A propos du refus de la médiation en cours de procédure judiciaire

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Lorsqu’une médiation est proposée par un magistrat, il pourrait paraître légitime de s’attendre à ce que les parties s’inclinent. Sur le champ théorique, l’argument souvent avancé par des avocats est qu’il serait préférable de ne pas prendre le risque de déplaire au juge. Le mieux serait d’aller en médiation quitte à faire échouer rapidement la démarche en rompant la discussion à peine amorcée plutôt que de décliner la proposition.

La réflexion en adversité

Or l’esprit d’adversité alimente la dynamique conflictuelle ; c’est lui qui conduit certaines parties à refuser la médiation. On peut l’observer dans des différends conjugaux où la recherche de vaincre autant que de convaincre l’autre est si forte que ces protagonistes en oublient leur motivation fondée initialement sur un sentiment amoureux, désormais étiolé et frustré. On le constate aussi dans des différends commerciaux ou entre propriétaires-locataires ou squatteurs dans lesquels ces adversaires revendiquent leur légitimité de créanciers quitte à tant enfoncer leurs débiteurs qu’ils n’obtiendront qu’une gloire jurisprudentielle, si in fine le système judiciaire ne renvoie pas les parties dos-à-dos.

L’éthique et le droit

L’affaire du squat de l’immeuble sis 1bis place des Vosges à Paris en est une illustration. Le lieu était inoccupé depuis 1965, soit plus de quarante cinq ans, bientôt un demi-siècle. Dans une ville où il s’agit d’un véritable sport que de trouver un logement, notamment pour les jeunes, cette vacance totale d’un lieu de quelques 3000 mètres carrés dont la moitié est habitable est apparu comme une provocation. En effet, pourrions-nous imaginer qu’un restaurateur ait placé une réserve de nourriture au milieu d’un pays où la population est affamée ? Que reprocher aux personnes qui entreraient par effraction et se serviraient, sans dégrader le lieu ?

La médiation pour réfléchir en altérité

Le droit à la propriété est immédiatement brandi. Mais que dire d’une propriété dont aucun usage n’est fait ? Ici, dans cette situation spécifique, l’éthique vient interpeller le droit. C‘est ce qui se passe place des Vosges à Paris. Ce groupe de Jeudi Noir élève le débat sur le plan éthique. N’existe-t-il pas un abus de droit dans le fait de ne pas utiliser un immeuble en plein milieu d’une ville où le logement est un problème pour de nombreuses personnes ? Pourquoi ne pas louer à bas prix ce lieu qui ne rapporte rien à son propriétaire ? Quelle crédibilité accorder au système de défense adopté par les représentants d’une propriétaire demandant opportunément un loyer au prix du marché tandis que les lieux étaient déserts depuis tant d’années ? Le juge étonné a donc proposé une médiation. Et la partie adverse a refusé le dialogue.

Penser la médiation préalable

Rejeter la médiation, c’est refuser le dialogue. Mais qui est celui qui refuse ? La médiation offre un système de dialogue protégé. C’est un droit de tous à demander l’assistance d’un tiers pour animer un échange déjà vécu comme pénible. En avançant sur la transposition de la directive européenne, la France vient de témoigner qu’elle souscrit à ce principe. La sanction judiciaire doit attendre la partie qui par principe compromet le dialogue.

La partie adverse n’est pas forcément celle que l’on croit

Mais la discussion avec la propriétaire de cet hôtel particulier apparait décalée puisqu’agée de 87 ans, Béatrice Cottin est sous tutelle. La stratégie de défense relève donc de la conception de ses intérêts vue par les conseils qui l’entourent. Or, les juristes ont-ils eux-mêmes intérêt de voir l’affaire se régler par un accord de médiation ? De toute évidence, la procédure judiciaire correspond mieux à la défense de leurs propres intérêts, système bien compris. Un nouveau jugement conduira à un nouvel acte de procédure, etc… Le juge avait donc manifestement raison de proposer la médiation. Mais qui sont les bons interlocuteurs ? Ne faut-il pas réinterroger la légitimité de la tutelle, voire de son fonctionnement ? Le rejet de la médiation met encore plus en évidence la stratégie de blocage que peut opposer le corps professionnel qui, en réalité, se trouve directement en face des squatteurs. Les arguments le droit à la propriété renvoient la dame Cottin dans une posture qui ne lui correspond pas, celle d’une pourfendeuse de squatteurs et de défenseuse du droit à la propriété, et à l’insolence de son abandon.

Si Lafontaine était conté…

S’il ne s’agissait de grandiloquence, cet usage de la notion du droit de la propriété avec le droit reconnu par la République témoignerait d’une grande confusion d’esprit.

Au demeurant, si je puis dire, cette histoire pourrait aussi bien faire penser à une reprise de la fable du loup et de l’agneau, mêlant le droit du plus fort avec tous les abus qu’il peut permettre. Tandis que la médiation est promue par de nouveaux textes, voici des juristes qui viennent braver la volonté du législateur européen de faire progresser le dialogue pour résoudre les différends entre les particuliers, arguant d’un système désuet qu’ils doivent se résoudre à voir disparaître dans sa prédominance actuelle. Dans l’immédiat, à voir si les juges accepteront de jouer le jeu du juridisme ou insisteront-ils sur le principe de la médiation en sanctionnant la partie qui en a refusé le principe ? A suivre. Jugement prévu pour le 22 octobre 2010.

La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l’allons montrer tout à l’heure.
Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d’une onde pure.
Un Loup survient à jeun qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ?
Dit cet animal plein de rage :
Tu seras châtié de ta témérité.
— Sire, répond l’Agneau, que votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu’elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d’Elle,
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
— Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l’an passé.
— Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ?
Reprit l’Agneau, je tette encor ma mère.
— Si ce n’est toi, c’est donc ton frère.
— Je n’en ai point.
— C’est donc quelqu’un des tiens :
Car vous ne m’épargnez guère,
Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l’a dit : il faut que je me venge.
Là-dessus, au fond des forêts
Le Loup l’emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.

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