Le médiateur professionnel et l’équité comme valeur universelle

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Le médiateur peut-il ne pas se préoccuper de l’équité dans sa pratique de la médiation ?

visiblement non !

Ces dernières années un grand nombre de recherches(1) en neuroscience, en psychologie, en anthropologie, en économie ont montré que nous serions équipés d’un « sens de l’équité » et que notre vision sur les événements porte la marque de cette évaluation. Lorsqu’une personne fait du tort à une autre, nous estimons qu’une compensation en rapport doit être consentie. Dans le milieu du travail, nous considérons que la rétribution de chacun doit être proportionnée à sa contribution. Nous jugeons devoir aider les autres en fonction de la situation dans laquelle ils se trouvent. Dans le système judiciaire, cette notion est intégrée et mène la danse dans les compensations que réclament les parties. En général, on peut observer que les obligations morales sont fondées sur le partage équitable entre coûts et bénéfices.

Par exemple :

une personne en entreprise se déclare victime de harcèlement moral de la part de son supérieur. Après une médiation, les parties trouvent un accord et se séparent définitivement. La victime supposée est licenciée, et le harceleur présumé est promu dans un autre service … équitable ou inéquitable ?

Les événements récents dans le monde nous le montrent, le besoin de justice et de respect de l’individu serait plutôt universel. Il existerait donc un socle de valeurs communes autour du sens moral(2) de l’équité et de la justice quelque soit la culture.

Alors, qu’est-ce que l’équité ?

Selon le dictionnaire de droit privé « L’équité est le principe modérateur du droit objectif (lois, règlements administratifs) selon lequel chacun peut prétendre à un traitement juste, égalitaire et raisonnable » ou bien elle « désigne une forme d’égalité ou de juste traitement. »

Il est raisonnable de penser que le terme le moins adapté au travers des différentes définitions est celui d’« objectivité ». En effet, quoi de plus subjectif que la perception de chacun de ce qui est juste pour soi, et de surcroit pour autrui !

L’équité serait donc universelle, « innée », et dans tous les systèmes et organisations. La question n’est donc pas ; «
« Faut-il être équitable ?» puisqu’il apparait difficile voire impossible d’y échapper. Se pose plutôt la question du tiers qui doit composer avec une valeur universelle dont il doit lui-même se détacher s’il veut mener à bien sa mission.

En effet, comment, fort de sa vision de l’équité, être indépendant, neutre et impartial avec une idée préconçue de la solution à adopter ? Le tiers aurait alors « la » solution de son point de vue et perdrait du même coup son impartialité et en cascade sa neutralité. Ce serait comme composer une partition dont l’arrangement des notes serait connu à l’avance, un morceau où le choix de la tonalité serait figé, où la cadence serait uniquement quatre temps. Cela laisserait que peu de possibilités quant à la création de nouvelles partitions à jouer seul ou à plusieurs. Nous serions aujourd’hui bien pauvres dans notre patrimoine musical.

L’important n’est pas que la solution soit équitable puisque ce principe est subjectif, différent d’une personne à une autre, mais en même temps présent chez chacun d’entre nous. Si le médiateur s’attachait à trouver de l’équité dans les solutions adoptées par les parties qui lui font confiance, alors il deviendrait… un juge, un conciliateur, un arbitre ? … en tout cas autre chose qu’un virtuose de la relation. Pire, risquant de s’empêtrer, il changerait de partition et jouerait alors sur le terrain de l’adversité.

Lors d’un conflit, les parties peuvent trouver une solution qui serait, aux yeux de quiconque, totalement inéquitable. Et pourtant, si la solution est en libre consentement acceptable pour les personnes concernées … voire la solution pourrait bien leur paraître inéquitable, et vouloir en terminer comme ça… par un ultime lâcher-prise.

Reste pour le médiateur professionnel à composer avec cette notion subjective, accepter que la solution adoptée soit inéquitable de son point de vue, ou du point de vue de l’entourage. C’est là que le virtuose fait la différence au travers d’une composition unique, et qui sonne juste pour les musiciens qui jouent la partition de leurs vies. Il suffit de se mettre au diapason.

(1) N.Baumard, comment sommes-nous devenus moraux, Odile Jacob 2010 –E. Turiel, the culture of morality : Social Dévelopment and Social opposition, Cambridge University press, 2002

(2)Et si les droits de l’homme étaient vraiment universels. Cerveau&psycho –N°45 mai-juin 2011

3 Commentaires

  1. Ce sens inné de l’équité est donc en quelque sorte l’un des moteurs de nos comportements conflictuels… Mais alors le médiateur qui aurait encore un point de vue sur le caractère équitable de l’accord trouvé serait à mi-chemin sur la voie de la virtuosité.

    J’aime bien le parallèle avec la musique et l’infinie richesse de ses variations harmoniques.

  2. La notion d’équité fait l’objet de discussion en médiation, comme celle du contradictoire a pu le faire et parfois vient faire sursauter quelques médiateurs inspirés du juridisme. Il en va ici de même. Comme tu le démontres, il s’agit d’une idée qui provient d’une approche de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas. Une question d’appréciation. Dans tous les cas, ce n’est pas au médiateur d’apprécier ce qui est équitable. Il a pour rôle de conduire une médiation de sorte que les parties puissent exercer leur droit à l’expression, présenter librement leur point de vue… Merci de cette recherche.

  3. En effet, la notion d’équité fait discussion chez les amis de la médiation qui, au non de la morale ou du droit, la cherche en médiation. La placer en force conduit à cantonner la médiation dans la définition de la transaction, de la conciliation et des résultats d’une négociation. Merci pour cette démonstration …

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