Entre autonomie et obéissance, que choisir pour développer une entreprise ?

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Pour la rentrée de septembre sur RH-Info, Patrick Bouvard nous a proposé un billet intitulé : « La subordination mal comprise ». Rien à voir avec le contexte scolaire. Il s’agit d’entreprise. Dans son cheminement de réflexion, il suggère que la subordination est un incontournable de toute organisation. Il nuance cependant avec la tentation autoritaire sur laquelle déraperaient bon nombre « de nos entreprises ».

Dans les relations humaines, dans la pratique managériale, dans la conduite de projet, comme dans l’intervention de médiateurs, les notions d’obéissance et d’autonomie sont clé. Aussi, je cite le propos de Patrick Bouvard sur la définition de l’obéissance :

« une attitude de l’esprit, une disposition intérieure à percevoir, écouter, comprendre ce qui est dit, interdit, éventuellement demandé par un autre, sans que cette disponibilité ait pour soi-même un relent d’infantilisation, de soumission, de dépendance dans le respect de l’interdit ou l’exécution de la tâche demandée. Cette obéissance n’est pas du tout antinomique avec la liberté et l’autonomie, et conditionne aussi la manière avec laquelle l’individu disposera du commandement qui lui sera éventuellement confié vis à vis d’autres personnes. Ainsi l’obéissance peut-elle être une force, une disposition à servir un bien commun. »

Fin de citation. Je ne peux m’empêcher de penser à cette idée défendue par certains selon laquelle le conflit aurait du bon. Ici c’est l’obéissance. Ne serait-ce pas une ré-écriture a contrario de la servitude volontaire, dont on doit le discours à Etienne de la Boétie ? Alors, ne serait-ce pas une redéfinition complaisante, voire opportuniste, vis-à-vis de l’entreprise, de l’obéissance ?

Obéissance et subordination 

Certes, nous pouvons convenir d’une nouvelle définition pour un grand nombre de mots. Certes. Mais en attendant, obéir signifie « se soumettre à la volonté d’un tiers » ; obéir c’est se plier et ceux qui utilisent le verbe n’attendent rien d’autre en terme de comportements ; obéir, c’est agir pour celui qui commande, sans marge d’improvisation quant aux moyens ou/ et la fin ; obéir, c’est appliquer des règles, se conduire en conformité, c’est s’incliner face à une autorité ; obéir, ce n’est pas de l’infantilisation, non-non, c’est sûr, obéir, c’est de la servitude. Obéir, ce n’est pas réfléchir, c’est se soumettre en taisant jusqu’à sa pensée.

La subordination nous entraîne clairement sur une représentation sociale. Elle induit la notion de classe, puisque la subordination est une « dépendance par rapport à ce qui a un rang supérieur », autrement dit, le subordonné est à un rang inférieur. Alors, le maître impose l’obéissance et transmet de la suspicion, de la défiance et de la méfiance. C’est une forme de management et, comme le dit Patrick Bouvard, une « similitude avec toute situation existant dans nos entreprises serait naturellement purement fortuite. »

Cependant, cette clarté dans la définition de l’obéissance et de la subordination permet de se situer dans les rapports humains. Nous pouvons mieux voir la représentation de ce que l’entreprise est en passe de devenir et qui ne saurait en rester à un modèle déjà dépassé par le phénomène planétaire de la communication. Il s’agit de deux extrêmes : d’un côté l’obéissance et de l’autre l’autonomie.

Discipline et soumission

Entre obéissance et autonomie, on pourrait glisser la discipline. Pourtant, le saviez-vous, l’administration d’un châtiment au nom d’une décision de justice a été nommé discipline. Au milieu du Moyen-Age (1100), que certains se plaisent à présenter comme une belle époque, pour faire obéir, on massacrait, on faisait un véritable carnage, une tuerie sans pitié, au nom de la justice. Cela s’appelait « appliquer la discipline ». Vers 1500, le concept de discipline est devenu moins sanglant. Il a désigné un fouet pour administrer des coups à ceux qui étaient considérés comme en faute, c’était la flagellation. La discipline a ainsi, longtemps, laissé des traces et dans certains pays de nos jours encore.

