La médiation en marche, entre pointure et professionnalisme.

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Le journal Les Echos a récemment commenté une médiation intervenue entre « le donneur d’ordre d’un grand groupe de transports » et « l’un de ses fournisseurs » (Laurence Neuer, Savoir se réconcilier en affaires, Les Echos, 9 février 2012). Les protagonistes ont recours aux services d’un médiateur.

Le texte situe d’emblée, quoique sans doute involontairement, le débat en précisant que « Par chance, le médiateur retenu était une « pointure » du CMAP ». Pour nous, Médiateurs certifiés (i.e. titulaires du Certificat d’Aptitude à la Profession de Médiateur, CAP’M®) et membres de la Chambre professionnelle de la Médiation et de la Négociation (CPMN), le recours à la médiation, pas plus que son succès, ne sont affaire de « chance » ou de « pointure ». La chronique énumère divers éléments présents dans tout dossier : brusquerie et parfois la surabondance de griefs initiaux, « basculement » du passé au futur, du bilan à l’état des lieux, puis au projet, crainte des parties quant à leurs droits, nécessairement légitimes… Il est inutile d’ajouter à ce témoignage mais une des notes de conclusion intitulées « A retenir » laisser rêveur : « L’une des vocations de la médiation est de pallier la lenteur des tribunaux ».

Cet argument est parfois utilisé pour tenter, bien maladroitement, de promouvoir la médiation. Il est faux. Il suppose tout d’abord d’admettre que, par nature, la justice est lente, ce qui s’avère tout sauf une fatalité. Certes, une justice de plus en plus sollicitée, pour des affaires relevant, pour une bonne part, de la responsabilité citoyenne plutôt que de l’exercice pur du droit, et souffrant d’une politique permanente de réduction de moyens ne peut que déboucher sur la lenteur du traitement des dossiers. Cependant, il s’agit là d’une situation de crise, éventuellement au sens noble de ce terme, au sens de mutation. En fonctionnement nominal, sur quels fondements pourrait-on raisonnablement affirmer que dire le droit est, de façon intrinsèque, une tâche spécialement lente ? Indépendamment, en particulier, du contenu des dossiers ? Parallèlement, la médiation est-elle, également par nature, rapide ? En aucun cas ! Certaines affaires peuvent être d’une telle complexité ou mettre en œuvre un tel nombre d’interlocuteurs qu’il faudra des mois et peut-être des années pour aboutir à une solution. Ce qui n’invalide en rien la pertinence du recours à la médiation.

Une telle réflexion n’est pas de l’ordre du détail car, dans le surgissement récent de la médiation, la tentation est forte d’opposer cette dernière à la justice. Il y aurait d’un côté une machine vénérable, assurément très fiable, mais d’une lourdeur infinie, dans sa mise en œuvre comme dans sa capacité à aboutir ; et de l’autre la médiation, outil léger et maniable, extraordinairement efficace… Voilà une image d’Épinal qui, non content d’être erronée, se trouve aussi contenir des germes particulièrement pernicieux du point de vue des libertés. En réalité, justice et médiation font cause commune sur la nécessité de préserver et de consolider l’État de droit. Comment un mode alternatif de résolution des conflits pourrait-il prospérer de façon satisfaisante entre des citoyens inégaux devant la loi et susceptibles d’accéder de façon discriminée à la justice ? L’article le précise en toutes lettres : « il n’était pas question, pour aucune des parties, d’abandonner la procédure judiciaire. Les avocats ont simplement demandé le report de la première audience, le temps de donner sa chance au mode alternatif de résolution des conflits qu’est la médiation. » Ce qui suppose de recourir plutôt à l’une qu’à l’autre n’est ni leur efficacité respective, ni leur plus ou moins grande célérité ni, plus trivialement, leur coût, autre argument « promotionnel » que l’on rencontre parfois pour valoriser l’intérêt de la médiation ! Tant qu’il s’agit, pour deux personnes (physiques ou morales), de se mettre d’accord sur leurs relations, la nature et l’évolution de ces dernières, il n’est pas nécessaire d’invoquer les Codes. En revanche, aussitôt qu’il s’agit de plaider et de dire le Droit, le médiateur devient sans doute singulièrement incompétent !

Autrement dit, ne peut-on, imaginer qu’une affaire se traite en médiation, que celle-ci atteigne ses objectifs, mais qu’il demeure nécessaire de s’en remettre aux juristes, avocats et magistrats sur les dimensions juridique et légale ? Bien sûr que si !

Autrement dit encore, il faut se débarrasser du poncif selon lequel la médiation se résumerait à une sorte d’emplâtre hâtivement jeté sur la jambe de bois d’une justice irrémédiablement infirme. L’une comme l’autre méritent mieux. Et les citoyens que nous sommes méritent les deux !

1 Commentaire
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PEM mediation
12 années plus tôt

Oui, point de détail peut-être pas, « Certaines affaires peuvent être d’une telle complexité ou mettre en œuvre un tel nombre d’interlocuteurs qu’il faudra des mois et peut-être des années pour aboutir à une solution. » L »article est ici est très fort et j’en recommande la lecture à celles et ceux qui créent ou construisent l’opposition entre « justice » et « médiation ».