Droit français pour la résolution amiable des différends, médiation, conciliation, etc…

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Un décret n°2012-66 relatif à la résolution amiable des différends du 20 janvier 2012 a été  pris en application de la directive 2008/52/CE du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale, de l’ordonnance n°2011-1540 du 16 novembre 2011.

Ce texte modifie notamment le code de procédure civile, auquel il intègre un livre V consacré aux modes amiables de résolution des différends, avec deux titres. Le premier est sur la conciliation et la médiation conventionnelles ; le second titre est dédié à la procédure participative. Le décret  modifie également le code du travail dans lequel il réserve le droit d’accès à la médiation conventionnelle aux différends prud’homaux  transfrontaliers.

Il est étonnant de constater que le décret ne comporte pas de chapitre 3, passant du 2 au 4. De plus, le titre 1er du livre 5 s’intitule « La médiation et la conciliation conventionnelles » au pluriel, tandis que l’expression « conciliation conventionnelle » n’est pas reprise par la suite.

Ce texte regroupe des modes amiables de résolution des conflits et ne distingue pas processus et procédure.

Ces nouvelles dispositions adoptées par le gouvernement contreviennent à des aspects fondamentaux de l’exercice de la médiation.

Il reste aujourd’hui au législateur à ratifier ces dispositions, tel que prévu par la loi de simplification qui a confié au gouvernement le soin de transposer la directive européenne.

La liberté de décision en question

Ce texte entraine des questions sur l’exercice de la liberté en général. Lorsqu’un contrat est conclu, il fait la loi entre les parties. Si un différend apparaît et que les parties se font aider pour faciliter leur relation contractuelle, pourquoi placer cette discussion sous une surveillance législative ? Quel est l’intérêt de l’Etat à délimiter le champ de la discussion contractuelle ? S’agit-il de protéger ou de s’immiscer ? Quel est l’intérêt des personnes ? Ne voit-on pas apparaitre ici une volonté d’empêcher un système libre de se développer, au bénéfice d’un ensemble de professionnels spécialisés dans le traitement des conflits ?

Pour le moment, l’action du législateur français complexifie les modes de résolution des conflits et juridicise l’accès à la médiation. Autrement dit, le contraire de ce qu’il convient de faire, ne serait-ce que pour répondre à la feuille de route définie par le législateur européen.

Sur la définition de la médiation

Le législateur distingue la médiation conventionnelle de la médiation judiciaire, comme si le contexte dans lequel la médiation s’exerce peut avoir une conséquence sur les modalités de sa conduite.

A cela s’ajoute la confusion entre la médiation et la conciliation.

Bien que deux chapitres distincts soient consacrés, l’un à la médiation conventionnelle et l’autre à la conciliation, ces deux modes de résolution des conflits sont définis de la même manière, comme étant « tout processus structuré, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord, en dehors de toute procédure judiciaire en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers choisi par elles qui accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence. »

Sur la confidentialité

L’ordonnance tend à contraindre les médiateurs à être des dénonciateurs publics en prévoyant en son article 21-3-a que les constatations du médiateur peuvent être divulguées  « En présence de raisons impérieuses d’ordre public ou de motifs liés à la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ou à l’intégrité physique ou psychologique de la personne ».

Le décret ne clarifie pas la notion de « raisons impérieuses d’ordre public », et en conséquence renforce le doute qu’il y a lieu d’avoir sur les risques de mise sous surveillance policière de l’activité de médiateur.

La notion de raisons impérieuses est habituellement utilisée par rapport à l’intérêt général, notamment dans le cadre d’enquêtes publiques. Rapprocher cette notion de l’ordre public tend, non pas à évoquer les lois d’ordre public, mais l’environnement pénal. De là, nous pouvons imaginer qu’au prétexte de raisons impérieuses d’ordre public un préfet, un policier, un procureur de la république, un juge d’instruction pourrait demander des comptes à un médiateur.

