Confusion et médiation en vidéo…

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Cette vidéo sur la médiation est diffusée sur Youtube. Elle peut attirer l’attention. Signée ADR International, elle semble présenter la thèse européenne sur la médiation. Mais il n’en est rien. La conception de la médiation qui est développée ici, est par beaucoup de points très éloignées de ce que nous pouvons identifier comme le processus structuré de la médiation professionnelle développée par l’EPMN et mise en application par les membres de la CPMN. Cette conception n’appartient qu’à cette cette organisation italienne.

Dans ce film, la médiation est présentée comme forme alternative de résolution de conflit. Il faut entendre « alternative » à la manière anglo-saxonne. Ici, la médiation voisine l’arbitrage, la négociation centrée sur les intérêts, et la conciliation. Il s’agit d’une conception rattachée au système judiciaire. La médiation est cantonnée à l’instrumentation juridique.

Selon le commentateur, la médiation est un processus volontaire.
« On ne peut donc pas obliger quelqu’un qui est en conflit à aller voir un médiateur ». Certes. Mais la personne n’est-elle pas sous la contrainte de son conflit ? Chaque protagoniste, engluée dans sa logique d’affrontement, incapable d’imaginer autre chose que le rapport de force et la soumission de son libre arbitre à une décision arbitrale, est-elle réellement dans une dynamique volontaire ? Seul le dilettantisme peut permettre de penser qu’il puisse y avoir une libre décision dans une relation conflictuelle où toute écoute de l’autre coûte un effort.

Si la demande de médiation peut provenir de l’une des parties, la proposition de médiation à l’autre partie ne sera pas forcément acceptée, vu l’état d’affrontement dans lequel baigne l’esprit des personnes en conflits. Si l’on va en médiation, c’est donc bien parce qu’il y a menace, ou peur de perdre, et que l’on s’y sent obligé. La démarche a donc bien une forme contraignante et non réellement volontaire. De plus, ce n’est pas encore le réflexe naturel et volontaire que de s’adresser à un médiateur comme on s’adresse à celui qui sait en matière médicale, automobile, ou judiciaire.

Le processus de résolution de conflits proposé par cette organisation apparaît également inversé par rapport à celui des médiateurs professionnels, puisque les entretiens individuels font suite à la première session qui est conjointe, à la suite de l’évaluation du « selon comment ça s’est passé » du médiateur. D’évidence, il y a plus d’improvisation que de professionnalisme.

Il nous semble en effet peu probable et peu rationnel d’envisager que des parties en conflit se trouvant face à un médiateur sans avoir été vu par celui-ci individuellement, sachent avoir, lors d’une première session conjointe, un comportement constructif de respect des principes de qualité de communication. C’est pour le moins risqué de penser que les injonctions et présentations des règles par le médiateur suffiront à permettre aux parties de s’exprimer librement et sans débordement comportemental.

« Les parties, ainsi que les avocats recourent à un tiers indépendant dont le rôle est de les aider à trouver une solution », deuxième phrase du commentateur, annonce déjà la couleur. Les avocats sont bien de la partie, les protagonistes n’étant par conséquent pas autonomes décisionnellement quant à la solution et au choix des conditions de leurs sorties de crise, ni même responsabilisés quant à leurs expressions personnelles. Serait-ce peut-être, du point de vue de leurs avocats, parce qu’ils n’en ont pas la capacité ? Ou bien est-ce une manière de garder le contrôle sur un processus initialement structuré par les médiateurs professionnels comme une discipline d’aide à la décision, et de restauration de la qualité relationnelle permettant aux parties de trouver elles-mêmes leurs solutions les plus adéquates.

Le commentateur enchaîne : « Les parties contrôlent le processus et le résultat… L’élaboration de la solution est contrôlée par les parties», ce qui impliquerait que les avocats ne sont là que pour conseiller juridiquement leurs clients, leur permettant éventuellement d’éviter un piège ou une décision qui ne serait pas en leur faveur sur le plan légal ? Mais dans une médiation, rien n’est plus urgent que de prendre le temps de la réflexion. Après les réunions, les parties doivent avoir la possibilité de réfléchir, de concerter toute personne susceptible de lui apporter sa version. L’objectif est pour elles d’élaborer un accord pérenne, non de coincer l’autre dans un engagement insatisfaisant, obtenu par stratagème ou subterfuge.

Le commentateur nous rappelle bien qu’ « en cas d’entente et de signature d’un protocole d’accord entre les parties, celui-ci est contraignant », c’est à dire qu’il a force exécutoire, et que « le différend est clos définitivement ». C’est quand même un peu vite dit… L’affirmation est trop gratuite. On connaît bien sûr le caractère définitif du conflit, qui lorsqu’il est réglé ne revient jamais… Mais quel est donc cet état d’esprit ? Quid de la confiance retrouvée entre les parties, d’un nouveau projet d’action au sein de la relation, librement décidé, si le rapport de force caché derrière la protection juridique des avocats, perdure au-delà même de l’accord signé ?

Selon le commentateur, le médiateur devrait voir les parties séparément parce que « des faits et des intérêts  ne pourraient être exposés au cours de la session conjointe » ?
Pour ce qui concerne la neutralité du médiateur, lorsque le commentateur explique que le médiateur fait la navette entre les protagonistes en entretien privé (parfois toute une journée) pour les aider à « considérer de façon lucide les forces et les faiblesses de leurs cas ». Nous sommes effectivement dans un positionnement du médiateur donneur de conseils au parties et non dans un positionnement de neutralité vis à vis de la solution. Car si le médiateur trouve que l’une ou l’autre des positions des parties lui paraît plus ou moins lucide, il intervient. Comment ? En expert ? En tant que conciliateur peut-être ? Qu’en est-il si sa propre analyse de la situation n’est pas partagée par l’une des parties, pour une différence de valeurs morales par exemple ? Au niveau de l’impartialité, le médiateur aidera t-il aussi les parties à être plus lucide ?

« Le médiateur peut aider les parties à élaborer une solution respectant les besoins respectifs de chacun des intervenants » . Oui, selon son appréciation personnelle. Comment pourrait il en être autrement ? En tout cas, quand bien même il s’agirait d’une erreur de traduction, la médiation n’est pas une procédure comme l’affirme le commentateur de cette vidéo, mais un processus…

La médiation professionnelle ne partage pas cette approche. Il reste très intéressant qu’elle soit exprimée aussi clairement. Le débat ne peut qu’enrichir la pratique et permettre à ceux qui s’intéressent à l’approche des conflits d’identifier qu’il existe bien un courant gestionnaire des conflits et, avec la médiation professionnelle, EPMN, CPMN et Viamediation, une recherche approfondie de résolution des conflits.

2 Commentaires
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Jean-Louis Lascoux
11 années plus tôt

Bonjour. En effet, il ne semble pas du tout s’agir d’une vidéo émanant de la Commission européenne. Il s’agit d’une vidéo de toute évidence produite par ADR International, qui est une structure italienne. Il y a un autre partenaire indiqué à la fin : ACB mediation qui est une organisation néerlandaise. La vidéo a été probablement produite dans le cadre d’un projet co-financé par l’Europe… C’est le principe de placer le logo européen sur les projet que la CE co-finance. Enfin, là, ça prête un peu à confusion. Mais bon, en observant un peu, on fait le tri…

anne s
anne s
11 années plus tôt

Quelle authenticité pour cette vidéo? Ne figure pas sur le site de l’UE http://www.youtube.com/eutube