En matière de résolution des différends pouvant être judiciarisés ou non, la médiation repose sur un principe fondamental : la confidentialité. Ce cadre protecteur, garant de la neutralité du médiateur et de la liberté des échanges, est mis en question par des pratiques qui brouillent sa portée et des débats juridiques qui prennent de l’ampleur. Ce texte examine les implications de ces défis, en passant par les contextes du travail, notamment dans le domaine de la médiation de la consommation.


Cet article a été publié sur Le Village de la Justice =>

Hebdo spécial du 27 novembre 2024 sur Mediateur.tv

1. La confidentialité, un pilier central de la médiation

La confidentialité garantit aux parties un espace sécurisé pour s’exprimer librement, rechercher des solutions pragmatiques en dehors des rigidités imposées par des procédures judiciaires, sans craindre que leurs échanges soient utilisés ultérieurement à leur encontre. Cette garantie engage le médiateur, dont la posture de distanciation repose sur la neutralité, l’impartialité et l’indépendance. Grâce à cette disposition, il ne peut être soupçonné d’influencer une procédure ultérieure ou de servir un parti pris.

Le principe semble pourtant acquis : seules les parties peuvent décider de ce qui peut être communiqué à l’extérieur du cadre de la médiation. Ainsi, le médiateur est tenu à la confidentialité, et ses écrits, quelle qu’en soit la nature, ne peuvent être utilisés dans une procédure judiciaire.

En France, cette règle est affirmée par l’article 21-3 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 (pour les médiations judiciaires et conventionnelles), qui stipule que « sauf accord contraire des parties, la médiation est soumise au principe de confidentialité ». Les préconisations faites dans le cadre de médiations de consommation sont incluses. Cependant, certaines exceptions et confusions viennent brouiller ce cadre protecteur.

2. Les limites légales et leurs zones d’ombre

Deux exceptions ont été prévues, dont la première est très très discutable, sachant qu’en matière relationnelle, le médiateur est souvent amené à entendre des propos conditionnés par l’émotionnalité. Ainsi : 

  • des motifs impérieux d’ordre public 
  • des motifs liés à la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ou à l’intégrité physique ou psychologique de la personne ; 
  • la nécessité de révéler l’existence ou le contenu d’un accord issu de la médiation en vue de sa mise en œuvre ou son exécution, sans divulguer l’intégralité des échanges, mais seulement les termes nécessaires à l’exécution de l’accord.

En complément, des dispositions spécifiques encadrent la médiation dans différents contextes :

  • L’article 131-14 du Code de procédure civile, pour la médiation judiciaire, interdit l’usage des constatations ou déclarations recueillies par le médiateur dans d’autres procédures.
  • L’article 1531, concernant la médiation conventionnelle, réitère cette interdiction.
  • En matière de consommation, l’article L 612-3 du Code de la consommation renvoie explicitement à ces dispositions, sans apporter de garanties supplémentaires.

Le fait que le médiateur informe le juge de l’aboutissement ou non de la médiation est prévu par l’article 131-11 du code de procédure civile. En aucun cas il ne doit dire qui est venu ou n’est pas venu dans la médiation. Sa seule obligation est d’informer le juge de la tenue ou non de la médiation et d’un accord ou non. Néanmoins, la Commission d’évaluation et de Contrôle de la Médiation de la Consommation indique (cf. son rapport d’activité 2019-2021) que le refus d’entrée en médiation n’est pas soumis à la confidentialité. Il reste que le médiateur n’est pas tenu d’en faire état.

En 2022, la cour de cassation a confirmé le principe de confidentialité par un arrêt emblématique (n° 19-21.798 du 9 juin 2022) à l’occasion d’une médiation de consommation, au motif que l’une des parties avait produit l’avis du médiateur lors de la procédure et que le juge n’avait pas écarté la pièce lors des débats. Il réaffirme l’obligation du juge de faire respecter la confidentialité sans qu’une demande explicite ne soit formulée par les parties. Cependant, il révèle également la fragilité du cadre légal face à des interprétations contradictoires. Cela souligne l’urgence d’un encadrement plus strict..

3. Une confusion des pratiques entre conciliation et médiation

C’est dans le cadre de la vie professionnelle que l’on peut observer le maintien de la confusion entre médiation et conciliation. Dans les situations de harcèlement au travail l’article L 1152-6 du Code du travail prévoit que « Le médiateur s’informe de l’état des relations entre les parties. Il tente de les concilier et leur soumet des propositions qu’il consigne par écrit en vue de mettre fin au harcèlement. Lorsque la conciliation échoue, le médiateur informe les parties des éventuelles sanctions encourues et des garanties procédurales prévues en faveur de la victime. » Ici, on observe que le terme de conciliation vient rendre confuse la notion de médiation, ce qui ne simplifie pas l’analyse et encore moins l’application de la notion de confidentialité. 

