La politique de la médiation

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1956

Ça fait longtemps que je remets cet article. Des années, dis-je. C’est donc mon article d’été. Il ne fait pas très beau ce mois de juillet. Des anciens grecs,  certainement parce qu’ils pensaient beaucoup, disaient que le cerveau avait un rôle de radiateur. Expérience…

L’aventure politique de la médiation … professionnelle

Pour faire simple, ce texte revient sur un constat que je fais depuis des années : la médiation des relations n’a pas encore trouvé ses porteurs de projet dans la vie politique. Pour la médiation professionnelle, elle a trouvé ses acteurs sociaux, économiques, éducateurs mêmes. Mais dans la vie politique française, elle reste sans voix. Sa visibilité est comme une ombre qui se faufile. Les partis politiques actuels n’ont manifestement pas la capacité d’intégrer un tel projet, même sous la forme d’un ministère de la médiation qui garantirait la promotion de la démarche sans chercher à se l’approprier. Les leaders manquent d’envergure pour soutenir une posture d’indépendance, d’impartialité et de neutralité. Probablement parce que la médiation, a fortiori professionnelle, emporte en trame de fond, le rapport fondamental de la vie politique à l’autorité. C’est donc une réflexion sur cette thématique que j’amorce dans ces lignes.

Les relations humaines au cœur des préoccupations sociétales

De quoi parlons-nous le plus souvent ? Quel est le sujet qui revient en permanence dans les discussions ? Les comportements humains, ceux des autres et les nôtres. Les tiens et les miens. Maintenant, on pourrait s’amuser à savoir quels sont ceux qui seraient les plus incompris, les plus tolérés, etc. Mais, de toute évidence, au cœur de la cité, les comportements humains sont au centre des débats. Les différends et les relations humaines remplissent les colonnes de toutes les publications et les pages de tous les medias audio-visuels. On en fait des romans et des livres d’Histoire. On en fait des chefs d’œuvres artistiques, des émissions et des équipements ménagers. Les assemblées nationales en font leur sujet de discorde et les codes juridiques regorgent de toutes les recommandations et injonctions possibles, anticipant, préjugeant et qualifiant les attitudes. On invente les prévisions appuyées sur l’histogrammologie qui n’est désormais pas plus à inventer que la statisticomanie.

Ainsi, parler des conflits, parler relation, c’est parler influence, combinaison et combine, sentiment et motivation. C’est de toute façon parler politique. Le sujet est impliquant. Ne qualifie-t-on pas les turpitudes des élus ou des acteurs associés à la direction d’une localité ou du pays, de « politiques » ? Les différends participent ainsi de la vie politique et la manière de les réguler tout autant. Il entraîne tout ce qui fait que des personnes s’entendent, s’allient, se séparent ou s’affrontent.

Les conceptions de la régulation des relations, c’est la vie politique

Avec tout cela, difficile de dire que l’approche des différends ne fait pas partie de la question politique. Reprenons un souffle. Un constat s’impose : la manière dont une organisation sociale régule les relations humaines, et donc les différends, est l’expression de sa politique. L’intervention d’un tiers régulateur ou facilitateur dans les relations devenues difficiles traduit l’idée que l’on se fait de leurs acteurs. Les modes de traitement des différends sont en lien étroit avec ce que l’on pense de l’humain, en termes d’autonomie et de responsabilité réelle face à l’accomplissement du pacte social. Le recours aux forces de l’ordre et le système judiciaire est à cette image.

La conception de la responsabilité des personnes a sensiblement évolué depuis 300 ans. Elle est liée à l’idée de la prise en charge décisionnelle. Les vagues les plus sur visibles de cette évolution sont récentes, 1960-70. Mais on peut en identifier bien avant. Peu importe ici. Ce qui est certain, c’est que la manière dont on propose de réguler les relations interfère sur le discours politique.  Ainsi, la médiation des relations et donc des conflits, fait partie d’un choix de société : soit on impose, soit on aide à décider. C’est le rapport à l’autorité qui est interpellé. C’est ce que l’on se dit, en tant que dirigeant, sur la capacité des autres à décider d’eux-mêmes pour eux-mêmes. La médiation professionnelle, qui s’est fait la place de la discipline de l’étude de la qualité et de la dégradation relationnelle, et de l’aide à la décision, se trouve encore plus exposée. Cette forme de médiation préconise notamment l’intervention systématique d’un tiers lorsque les différends en viennent à rendre les protagonistes incapables de discuter et à abandonner leur décision à un tiers arbitre. Le tiers médiateur professionnel répond à un besoin de même nature que l’instruction obligatoire, celui de s’aventurer par-delà  les limites de ce que l’on a beaucoup de difficultés à imaginer quand la relation est devenue, selon soi, impossible. S’il est possible de poursuivre un parallèle avec l’aventure, le médiateur professionnel est au conflit ce que le guide touristique est au nouveau territoire.