La version abstraite de la discipline daterait du XIII° siècle « règle de vie, de conduite, loi morale ». Ainsi, transposé de l’idée de se soumettre, la discipline est devenue un référentiel de règles pour justifier l’appel à la soumission et à l’exercice de l’arbitraire de quelques maîtres. Le mot reste encore évocateur d’un environnement monastique liée à une « correction », au sens de « châtiment (imposé par la règle) ».

Ainsi, la discipline est avant tout un référentiel au service du commandement, tout cela pour faire obéir. C’est encore une conception du management.

Autonomie et confiance

Oui, car l’autonomie, c’est le « fait de se gouverner d’après ses propres lois » ; être autonome nécessite de réfléchir, c’est se confronter, comparer, évaluer, qualifier ; être autonome, c’est se « gérer soi-même » ; être autonome, c’est savoir conduire sa pensée et diriger ses comportements ; il serait absurde de définir l’autonomie comme une obéissance à soi-même, puisqu’être autonome implique un processus conduisant à l’exercice du libre arbitre. Au passage, on retrouve ici les fondamentaux de la médiation professionnelle, associés à la force de l’implication, de la motivation et de la qualité relationnelle. Etre autonome peut nécessiter l’intervention d’un tiers, lorsque l’on ne sait plus exercer son autonomie ; ce tiers, c’est un médiateur professionnel dont le rôle est de soutenir les recherches de construction de projet en promouvant l’implication de chacun grâce à l’épanouissement de l’autonomie. Elle peut être enseignée avec la confiance comme mot clé, parce que c’est l’enseignement le mieux adapté à transmettre de génération en génération… Cet enseignement peut être rappelé, tel un refrain, dans toutes les formations à la guidance, au management, à l’aide à la décision, à la conduite de projet, à la prévention des tensions et à la résolution des différends.

Ainsi, sans aucun doute possible, l’obéissance est une perte totale d’autonomie.

Philosophie et management

Pourtant, la discussion est engagée depuis longtemps. Platon a traité de ce sujet dans la République (Livre IV), relativement à la réflexion sur la relation « maître / esclave », en n’omettant ni le rapport à l’autre ni le rapport à soi, puisqu’il en venait à discuter de l’absurdité de l’expression « maître de soi-même », laquelle entraîne celle d’être « esclave de soi-même ». Ainsi, déjà au IV°s av. notre ère, le rapport à l’obéissance et à l’autonomie était un sujet de discussion, pour bien diriger une société.

Toutefois, ce pionnier de la philosophie ne parvenait pas à se défaire d’une représentation hiérarchisée de l’organisation sociale. Il était en bute avec son héritage culturel et les craintes de son époque. Il n’en prônait pas moins l’évolution de la pensée pour l’autonomie des personnes. Les données ne sont plus les mêmes : nous sommes dans un monde dont nous connaissons les principaux pourtours. L’évolution culturelle et des consciences font bouger de nombreuses marques. Jacques le fataliste a fait du chemin depuis Diderot. La subordination connait des moments de plus en plus difficiles et les voies de l’autonomie s’ouvrent grâce à l’instrumentation technologique qui facilite le travail en réseau. Avec le potentiel d’apprentissage que représente ce nouveau moyen, la transition vers le plein exercice de l’autonomie peut être mise en pratique.

Que nous sachions faire vivre un réseau de confiance ne dépend que de notre imagination, ce qui fera toujours défaut à l’obéissance. En attendant, ce qui permet à nos entreprises de s’épanouir, n’est-ce pas dans l’autonomie de chacun qu’il faut aller le chercher ?

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Sources :