Quant aux deux autres points visant à protéger les enfants et les adultes fragilisés, il est déraisonnable de confier à un médiateur un rôle de constat, tandis qu’il existe des corps professionnels habilités. Le médiateur ne fait qu’entendre les propos conflictuels des parties, il n’a pas pour vocation à se déplacer sur le terrain pour faire des constats. Il n’est pas médecin, ni expert.

Ne nous alertons pas : le texte est tellement mal ficelé qu’il n’existe aucune délimitation réelle et aucune sanction. Donc en réalité, l’inobservation de cette disposition n’entrainerait aucune conséquence.

Sur les conditions pour exercer la médiation conventionnelle

Elles sont très souples puisqu’il suffit de « ne pas avoir fait l’objet d’une condamnation, d’une incapacité ou d’une déchéance mentionnées sur le bulletin n° 3 du casier judiciaire ; et posséder, par l’exercice présent ou passé d’une activité, la qualification requise eu égard à la nature du différend ou justifier, selon le cas, d’une formation ou d’une expérience adaptée à la pratique de la médiation. ».

L’indépendance requise pour le médiateur judiciaire (article 131-5 du code de procédure civile) n’a pas été reprise.

Il faut également constater que seules les conditions proposées par la CPMN et les formations dispensées par l’EPMN, du Certificat d’aptitude à la profession de médiateur – CAP’M au Master 2 MRH-MP, offrent des garanties plus importantes que celles retenues par le législateur.

Sur la procédure participative

La procédure participative pourrait apparaitre comme une innovation en Droit. Toutefois, nombre d’avocats ne remplissent pas leur obligation d’information sur les possibilités offertes par la médiation. L’ajout de cette procédure n’apporte objectivement rien de nouveau à ce que les conseils juridiques pouvaient faire, si ce n’est une entrave possible à la mise en place d’une médiation.

A l’expérience, il faudra voir si l’anti-constitutionnalité que nous avons relevée à ce sujet sera reconnue.

L’intitulé de ce mode de résolution est particulièrement équivoque. En effet, le terme de « procédure » en appelle aux vices de procédure et par conséquent à l’ouverture à l’anéantissement de l’accord au prétexte d’un vice de la procédure participative.

Sur l’anti constitutionnalité

Tout comme l’ordonnance, le décret est de nature discriminatoire.

En effet, la loi n°95-125 du 8 février 1995 prévoit désormais en son article 24, issu de l’ordonnance susvisée, que la médiation conventionnelle ne peut pas être mise en place dans le contexte prud’homal, sauf s’il s’agit de conflits impliquant des personnes dont les domiciles ne sont pas dans le même pays européen.

Ce texte peut être qualifié de discriminatoire. Il donne plus de droit aux personnes ayant des litiges transfrontaliers qu’à celles dont le conflit est purement interne. Il donne à ces premiers la possibilité de recourir à un médiateur, conformément à ce qui est prévu par la législation européenne. Mais il prive les seconds du droit de recourir à un médiateur. Cette discrimination est manifestement anti constitutionnelle. Elle est en tout cas contraire à l’article 1er de la Déclaration universelle des droits de l’Homme qui prévoit que les hommes naissent libres et égaux en droits.

Par ailleurs, en l’état actuel des textes, le juge prud’homal peut désigner un médiateur, quand bien même le conflit serait purement interne. Ainsi, le législateur a créé le paradoxe suivant : les parties à un conflit relatif au contrat de travail, si le litige n’est pas transfrontalier, ne peuvent pas saisir le médiateur d’elles-mêmes, mais devront saisir le juge prud’homal pour lui demander de désigner un médiateur… Compte tenu de la législation, le juge prud’homal aura tendance à refuser en opposant que son action de conciliation doit suffire aux parties

Le Conseil constitutionnel sera très probablement appelé à censurer cette disposition.

Conclusion

Nous ne pouvons que rappeler les 10 propositions pour la transposition de la directive faites par la CPMN, ainsi que les orientations suggérées depuis 2009 dans le Code de la médiation.