La médiation professionnelle est associée à un projet politique en émergence

De tout temps, il est revenu à la politique de se préoccuper de la régulation des problématiques humaines. Alors, parler médiation, soit l’intervention d’un tiers facilitateur, c’est traiter de manière indirecte de la vie en société, c’est parler politique. C’est cet aspect des choses qui doit être présent à l’esprit quand on en vient à écouter quiconque parler de médiation, parce que tout son propos, tout son vocabulaire, expriment des positions politiques fondamentales. A suivre ce qui se passe depuis plusieurs années en Europe à ce sujet, la médiation des relations humaines et des conflits est un terrain de débat où des idéologies tentent de s’affirmer pour tracer les grandes lignes de conduite de notre organisation sociale.

Cette discussion implique d’effectuer une première clarification qui en entraîne d’autres en cascade. D’abord, et si la médiation n’était pas une alternative à classer parmi les « Alternatives Disputes Résolution » ? Et si, sur le fond, ce qui est l’essentiel, l’arbitrage, la conciliation, la « gestion des conflits » et le système judiciaire n’avait rien de différent ? De toute évidence, tous ces modes ne sont caractérisés par un rapport à une posture d’autorité de fonction s’exerçant sur les enjeux et les intérêts. Leur autre point commun est d’être centré sur une solution qui satisfait bien plus celui qui la rend ou la propose que les protagonistes eux-mêmes. La différence symptomatique entre système judiciaire et arbitrage par exemple, apparaît bien être l’origine des fonds, soit publics soit privés, pour financer le fonctionnement des procédés. C’est l’offre de l’alternative à l’anglo-saxone. Pour les autres modes alternatifs, la discussion est du même ordre.

Ainsi, l’origine américaine de la médiation consiste à voir les choses sous un rapport économico-financier. De ce fait, la médiation est classée avec l’arbitrage, la conciliation et tous les autres modes privés, comme autant d’alternatives au système judiciaire qui serait coûteux, froid, lent, etc. Autant de défauts qui devraient dissuader les « justiciables » d’y avoir recours. Cette approche est présentée comme critique de l’appareil judiciaire au civil, voire au pénal, alors même que ce système est un élément indissociable du ciment qui garantit l’entretien du contrat social et le plein exercice des libertés. La politique américaine lancée dans les années 1970 conduit à cette privatisation comme de tout. Elle offre les instruments de solidarité à la curie de la concurrence libérale. En suivre le chemin, c’est augmenter les inégalités sans garde-fou et par conséquent se précipiter vers des affrontements de nature à compromettre la paix sociale.

La médiation, une alternative à la française ou à l’anglo-saxonne ?

La discussion que j’initie propose une autre conception de la médiation. La première conséquence est de mettre du rationalisme dans l’approche des conflits. La seconde conséquence est d’avoir initié le professionnalisme en médiation. La troisième conséquence de cette recherche a été de développer une discipline spécifique portant que la qualité relationnelle et la résolution des différends.

Le constat de tout à l’heure conduit à observer que si la médiation reste enfermée dans une approche d’économie d’échelle, elle reste aussi cantonnée dans une pratique dilettante. Cette médiation est accolée à l’arbitrage, en tant que mode alternatif de résolution des différends. C’est-à-dire que l’on se représente encore la médiation comme un moyen issu d’une préoccupation de contribuer à faire des économies structurelles. Le discours qui en résulte est totalement à côté de la réalité des motivations des personnes en conflits. Les arguments sont à l’image de ceux qui motivent la mise en place de la médiation : faites des économies de temps et d’argent. Or, si c’était vraiment ce qui motivaient les gens, ça feraient longtemps que la plupart des conflits seraient résolus.

Une alternative qui promeut l’altérité

En effet, en reprenant le sens du terme « alternative », je propose d’observer que nous avons deux manières d’aborder une situation conflictuelle :

  • la première consiste à considérer que nous sommes dans une relation où il faut s’affronter. L’autre est un adversaire ; en tout cas, il l’est devenu. De la complicité dans laquelle nous étions, la relation a dérivé et désormais elle est chargée d’adversité et c’est ainsi, maintenant, qu’il faut la traiter. Ce faisant, je considère avoir fait les efforts suffisants et l’autre, en tant qu’il est un autre moi-même, aurait pu, et même dû voir les perches que je lui ai tendues.
  • La seconde consiste à remonter sur la manière dont les choses se sont dégradées et il convient de constater que la maladresse humaine et le manque de savoir-faire sont plus la cause d’un certain nombre d’enchaînements désagréables qu’une intention réelle et fondatrice de responsabilité. L’absence de maîtrise ou le manque de contrôle apparaissent ainsi sous le projecteur de la compréhension, comme les données premières d’un fatalisme d’ignorance dommageable. Le chemin d’une réflexion en altérité s’ouvre ainsi. L’autre est celui qu’il est, différent de moi qui souhaite être reconnu aussi comme tel, dans ma singularité. L’autre n’est pas un autre moi-même. Je ne peux pas lui attribuer une prescience sur moi, pas plus qu’il ne peut en attendre de moi : il est autre et a besoin d’être reconnu comme tel, au même titre que moi.

