Le juge d’instance et la médiation professionnelle

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Un juge d’instance dit à une médiateur stagiaire venue lui proposer ses services : « Je ne suis pas persuadé que dans le cadre de notre activité juridictionnelle nous ayons beaucoup d’occasions de vous désigner -hors problème spécifique- dans la mesure où existent déjà des conciliateurs de justice bénévoles qui jouent un rôle que le législateur a d’ailleurs voulu favoriser. » Et il poursuit en indiquant :  » Je ne doute pas que la médiation soit une voie appelée à se généraliser. » En attendant, il reste sur la réserve.

Le juge et la conciliation

Le juge se fonde certainement sur le fait que la conciliation est placée au même niveau que la médiation dans les textes de transposition, notamment le décret du 20 janvier 2012. Il a du entendre les informations concernant la conciliation conventionnelle que le précédent gouvernement a créé pour étendre les compétences des conciliateurs de justice à une approche de conciliation extra-judiciaire. Peut-être aussi a-t-il entendu qu’en matière prud’homale, la médiation n’est pas considérée comme bienvenue par les conseillers prud’homaux, lesquels voient leur rôle de conciliateur potentiellement concurrencé.

D’évidence, si les choses sont déjà intégré par le juge concernant la conciliation, avec la médiation, les choses ne sont pas si claires. D’ailleurs, les conciliateurs ne se réclament pas indépendants, tandis que les médiateurs, si. Les médiateurs professionnels précisent même : « indépendants de toute autorité« , ce qui ne correspondant guère à la conception du juge relativement à des auxiliaires de justice dont il préconiserait l’intervention.

Il est normal que le jugel ne cherche pas plus à mettre en cause les habitudes. Mais c’est sans voir les différences. Il convient de constater que le conciliateur intervient avec comme repères constants le cadre juridique et ses propres données d’expertises. Il va donc naturellement y recourir. Le conciliateur est efficace pour les différends ayant peu de rugosités émotionnelles. Il peut écouter et tenir des propos de rassurance. Il peut inviter à la raison et aux convenances. Lorsqu’il n’y a pas de fortes implications émotionnelles, la morale et le droit donnent des résultats. La médiation est un autre concept. Même intégrée comme instrument au service du juge, elle implique l’intégration de la notion de processus. Alors, avec le concept et l’instrumentation de la médiation professionnelle, le juge doit intégrer une pratique visant la libre décision, l’autonomie des parties et de voir son autorité sociétale totalement contournée au bénéfice de la liberté de décision.

Distinguer les médiations institutionnelles et la médiation professionnelle

L’argument principal est que la médiation n’est pas forcément une démarche liée au droit. La juridicisation de la médiation prête à confusion autant que l’idée entretenue que la médiation est liée à la pratique judiciaire. Pour faire avancer les choses, il faut également déjudiciariser la médiation. La médiation familiale est placée sous l’égide du JAF, comme la médiation pénale est placée sous celle du procureur. Il est donc évident que dans cette ligne de pensée, la médiation judiciaire civile soit embarquée sous l’égide du juge. Mais il s’agit d’une forme de médiation, pas de la médiation professionnelle.

Il existe beaucoup de centres de formation et de médiation qui véhiculent des pratiques qui font de la médiation et de la conciliation une seule idée qu’ils combinent d’ailleurs aussi à l’arbitrage. Dès lors ces pratiques de la médiation répondent aux conditions attendues par les magistrats. Mais elles ne correspondent pas aux besoins des protagonistes des différends. Peut-être pourront-ils s’en arranger dès lors qu’ils n’en sauront rien. Certains auteurs d’ouvrages sur la médiation institutionnelle, assimilée à la conciliation, sont clairs dans leurs titres :

La médiation professionnelle est une toute autre conception de l’intervention d’un tiers indépendant, neutre et impartial. Elle est une réponse à des personnes qui sont en conflit et qui peuvent avoir un intérêt, qu’elles pourraient identifier en sortant de la dynamique conflictuelle, à avoir une meilleure relation avec l’autre partie. La médiation professionnelle est l’occasion de privilégier la restauration ou l’instauration d’une discussion pour sortir des non-dits et s’offrir l’opportunité du règlement d’un différend en rétablissant, aménagement ou rompant consensuellement la relation. Ce positionnement vient du fait que la médiation professionnelle est une discipline d’aide à la réflexion sur les stratégies relationnelles. En cela, cette approche de la médiation est plus efficace que les médiations placées sous l’égide d’une autorité. Les médiations de type institutionnel se retrouvent issues des courants de pensée relevant du religieux, du droit ou de la psychologie. La médiation professionnelle est la seule approche rationnelle, méthodologique et structurée des Stratégies et Interactions en Communication (SIC). C’est la seule approche pour travailler en amont du différend, et qui met en perspective la qualité relationnelle. C’est à partir des compétences visant la qualité que les médiateurs professionnels interviennent sur les situations où elle nécessite d’être retravaillée.

