La médiation, entre polysémie et néosémie, vers un nouveau Droit hors Contrat Social

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Telle que les promoteurs institutionnels l’ont initialement imaginée, la médiation a été reprise comme un moyen de répondre à des préoccupations de gestionnaires d’institutions. Historiquement, elle a été utilisée jusque dans la diplomatie moyenâgeuse, et même après sous toutes les dictatures, pour régler les différends entre vassaux. Un remake américain s’est propagé dans le courant des années 1970 sur la thématique d’économies infrastructurelles. Nommée indifféremment processus ou procédure, la médiation à l’américaine, combinée avec un discours « gagnant/gagnant », aussi séduisant que l’idée du « self made man », a immédiatement connu du succès. Elle a été définie comme un pis-aller valorisant le mauvais accord face au bon procès, considéré comme coûteux, tortueux, chronophage et dont la contribution à la paix relationnelle reste illusoire. Il en a été fait une pratique centrée sur les enjeux et les intérêts et intégrée comme une alternative au judiciaire. Synonyme de négociation, de conciliation et même d’arbitrage, c’est cette médiation à qui, après son passage Outre-Atlantique, toutes les qualités favorables à la « modernisation du système judiciaire » ont été attribuées. Les « Modes Alternatifs de Règlements des Conflits » ou « Alternative Dispute Resolution » ont revisité la régulation amiable des problématiques relationnelles. Les objectifs ont été annoncés : gagner du temps et gagner de l’argent.

Les professionnels de la morale, du droit et de la psychosociologie y ont trouvé des repères culturels, tout en se trouvant forcés par un législateur empressé de faire entrer la médiation sur le marché de la concurrence.

Simultanément, une autre forme de médiation s’est développée : la « médiation professionnelle. » Celle-ci est apparue en France, à la fin du 20ème siècle, dans le sillage de la culture de la liberté de décision, avec la publication de mon ouvrage « Pratique de la médiation professionnelle » aux éditions ESF. Fondée sur l’approche rationnelle, la médiation professionnelle a introduit des exigences sur le plan éthique et déontologique, avec un Code professionnel, le CODEOME. Elle a permis de :

  • nommer les quatre courants de pensée qui traversent les conceptions de régulation des relations : confessionnel, juridique, psychosociologique et rationnel-discursif.
  • clarifier les similitudes des modes liés à l’exercice de l’autorité, avec leurs fictions intellectuelles.
  • mettre en évidence le paradigme commun du Contrat Social
  • et d’identifier un nouveau paradigme, fondateur de toute relation, celui de l’Entente Sociale.
  • d’initier la qualité relationnelle
  • de développer l’ingénierie relationnelle

Les années de recherche ont débouché sur la définition de l’ingénierie relationnelle qui fait l’originalité de l’enseignement dispensé pour exercer la profession de médiateur. Ainsi, ce n’est pas la médiation qu’il convient de considérer comme une approche transversale, parce que la médiation reste une pratique de l’intervention d’un tiers, mais l’ingénierie relationnelle, parce qu’elle outille chaque personne pour mieux diriger sa pensée et exercer ses savoir-faire et talents dans les relations.

Ainsi, l’institutionnalisation de certaines formes de médiation a contribué à l’émergence de la médiation professionnelle. Une nouvelle profession se met en place, avec ce nouveau paradigme, celui de l’Entente Sociale, qui côtoie désormais l’ancien paradigme, celui du Contrat Social. La médiation professionnelle est le pendant du système judiciaire comme l’ingénierie relationnelle est le pendant de l’ensemble de la codification juridique.

C’est dans ce cheminement de la pensée et des pratiques que la médiation participe d’une nouvelle conception de l’exercice de toute forme d’autorité. Elle interfère sur le système de décision judiciaire autant que sur celui de la décision managériale et politique. Elle prend le pas sur le paradigme du droit qui était le seul à avoir un référentiel régulateur et ouvre la voie à une nouvelle profession, la profession du 21ème siècle.