Quand le masculin l’emporte (encore) sur le féminin ! (2/5)

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Malheur à celui qui coupe la parole. Si je coupe la parole, je serais cet être égocentrique, mal poli, en prise avec son besoin de se faire légitimer, voire d’assoir son pouvoir.

Amusons nous et autorisons nous une petite variation autour de cette expression qui a pris son envol à partir des années 80 au regard de l’histoire des textes publiés.

Dans mon précédent billet je m’interrogeais sur une pratique journalistique qui consiste à faire quelque chose si souvent décrié par les auditeurs, couper la parole à son invité. Et je proposais l’idée que derrière cette arme blanche se cachait peut-être un manque de savoir-faire. Autre type de rabatteur de caquet, les hommes, étudiés selon une approche sociale du genre. A côté de ce journaliste qui serait plus « audacieux » que limité dans sa compétence d’animation, il y aurait aussi l’homme qui réserve le même sort à la femme. Les sociologues ont donné un nom à cette manifestation classée dans le sexisme ordinaire : le manterrupting.

Derrière ce phénomène se jouerait la construction sociale du genre : dès leur plus jeune âge les garçons seraient éduqués à défendre leurs idées et à se confronter aux autres, tandis que les filles seraient éduquées à être compréhensives et à l’écoute des autres. Et donc moins enclines à commettre de « hold-up » de la parole. Les femmes dénoncent régulièrement cette réalité[1] et à travers elle les limites auxquelles elles se heurtent, la force des stéréotypes : une femme qui parle serait bavarde, un homme qui parle serait un leader ; quand une femme explique cela paraitrait long, quand un homme explique cela paraitrait brillant.

Ici et là sur la toile elles expriment leurs stratagèmes d’adaptation : apporter du « vrai » contenu sans qu’il soit trop long, dire « j’ai bientôt fini » pour éviter de se faire couper la parole, réengager son interlocuteur en lui disant « tu ne me contrediras pas sur ce point », inscrire les différents points qui vont être abordés, répéter le propos d’une autre femme pour lui donner du crédit (technique dite « d’amplification »).

Si l’on s’en tient aux nombreuses études publiées sur le sujet du manterrupting, l’homme couperait volontairement la parole à son interlocutrice parce que c’est une femme. D’autres études ne sont pas aussi catégoriques et analysent ce comportement comme une pratique qui n’est pas volontairement dirigée contre le genre de l’interlocutrice.

Ici personne à ma connaissance ne s’est aventurée à légitimer cette pratique : non seulement les femmes parlent trois fois moins que les hommes sur nos antennes (si l’on s’en tient au volume global de parole hommes et femmes – vaste étude réalisée par l’INA en 2019[2]) mais en plus elles se feraient régulièrement couper la parole par leur acolyte masculin. Les femmes seraient elles condamnées à adopter des stratégies d’adaptation et/ou à emprunter cette modalité relationnelle contraignante ?

Typhaine Guezet

[1] Don H. Zimmerman et Candace West sont dans les premiers à prouver, en 1975, que d’une manière générale, les hommes interrompent davantage les femmes qu’elles ne le font, en relation avec leur position dominante dans la communication

[2] Il faudrait affiner cette approche chiffrée avec d’un côté le nombre d’invités femmes et hommes sur une période donnée et le volume de parole à nombre égal d’hommes et de femmes