Si l’intentionnalité du rédacteur peut être invoquée, il reste que l’utilisation des termes de conciliation et de médiation dans un même sens est un héritage juridique qui doit se clarifier. Le vocabulaire évolue et c’est un enjeu important désormais. Quand il s’agit de conciliation, le conciliateur suggère, propose, préconise, mais ce n’est pas pour autant que ses éventuelles contributions peuvent faire l’objet d’une utilisation procédurale ; quand il s’agit de médiation, le médiateur accompagne, soutient, fait réfléchir, aide à choisir, facilite l’élaboration d’une entente, d’un accord et d’un projet. Le conciliateur se réfère à des règles, des normes, des principes et se fonde sur les droits et les obligations ; le médiateur maîtrise le référentiel relationnel et ce qui dégrade une relation et se fonde sur les perspectives d’une entente, permet de la restaurer, de l’aménager ou de la rompre de manière consensuelle.

Le rôle fondamental du médiateur est fragilisé lorsqu’il est confondu avec celui du conciliateur. C’est sans aucun doute un aspect à clarifier par le législateur. Et pour cela, la concertation avec les médiateurs professionnels, qui œuvrent en dehors des pratiques et des référentiels juridiques, est indispensable.

4. Les dérives potentielles en médiation de consommation

Ainsi, c’est dans le domaine de la consommation que des médiateurs imaginent que leur préconisation devrait pouvoir inspirer des juges. L’idée est portée par des médiateurs institutionnels, dont le principe est d’instruire les dossiers dans une approche juridique. Ils apparaissent fortement influencés par l’héritage confondant la conciliation et la médiation.

Cette vision soulève des risques majeurs :

  1. Menace sur la neutralité : si l’avis du médiateur peut être utilisé dans une procédure judiciaire, il pourrait être perçu comme un juge potentiel. Cette confusion compromettrait sa posture d’impartialité et entacherait la confiance des parties.
  2. Instrumentalisation procédurale : la possibilité d’utiliser l’avis du médiateur combinée à une obligation de médiation pourrait transformer ce processus en un simple outil dilatoire, servant des stratégies contentieuses au détriment d’une résolution amiable.
  3. Dénaturation de la médiation : le glissement réduirait la médiation à une étape procédurale, annihilant sa vocation première : permettre aux parties d’exercer leur liberté contractuelle avec l’accompagnement d’un tiers dont l’expertise en qualité relationnelle est une nécessité pour accompagner les ententes, les initier ou en accompagner la réforme. La médiation deviendrait alors un mécanisme figé, loin de son rôle de facilitateur d’échanges constructifs.

5. Renforcer la confidentialité pour préserver l’essence de la médiation

Pour faire évoluer le principe de confidentialité, il est indispensable de consolider les garanties qu’elle offre. Pour cela :

  1. Clarifier les termes et pratiques : inscrire dans la loi des définitions précises des rôles et pratiques de la médiation et de la conciliation. L’objectif est de mettre un terme à la confusion entre ces deux processus et de préserver la nature relationnelle et non normative de la médiation.
  2. Former les médiateurs institutionnels : développer des formations spécifiques centrées sur les compétences relationnelles des médiateurs. L’objectif est d’aligner les pratiques des médiateurs institutionnels sur les principes fondamentaux de la médiation, en les distinguant clairement des pratiques juridiques ou normatives.
  3. Encadrer strictement l’usage des préconisations : renforcer l’obligation de confidentialité des préconisations, assortie de sanctions en cas de violation. L’objectif est de préserver la neutralité du médiateur et éviter toute instrumentalisation des échanges dans des contentieux.
  4. Unifier le cadre légal : établir une loi-cadre qui harmonise les règles de confidentialité et précise les exceptions autorisées. L’objectif est d’éviter les disparités entre les différents types de médiation et garantir un cadre protecteur commun.
  5. Sensibiliser tous les acteurs : intégrer des modules sur la confidentialité dans les programmes de formation des juges, médiateurs, avocats et professionnels concernés. L’objectif est d’assurer une compréhension partagée des enjeux de la confidentialité pour renforcer la confiance dans le processus.
  6. Sécuriser les médiations numériques : adopter des standards élevés de protection des données pour les médiations en ligne, incluant le chiffrement et la certification des plateformes. L’objectif est de garantir la confidentialité des échanges numériques et protéger les parties des risques de fuite ou d’utilisation abusive des données. 

Renforcer la confidentialité et encadrer strictement l’usage des préconisations du médiateur sont donc des mesures indispensables. En consolidant les garanties, en clarifiant les exceptions, et en formant les acteurs, on préserve la neutralité du médiateur et la confiance des parties. La médiation doit rester un espace libre, propice à la recherche de solutions amiables, et ne pas pouvoir être détournée au service d’une instrumentalisation procédurale.

Sources

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