Les questions sur les relations occupent la grande partie de nos conversations. Pourtant, il n’y a pas d’enseignement à l’école. Des prêt-à-penser sont assénés jusque dans les formations des professionnels des relations. Les conséquences sont catastrophiques en terme de gouvernance. Elles sont tout autant navrantes pour le développement de la médiation en vue de résoudre les différends.
Depuis 1999-2000, une nouvelle approche émerge. Je vous en présente un aspect du cheminement. ESF sort mon Dictionnaire de la médiation au service de la qualité relationnelle et de l’entente sociale à la mi-août. Attention, ça peut être corrosif.
Faites votre choix de formation à la médiation en connaissance : le traditionnel ou le professionnel…
La perception et la conception de la « personne »
Quel genre de relation avez-vous avec vous-même ? Quelles sont les conséquences de votre manière de concevoir une personne sur vos comportements relationnels ?
Voici une question et l’amorce de réflexions :
- N’êtes-vous pas plus permissif avec vous-même qu’avec autrui ?
Allez, un peu de vérité dans tout cela ? Les grands moralisateurs se font piéger eux-mêmes à ce qu’ils dénoncent. Ils s’affirment plus sévères avec eux-mêmes qu’avec les autres. Sans fouiller beaucoup, on découvre que c’est bien le contraire. A se demander si les premiers à faire la morale, médiateurs de la vie politique, ne devraient pas être immédiatement mis en examen ? On pourrait, sans doute, et tout de suite, y voir plus clair dans la vie publique et partout en société…
Mais sortons de ces contingences. Tout cela relève de la manière dont on définit une personne : jouet d’une intention divine, animal social doué de raison, nature déterminée ayant une marge toute relative d’autonomie… ou, pour donner dans une vision complexe, un peu de plus ou moins tout cela.
Dans tous les cas, la manière dont on définit une personne, un « je », nous conduit à avoir une conception des relations avec nous-même et avec autrui et à la mettre en œuvre. Les conséquences sont nombreuses, tant sur la gouvernance, l’éducation, le management, toutes les formes d’accompagnement et d’aide aux personnes. Les conséquences sont dans toutes nos relations et a fortiori dans les contextes où nous adoptons un rôle de médiation (être ou se mettre entre pour intervenir, intercéder, interpréter) : transmettre une information, animer un projet, atteindre un objectif, dans la vie de famille, la vie sociale, politique ou en entreprise.
Les prêts-à-penser
C’est ainsi que la médiation est partout dans les relations et que tout le monde peut se revendiquer un peu médiateur, comme un peu cuisinier. Mais il faut bien le reconnaître, la cuisine est plus vite faite quand on a les plats préparés. Et il se trouve qu’en matière relationnelle, c’est un peu pareil : on se laisse préparer la compréhension de nos relations. Et dans ce domaine, le « fast-think » est bien plus répandu que le fastfood : leçon de morale, rappel à la loi, déclamation de la norme… Force est pourtant de constater que cet ensemble de moyens visant l’adhésion volontaire ou forcée au Contrat Social datant des Lumières ne fait plus l’affaire de nombreux contemporains. C’est terminé, l’humanité ne s’éclaire plus à la bougie. Il faut faire avancer la réflexion, même dans le champ considéré comme mystérieux de ce qui fait la motivation humaine.
Pour faire bref, à une époque où des progrès fulgurants ont été réalisés dans de nombreux domaines, les professionnels des relations, et en l’occurrence les Médiateurs professionnels, ne pouvaient plus se référer au dogmatisme de la foi, aux principes des fictions juridiques et aux normalisations issues de la psychosociologie.
Une nouvelle définition de la « personne »
Pour développer une approche méthodologique en ingénierie relationnelle, appliquée notamment en Médiation Professionnelle :
Une personne, un « Je » est défini(e) comme une revendication d’état de conscience relativement à un ensemble d’énoncés en termes de réceptivité, de réflexivité et d’expressivité d’information. Chacun sa manière, mais nous disposons tous, a priori (sous réserve de compensation en cas d’handicap), de l’ensemble des moyens relationnels.
Il résulte de cette nouvelle définition une ouverture d’enseignement et d’apprentissage qui bouleverse les conceptions traditionnelles. La conséquence est un changement de perception. Celui-ci n’est pas forcément facile à digérer : ni âme, ni conscient, ni inconscient. Cette représentation fait sortir l’approche des attitudes et comportements humains des fictions et illusions intellectuelles. Elle réinterroge les fondamentaux de la responsabilité, de la motivation, de l’intentionnalité, de la détermination et, en substance, de la décision.
Nous en arrivons maintenant au même stade de réflexion qu’au moment de la compréhension de la forme de la Terre. Faire le tour de la Terre alors qu’on pouvait se dire que la planète était comme une assiette à dessert, ça ne pouvait que bloquer entre les deux oreilles. Que devenaient le paradis, en haut, dans les nuages avec les anges, et l’enfer en bas, en dessous, avec les diables ? Cette croyance bousculée a entraîné d’autres réflexions jusqu’à la théorie de l’évolution, celle de la gravitation, de la relativité et puis les quanta, le principe d’incertitude…
L’expérience n’est pas rassurante pour ceux qui composent déjà avec le monde des sciences et les effets de la progression de l’instruction dans l’ensemble de la population. Ils ont noté que dès que l’on touche à quelque chose de leur édifice de croyances, c’est tout le jeu de cartes des préjugés, des lieux communs et des grands principes de soumission/résignation qui risque de s’effondrer.
Une conception provocatrice pour ceux qui sont provocables
De ce point de vue, cette nouvelle approche est considérée comme provocatrice par les enseignants des approches traditionnelles de la médiation, parce qu’elle ne suit pas la voie de la morale, du droit et des référentiels normatifs de la psychosociologie. Elle en vient à changer les rapports à la servitude décrite comme une nécessite par tous les théoriciens du Contrat Social. Elle pose les jalons de la participation, de l’implication, de l’aide à la structuration de la pensée et de la liberté de décision. Car c’est là un point essentiel : la liberté n’est pas un acquis, c’est un apprentissage. La liberté, ça s’apprend. C’est l’enjeu de la Médiation Professionnelle, sous l’éclairage d’une nouvelle conception des fondamentaux de ce qu’est une personne et de ce qui anime les relations.
Les techniques et processus qui en sont issus peuvent être aisément appropriés. Tout cela n’empêche pas de vivre cette étonnante expérience qui est celle de la conscience d’être. La différence, c’est que lorsqu’il y a une difficulté relationnelle, le tiers auquel on peut faire appel n’est plus un fantaisiste, dont les pratiques reposent sur des préjugés doctement dispensés (cf. les médecins de l’époque glorieuse de l’obscurantisme), mais un professionnel praticien d’une Méthode fondée sur la rationalité.
Faites le choix, en connaissance, de la médiation que vous souhaitez développer
Ainsi, votre choix de formation à la médiation ne vous conduit pas aux mêmes enseignements quand vous allez en formation médiation traditionnelle ou que vous optez pour la formation à la médiation professionnelle ; c’est un choix entre le culte attractif du mystère humain (avec tout ce qu’il y a de sympathique de baigner dans l’improbable, le convenu mystérieux, etc.) ou le chemin du professionnalisme orienté résultat.
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