Pour régler un conflit, que choisir, la soumission au judiciaire ou la libre décision ?

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Le décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 relatif à la simplification de la procédure civile à la communication électronique et à la résolution amiable des différends, fait agiter le monde du droit et du travers

Les professions intéressées par la gestion des conflits s’élèvent contre l’avancée de la nouvelle profession de médiateur. On peut désormais, même en cours de procédure de justice, faire appel à un non-juriste pour conclure un accord. Inutile de vous dire que le débat fait rage ici et là à propos du décret qui a officiellement fait entrer différents modes de gestion et de résolution des conflits dans le palais où la chicane est une tradition. Ce n’est pas forcément très simple si l’on considère qu’il existe différentes conceptions de la médiation qui s’opposent aux ambitions d’uniformisation.

Hé oui, s’il n’existait qu’une seule conception de la médiation, comme le disait Stephen Bensimon, fervent défenseur de la médiation sous tutelle morale, religieuse et juridique, la chose serait maîtrisable. Mais ce n’est pas le cas. Dès le lancement de la médiation en France, le certificat d’aptitude à la profession de médiateur – CAP’M – a été créé. Il est désormais une référence, voire la référence.

Dans la polémique, des alliances historiques entrent à leur tour sur la scène : défenseurs de la morale et défenseurs de la modélisation de la personne. Mais dans tout cela, praticiens et sympathisants de la religion et de la psychologie ne savent plus si leurs intérêts professionnels est de participer à créer une profession ou s’ils doivent continuer à soutenir le monde juridique.

Une organisation, une formation pour une profession de médiateur et une médiation sous tutelle 

Fondée en 2001, la Chambre professionnelle de la médiation et de la négociation – CPMN – est la première organisation syndicale de médiateurs en France. Elle est représentée dans plusieurs pays. En 2004, elle a mis en place le code d’éthique et de déontologie des médiateurs, le CODEOME. Elle a été seule à promouvoir la médiation comme moyen à instituer pour faciliter les libres décisions, afin de mettre un terme aux différends. Elle se trouvent encore seule à promouvoir le « droit à la médiation. »

Depuis, en décembre 2008, une autre organisation a émergée, le « rassemblement des organisations de la médiation ». Ce rassemblement est placé sous l’égide de l’institut catholique de Paris et de la FNCM avec une centaine d’avocats et des conciliateurs. Pour tenter de supplanter la CPMN, elle a créé un « code nationale de la médiation » qui pioche un peu partout mais se réfère au droit. La confusion vient de là : chercher à faire que la médiation ait un caractère juridique pour qu’elle n’ait pas la possibilité de se détacher du droit.

Pour la CPMN, il n’y a aucune confusion : la médiation est une discipline à part entière, pour les autres elle est définie comme une activité.

Le caractère juridique d’un différend est un effet pas une cause.

Pour sortir du brouillon et des confusions, il convient d’abord de constater que le monde juridique peine à lâcher prise sur ce qu’il a décidé qui serait son pré-carré, non pas le droit, mais le monde des différends judiciarisables. Pourtant, le litige n’appartient pas plus au droit que le conflit. Leurs causes ne sont pas juridiques et donc leurs solutions ne sauraient être juridiques. les différends relèvent des parties qui y sont impliquées et leurs causes sont des dégradations relationnelles.

C’est donc une erreur que de s’obstiner à vouloir traiter les différends par leurs effets au lieu de les prendre par les causes, d’autant plus maintenant qu’il existe un savoir faire.

Un peu de vocabulaire.

Conciliateurs : référentiel juridique. Ils reçoivent les parties pour qu’elles adoptent une solution qui fera l’objet d’une validation juridique. Ils suggèrent les accords en se référant à des décisions du juge ou en imaginant ce que le juge pourrait décider. La décision est réputée être publique. Dans la pratique de la conciliation, des médiateurs interviennent et s’identifient par le vocabulaire notamment de « médiés » qu’ils utilisent pour nommer les parties d’un différend. Ces médiateurs se revendiquent du droit et du code national de la médiation (institut catholique, ifomene, fncm, gemme…)

Médiateurs (professionnels) : référentiel relationnel. Ils reçoivent les parties dans des conditions de totale confidentialité. Ils conduisent des entretiens et animent des réunions qui permettent aux parties de mettre un terme à leur différend en les plaçant dans un contexte de projet personnel ou commun. L’accord trouvé relève de la liberté relationnelle ou/et contractuelle et n’a nul besoin d’être homologué puisque les parties sont sorties de la dynamique conflictuelle qui a pu ou aurait pu déboucher sur une procédure judiciaire. Il appartient aux parties qui choisissent de le rendre public ou pas, partiellement ou totalement. Les médiateurs professionnels ont adopté le code d’éthique et de déontologie de la médiation. Ils interviennent auprès ou au sein des organisations et à la demande des juges aussi auprès des personnes en procédure judiciaire pour les aider à prendre eux-mêmes et sans réserve une libre décision. Ils sont exclusivement membres de la CPMN.

Ce n’est pas facile pour les juristes convaincus de leur « bon droit »

Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’un conflit ne se règle pas plus utilement que logiquement et encore moins nécessairement par l’idée du droit. Il se règle par la manière d’envisager la vie, de conduire sa raison, de maîtriser ses émotions, de concevoir un projet, de l’aménager, en revoir les fondements ou les modalités.

D’évidence, il convient de faire sortir l’obstination du droit lorsqu’il n’y a plus de travers.