L’émergence d’une conception française de la médiation : l’EPMN.

Force est donc de constater qu’il existe une alternative. Mais une alternative à la française, avec deux options dès le départ. C’est sur cette conception, ramené à la proposition de deux voies possibles, et non un ensemble d’autres possibilités, que l’école française de la médiation fonde et dispense son approche rationaliste. C’est sur ce point de départ méthodologique que s’appuie la médiation professionnelle, initiée, développée en exclusivité par l’école professionnelle de la médiation et de la négociation, l’EPMN. Rien à voir, donc, avec les autres formes de médiation qui s’articulent autour de « la gestion des conflits », des idéologies et des courants spiritualistes, de la morale et du droit, ou de cette pléthore de conceptions psycho de la personne humaine. Le premier constat qu’il s’agit de faire est qu’il existe deux manières d’aborder un différend, soit par l’adversité, soit par l’altérité. Il en résulte une palette de langages très spécifiques, désormais identifiés en médiation professionnelle, utilisée dans les contextes d’aide aux autres. Avant tout cela, il en résulte, en miroir, deux conceptions du pacte social : soit il est régulateur de l’adversité que l’on considère comme liée à la nature humaine, soit on le considère comme promoteur de l’altérité, comme ciment de l’aspiration humaine à vivre ensemble. D’un côté comme de l’autre, il faut savoir ce que l’on enseigne, comment on l’enseigne et quand. Tout un projet éducatif et donc tout un projet de société.

C’est pourquoi, désormais, l’EPMN propose ses enseignements et formations dans tous les environnements de l’organisation sociale : vie d’entreprise, vie sociale, vie familiale, vie associative et vie politique. C’est pourquoi les médiateurs professionnels, issus de cette école, s’engagent dans le respect le plus rigoureux de leur Code d’éthique et de déontologie, le CODEOME, pour répondre aux besoins des personnes et de leurs organisations.

La médiation professionnelle n’est pas la médiation sous tutelle

Il résulte de cette approche une différenciation nette de ce qui fait la médiation sous tutelle, qui explique le choix d’un placement sous l’égide d’un Etat, avec l’empreinte implicite d’un positionnement culturel et ses références coutumières et usuelles, de ce qui fait la médiation professionnelle, avec son chemin étroit, difficile à exercer, tant est ténu le cheminement de la raison face aux autoroutes émotionnelles. La différence est également sur le préjugé d’une responsabilité a priori par rapport à la posture rationnelle. Celle-ci permet d’affirmer qu’au départ de nos existences nous ne partons pas avec des acquis comportementaux naturels mais avec une ignorance culturelle totale. C’est de cette manière qu’il faut considérer la responsabilité comme éducable, plus sûrement que la soumission serait façonnable.

Un choix de services pour la promotion des personnes et non l’appropriation des richesses

Il en résulte une orientation générale, portée, avec la Chambre Professionnelle de la Médiation et de la Négociation, par une démarche syndicale professionnelle qui en justifie la nécessité. Avec elle, le projet est orienté dans la poursuite de la transformation sociétale initiée avec la pensée de Descartes et de Diderot.

Il en résulte l’identification de deux systèmes précisément différents avec la promotion d’un rapport inévitable à l’autorité de fonction : politique d’arbitrage, police répressive, justice punitive, encadrement disciplinaire, admonestation préventive, médiation sous tutelle, pratique de la morale, gestion des conflits comme on gère une fatalité, etc. ; ou un autre système offrant une politique de promotion des personnes, d’éducation permanente sur les relations, axée sur la compréhension,  garante de l’égalité des droits, de la préservation de la liberté de décision, avec une police formée à la qualité des relations, une justice en soutien des ententes, une médiation mise au niveau de l’éducation, avec l’obligation d’apprendre pour se libérer d’un différend (médiation obligatoire => droit à la médiation).

Autant d’axes fondamentaux à développer, c’est un choix possible, convergeant dans le sens d’une instrumentation sérieuse d’un projet de société animateur de la paix sociale.

2 Commentaires
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Jérôme Messinguiral
Admin
10 années plus tôt

Il y a la loi et l’esprit de la loi et là je trouve que nous avons la médiation, l’esprit et l’esprit de la médiation professionnelle

Fabien Eon
Fabien Eon
10 années plus tôt

Voici un article fondateur. Et un projet ambitieux. Pour ma part, j’adhère sans réserve.