Textes de référence

4 Commentaires

  1. Bien que juges non professionnels, les conseillers prud’homaux sont des juges, et ont vocation à appliquer, respecter et faire respecter le Code de procédure civile, lequel prévoit en ses articles 131-1 à 131-15 la médiation judiciaire.
    Aucun texte n’interdit à un juge prud’homal de désigner un médiateur, dès lors que les parties sont d’accord, et ce sur le fondement des articles sus-visés.
    Que, dans les faits, les juges prud’homaux ne désignent pas de médiateur ne signifie pas qu’ils n’en ont pas la possibilité légale.
    Peut-être ne connaissent-ils pas cette faculté que la loi leur confère ?
    Ou bien se disent-ils que si la conciliation échoue, il est inutile de désigner un médiateur ?
    Pourtant la médiation se distingue de la conciliation. Son approche du conflit n’est pas la même et il est dommage de se priver de ce processus structuré d’aide à la résolution des différends, quand bien même la conciliation n’aurait pas abouti à un accord.

  2. Les Conseillers prud’hommes sont des juges à part entière. Ils en ont toutes les qualités et le statut. Le conseil des prud’hommes est une juridiction de droit commun faisant partie de l’organisation judiciaire française. Depuis 1995 la médiation judiciaire est mise en oeuvre aussi bien au 1er degré de juridiction qu’au second degré. Il est inéxact de dire que la médiation judiciaire ne peut être mise en oeuvre que devant une cour d’appel. Le bureau de conciliation d’un conseil de prud’hommes a bien évidemment la possibilité avec l’accord des parties d’ordonner une médiation judiciaire, ce qui est déjà une première conciliation. Je me permets de vous renvoyer à l’article que j’ai publié  le 5/12/2010 sur la médiation judiciaire prud’homale en suivant le lien suivant:http://www.mediatoroscope.com/2010/12/05/la-mediation-judiciaire-prudhomale, dont j’ai toutes raisons de penser qu’il fait encore autorité en la matière.

  3. Je ne partage pas l’analyse des auteurs de l’article et du commentaire à l’article concernant la médiation en droit du travail.
    En effet, la médiation judiciaire en matière prud’homale n’intervient qu’au niveau de la cour d’appel car ce sont des magistrats professionnels qui siègent (on est donc dans le champ d’application de la médiation judiciaire).
    Il n’est donc pas exact d’écrire que le juge prud’homal peut désigner un médiateur puisque, justement, la juridiction prud’homale est spécifique en ce qu’elle est composée de conseillers prud’hommes et non de juges.
    Il serait néanmoins souhaitable que le Conseil de prud’hommes puisse désigner un médiateur loesque la conciliation n’a pu aboutir afin de mettre à profit le très long laps de temps entre le bureau de conciliation et le bureau de jugement.
    Affaire à suivre…

  4.  
     
    Le décret du 20 janvier 2012 en modifiant le Code de procédure Civile n’a pas pour autant modifié une seule des dispositions du Code  Civil et notamment les dispositions des articles 1134 et 2061 fondant la liberté des parties à recourir à la convention pour fonder entre elles leur loi en ayant recours à une clause compromissoire dans des contrats à raison d’une activité professionnelle.
    Malgré l’inconstitutionnalité patente de l’ordonnance et du décret interdisant aux salariés et aux employeurs français non frontaliers d’avoir librement recours à la médiation conventionnelle pour résoudre de façon alternative les différents auxquels ils peuvent être confrontés, l’existence d’une clause contractuelle de recourir à la médiation dans un contrat de travail est parfaitement légale, légitime et envisageable  dès lors qu’elle ne porte pas atteinte à des dispositions d’ordre public.
    La cour de Cassation en date du 14 février 2003 a admis la validité, d’une clause de médiation en rappelant le principe même de l’engagement contractuel qui doit permettre de soulever l’irrecevabilité de la saisine du juge dès lors que la clause de médiation librement consentie n’a pas été mise en œuvre.

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