civile (NCPN), selon le rapport au président de la république.

L’ordonnance indique, art. 21-4, une notion de droit évidente : un accord de médiation ne peut pas prévoir que les parties pourraient disposer d’un droit dont elles ne disposent pas. De cela, tout le monde en était sûr bien avant.

Ce texte exclut la médiation pénale, comme si le mieux ne serait pas de changer le nom de cette pratique qui relève du système répressif.

Sur l’exercice de l’activité de médiateur

Qui peut faire médiateur ? Qui peut être considéré comme professionnel dans le domaine de la médiation ? Quelle compétence, quelle formation ? Voilà qui nous intéresse. Les portes restent ouvertes : tout le monde peut continuer à s’engouffrer dans cette nouvelle activité ou profession. Pour le rédacteur de cette ordonnance, le médiateur doit faire preuve d’impartialité, de compétence et de diligence. Aucune autre spécificité. La neutralité quant à la solution, l’indépendance relative à une autorité, point. Ces deux aspects de posture resteront donc des exigences liées à l’appartenance à la Chambre Professionnelle de la Médiation et de la Négociation dont le Code d’Ethique et de Déontologie – le CODEOME – restera fondateur des règles et principes fondamentaux pour l’exercice de la médiation professionnelle.

La qualité et la rigueur professionnelle, avec les trois éléments de posture : impartialité ( relativement aux protagonistes), indépendance (relativement à toute forme d’autorité – tutélaires et culturelles) et neutralité (relativement à l’aboutissement et à la solution), continueront donc d’être des exigences spécifiques des médiateurs professionnels, exclusivement membres de la Chambre Professionnelle de la Médiation et de la Négociation – la CPMN.

Concernant la garantie de confidentialité

La garantie de confidentialité est souvent interrogée par les médiateurs professionnels. L’ordonnance tend à contraindre les médiateurs à être des dénonciateurs publics. Il est évident que cette obligation faite par l’article 21-3-a indiquant que les constatations du médiateur peuvent être divulguées  « En présence de raisons impérieuses d’ordre public ou de motifs liés à la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ou à l’intégrité physique ou psychologique de la personne « , ne saurait s’imposer au médiateur professionnel qu’en cas d’incompétence manifeste de ce médiateur dans la conduite de son processus. S’il porte des jugements, qualifie, juridicise, alors il contrevient à son rôle, et dans ce cas il pourrait écouter au regard de l’ordre public et d’éventuels intérêts de tiers absents. S’il fait son travail, il ne saurait être tenu à une obligation qu’alors il ne saurait enfreindre. Ce comportement rigoureux, de distance indispensable à l’accompagnement de personnes en conflit, ne sauraient engager plus avant les parties lesquelles peuvent bien publier autant qu’elles le souhaitent leur accord.

Il convient que les médiateurs professionnels soient très vigilants à ne pas se faire manipuler. Ils ne doivent en aucun cas considérer comme des réalités ce qu’ils entendent. Les mots restent des mots. Les propos jaillis de la surenchère conflictuelle ne sont pas des réalités. Il s’agit de propos tenus dans le contexte d’une dynamique conflictuelle. C’est aux parties de prendre leurs responsabilités. Le médiateur peut confronter chaque protagoniste à sa responsabilité éventuelle, mais pas se substituer aux parties.

Les notes d’un médiateur professionnel prises lors des réunions ou des entretiens doivent rester strictement confidentielles. Le médiateur ne saurait enquêter. Le médiateur doit rester distant, soit impartial et indépendant, même de la raison d’État, de l’ordre public ou des bonnes mœurs. Sinon, par défaut d’indépendance, il serait de parti pris, ce qui contreviendrait à la posture que le rédacteur a considérée comme indissociable de l’activité de médiateur.

Les médiateurs ne sont pas des témoins et ne doivent pas être impliqués dans cette posture. S’il en est besoin, l’ordonnance doit être modifiée dans ce sens. Cette rigueur de confidentialité est dans tous les cas la posture que défendra la chambre professionnelle de la médiation et de la négociation.

Sur la durée de la médiation

Il appartiendra toujours aux parties, en matière conventionnelle, de poursuivre leurs échanges sur la durée dont elles ont besoin pour se déterminer et arrêter une décision de clôture de leur différend. Toutefois, en matière judiciaire, pour que l’affaire soit maintenu sous la tutelle du juge, un premier délai de trois mois reconductible devra être respecté.

Des conditions spécifiques sont prévues en matière administrative, pour ce qui concerne les créances publiques liées à des différends transfrontaliers. La prescription ne peut être suspendue plus de six mois. Toutefois, le rédacteur n’a rien prévu dans le cas où les parties conviendraient de mettre un terme à une médiation et d’en recommencer une autre.