La médiation professionnelle est une discipline pour le médiateur. Cette discipline vise à aider des personnes à définir des stratégies relationnelles, pour conduire un projet, un changement ou sortir d’une situation bloquée. Elle consiste dans un ensemble de processus structurés dont l’objectif est de permettre à des personnes de mieux conduire leur pensée. Elle instrumente le tiers médiateur pour qu’il puisse soutenir l’effort d’implication en altérité des protagonistes qui ont besoin de mieux conduire leur pensée, en raison de la nature et de la situation relationnelle.

Les ouvrages que j’ai écrits sur la médiation professionnelle, sont pour le moment au nombre de deux :

Pourquoi un juge hésite a recourir à la médiation ?

Dépassons l’idée répandue que le juge peut hésiter parce qu’il lui est difficile de changer d’habitude de traitement des dossiers. La médiation professionnelle lui apporte une nouvelle voie et il faut un temps d’intégration d’un nouveau process. S’il pense médiation institutionnelle, il ne peut voir ce que cette conception peut lui apporter et apporter aux justiciables. Ce qui peut aussi faire hésiter le juge, c’est précisément le dilettantisme d’un grand nombre de médiateurs.

En réponse, la chambre professionnelle propose des garanties :

  • d’abord la formation, délivrée par le seul organisme certifié ISO 9001, l’EPMN, ensuite le diplôme, le CAP’M, et les conditions institutionnelles de sa délivrance ; ce diplôme est désormais intégré au niveau d’un Master2 avec l’université de Bordeaux IV. Les processus structurés que propose la médiation professionnelle sont également des garanties de compétence puisqu’ils participent des savoirs-faire commun à tous les médiateurs professionnels (CPMN) ;
  • le réseau de la médiation professionnelle, ViaMediation, rassemble les médiateurs et leurs client ;
  • Enfin, pour renforcer tout cela, le Code d’éthique et de Déontologie des médiateurs, le CODEOME, a inspiré quasiment toutes les chartes existantes actuellement, et est l’engagement professionnel des médiateurs de la CPMN qui sont tous assurés (Rcp) en tant que prestataires de service.

En quoi un juge d’instance a raison de ne pas envisager de recourir à la médiation, même professionnelle ?

Certes, la conciliation est gratuite, et la médiation ne l’est pas. Mais l’argument financier n’est pas déterminant. Comme je l’indiquais plus haut, la médiation professionnelle est pertinente dans les cas où l’émotion est telle que le rappel à la règle et aux convenances ne suffit pas. Il s’agit des limites de la conciliation et de nombreuses pratiques de la médiation se retrouvent confrontées aux mêmes limites. Toutes ces approches qui commencent par des rappels au respect par exemple n’ont fait qu’habiller la conciliation sans changer les postures et les processus. La médiation professionnelle offre une méthodologie performante pour travailler sur la spécificité relationnelle typique des affrontements, en même temps qu’elle porte le message constant d’un regard non-accusateur, ni culpabilisant, ni sympathique envers les personnes.

En conséquence, le juge dont le métier est de traiter des différends relevant du tribunal d’instance a toutes les raisons de préférer faire appel à un conciliateur. La solution est le plus souvent technique et la partie émotionnelle n’est animée qu’en raison d’un préjudice quantifiable. Les approches de médiation de type institutionnel sont également adaptées à ce type de différends. Mais lorsque la dimension émotionnelle est plus marquée et qu’elle rend complexe l’examen des aspects techniques ou financier d’un litige, alors le recours à la médiation professionnelle est le meilleur moyen d’aider les parties à mettre un terme à leur dynamique d’affrontement.

Les illustrations viennent de WikiPedia

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anonyme
anonyme
9 années plus tôt

Un immеոsе bravo au сréateur de ce site web

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