Le forum Femmes et Pouvoir s’est tenu les 29 et 30 novembre 2013 à Paris à l’Hôtel de l’Industrie. Les médiateurs professionnels sont intervenus pour animer deux ateliers sur la résolution des conflits dans le domaine politique, Isabelle Mégi Depardon et votre serviteur.
Les échanges avec les personnes présentes ont fait émerger plusieurs questions, qui interpellent sur le positionnement du médiateur et de la médiation dans le domaine du politique.
Voici quelques unes des réflexions que ces débats m’ont inspiré.
La dynamique conflictuelle dépassionnée
L’art de convaincre en politique passe parfois par l’usage de procédés rhétoriques que les médiateurs qualifient en adversité (interprétations, jugements, prêts d’intentions, contraintes), et qui déclenchent des émotions conflictuelles. En réalité, ils sont utilisés ici mais sans nécessairement relever d’émotions conflictuelles, au moins pour l’une des parties. Ce sont de simples joutes oratoires dépassionnées, en quelque sorte.
Quelle pourrait être alors l’intervention du médiateur ? Apporter aux protagonistes son expertise en matière de décodage des figures de rhétorique conflictuelles ? Aider les personnes sous l’emprise d’émotions conflictuelles à se repositionner sur le même plan dépassionné que leur adversaire politique ?
Quand la dynamique conflictuelle finit par relever de la dimension technique de la relation, plutôt que de sa dimension émotionnelle, peut-on encore parler de conflit ?
De la fin et des moyens
Les conflits en politique proviennent parfois du décalage entre les discours du candidat, et les discours du même une fois qu’il est élu. Même les colistiers, parfois, se laissent prendre à croire aux discours électoraux. Quand la réalité de l’action politique succède aux exubérances de la campagne électorale, cela produit inévitablement frustration et conflit.
C’est l’éternelle question de l’éthique qui se pose ici, celle des fins à atteindre d’un côté, celle des moyens à mettre en œuvre de l’autre. Dans quelle mesure la fin en politique justifie-t-elle les moyens ? C’est évidemment un débat un peu solitaire, une réflexion que chacun doit mener en permanence, seul avec soi-même, politique ou pas.
L’intervention du médiateur peut être ici d’accompagner cette réflexion.
Qui cherche-on à convaincre, à la fin ?
La particularité de la confrontation politique, c’est qu’elle ne vise pas toujours celui auquel elle s’adresse en apparence. Dit autrement, il s’agit parfois de déstabiliser ou de discréditer un opposant dans le seul objectif de convaincre des tiers, électeurs ou militants.
Dès lors, la personne interpellée n’est qu’un instrument au service d’une cause qui n’a finalement pas grand-chose à voir avec elle. C’est là que cette expression délicieusement cruelle « ça n’a rien de personnel » prend tout son sens.
Mais alors quelle peut être la place du médiateur et de la médiation ?
De montrer les ficelles, peut-être. De permettre à chacun de se construire une opinion aussi éclairée que possible sur la réalité des intentions et des actions des acteurs politiques.
La médiation, une recherche de questions
La médiation professionnelle est une démarche éthique, une manière de conduire sa pensée fondée sur l’observation des comportements, des interactions des personnes en relation.
Elle est une posture par laquelle chacun interroge encore et toujours sa perception de la réalité, avec pour limite celles de sa propre conscience, et pour unique responsable soi-même, avec ses croyances, ses illusions, son aveuglement parfois.
Le médiateur ne saurait fournir des réponses, bien sûr, dans l’espace politique pas plus qu’ailleurs. Mais il peut faire émerger des questions.
La médiation et ses processus communicationnels sont des phénomènes complexes dont il est difficile de distinguer les éléments. Les trois acceptions de cette notion confrontent les différents statuts qu’on lui confère. Pratique sociale, elle reflète la diversité des acteurs et des pratiques qui participent à la constitution du lien entre individus et collectifs. Conceptualisation théorique, elle offre un instrument de pensée de la production de sens et des représentations sociales. Concept opératoire pour les sciences, elle permet d’interroger des champs du corps social en décrivant les évolutions de leurs pratiques communicationnelles. Cette triple conception, appliquée à la communication politique locale, construit un cadre d’analyse qui évite les pièges du déterminisme technique et du média-centrisme. Elle compose l’objet scientifique qui permet d’interroger la place des Tic en liant un objet technique à un objet de recherche, la médiation politique locale. L’approche communicationnelle de ces objets, inscrite dans le temps long, permet d’émettre des hypothèses qui dépassent le stade de l’observation et témoignent des évolutions de l’espace public local. La force de la médiatisation tend à en occulter certaines réalités et pourrait laisser penser qu’elle remplace la médiation. Force est de constater que ce n’est pas le cas. Les acteurs qui, historiquement, participent à cette médiation, adaptent leurs pratiques pour construire ou pérenniser leur légitimité dans ce rôle. De nouveaux acteurs recherchent aussi désormais cette légitimité ( Politique ), notamment par leur maîtrise de la médiation technique. Ces pratiques s’inscrivent dans des stratégies visant à contrôler la visibilité des acteurs. Cette maitrise de l’accès à l’espace public constitue selon eux un enjeu vital, dont dépendraient leur statut et leur avenir en tant que médiateurs.
La rencontre entre médiateur professionnel et politicien est inévitable. Elle s’inscrit dans la logique de l’interpellation sur l’exercice du pouvoir. Le politicien peut reproduire les mécanismes de guidance connus en éducation : l’enseignant peut avoir un rôle de médiateur entre le savoir et l’apprenant ; le politicien peut avoir un rôle de médiateur entre le pacte social et le citoyen. Cette réflexion a commencé dans la Grèce antique et elle a plutôt été oubliée. Nous sommes à une époque ou la paix historique (plus de 60 ans sans conflit armé en France et dans la vieille Europe) peut permettre d’en reprendre le fil… peut être. Merci à vous deux.
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