Selon l’ordonnance, le médiateur pourrait arrêter la médiation. Dans le cas des médiateurs professionnels, ceux-ci sont tenus à mettre un terme à leur mission, si telle est leur limite, et de proposer aux parties un autre médiateur professionnel. Les médiateurs professionnels ne peuvent pas mettre un terme à une médiation si les parties souhaitent la poursuivre, même s’ils interviennent dans le cadre judiciaire. Autrement dit, pour la médiation professionnelle, seules les parties peuvent mettre un terme à la médiation.

En matière judiciaire, et telle que prévu par l’ordonnance et les textes en vigueur, le juge peut aussi à tout moment mettre un terme à la médiation. C’est le principe de la mise sous tutelle du différend qui autorise le juge à décider de ce qui est pertinent ou non pour la résolution du conflit.

Sur le devenir de l’accord

L’accord issue d’une médiation ne diffère en rien d’un libre contrat ou d’un avenant. C’est un abus juridique que de lui conférer un autre caractère, qui plus est un caractère suspicieux quant à sa validité, ce qui justifierait une homologation judiciaire.

L’ordonnance vient, par son article 21-5, entacher la liberté contractuelle en introduisant la possibilité officielle de contrarier la libre décision par l’homologation du juge. Une telle homologation ne peut être pertinente que si l’une des parties suspecte l’autre de ne pas respecter ses engagements.

Sur l’anticonstitutionnalité

Selon l’ordonnance visée, par son article 24, sous son titre de dispositions finales, la médiation ne pourrait pas être mise en place dans le contexte prud’homal, sauf s’il s’agit de conflits impliquant des personnes dont les domiciles ne sont pas dans le même pays européen.

Il est précisé, article 25, qu’un décret en Conseil d’Etat clarifierait cette disposition. Selon notre point de vue, ça sera plutôt le Conseil Constitutionnel qui tranchera la question. En effet, on ne voit pas au nom de quelle prérogative on interdirait à des personnes de se rencontrer en présence d’un tiers pour discuter de la manière dont elles pourraient mettre un terme à un différend, quel que soit le stade d’une procédure. On pourrait croire ici qu’une forme dictatoriale s’éveille. Il faut bien voir là un effet d’un lobbying intensif et regrettable. Les intérêts des personnes en conflit ne sont pas la motivation de cette disposition.

La liberté de choisir est directement mise en cause. La CPMN rappelle aux organisations des partenaires sociaux qu’empêcher des personnes de recourir à la médiation est non seulement illusoire mais contraire à la règle constitutionnelle de la liberté individuelle.

Sur le renvoi aux dispositions antérieures

L’ordonnance fait plusieurs renvois sur un décret du Conseil d’Etat. Mais s’il apparaît dans le rapport que la plupart des renvois concernent les dispositions de l’article 131-1 et suivant du NCPC, concernant les questions relatives aux litiges transfrontaliers en matière prud’homale, le flou est persistant. Il n’y a rien qui s’applique. En conséquence, il faut attendre les décrets d’application.

Sur l’absence de contenu

Il est regrettable qu’un texte auquel nous avons participé en vienne à être adopté sous cette forme. Vide de contenu utile et pertinent, ce texte ne sert qu’à polluer la médiation et son développement. Ce qui aurait pu occuper le rédacteur de manière pertinente porte sur le renforcement de l’exercice de la liberté de décision. Dans cet esprit, il aurait pu édicter les conditions de participation à une médiation : avec ou sans représentant, avec substitution ou présence obligatoire ; conditions de ruptures ou sortie de médiation ; sanction  en cas d’utilisation dilatoire manifeste. Il aurait pu aussi clarifier ce qu’est la médiation relativement à la négociation, la conciliation, l’arbitrage, aux services consommateurs, la défenses d’intérêts, au traitement des litiges par des services juridiques ou administratifs, à la posture de conseil ou de soutien exclusif…

Un prochain rédacteur pourra se pencher sur un travail déjà réalisé qui restera publié sur le WikiMediation. Nous avions fait 10 propositions pour la transposition de la directive. La consultation publique n’a pas permis de se faire entendre, en dépit de notre statut syndical. Le dernier communiqué de la CPMN au sujet de la transposition montre que le rédacteur ne s’en est pas inspiré du tout, préférant ce travail bâclé à un travail utile. Cette situation montre que notre exigence d’être consultés en matière de médiation n’est pas du tout illusoire. Compte tenu des résultats, elle est au contraire une question d’efficacité.