Médiation et Justice : changement de paradigme et institutionnel

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Le changement, ce mot vous parle-t-il ? Les gouvernements ont pour leitmotiv la croissance mais, paradoxalement cette croissance est toujours envisagée dans une continuité, donc, sans trop de changement en définitive.

Que pré-suppose un réel changement ? En premiers, le constat que des repères inadaptés ont été fixés, que des croyances ont figé des habitudes et, en l’état d’un constat d’échec, de dysfonctionnement, certains diront : « il faudrait que ça change » ou, plus directement : « Ca doit changer » ; mais, les autres, sont-ils prêts à s’y impliquer ?

Il en est ainsi pour toutes réformes institutionnelles qui n’emportent pas les adhésions. Des acteurs de terrain. Et il serait temps que le constat du mécanisme qui conduit une réforme à une réformette, un projet à un flop, ne soit plus soutenu par l’adoption de cette masse impressionnante de textes abscons autant pour les citoyens visés que par les professionnels.

Depuis plusieurs décennies le projet est de changer les pratiques judiciaires. Fin 2021, le ministre de la justice a piloté des États Généraux de la Justice. Le message fort a été de rétablir la confiance dans le système judiciaire. Or, les mesures prises d’année en année ont consisté en un appauvrissement budgétaire, des centralisations des structures judiciaires, moins de magistrats, de multiples tentatives de réformes des professions du droit, des remaniements des attributions de procédures. Lors de cet événement hybride, de nombreux professionnels se sont positionnés avec leurs seuls référentiels, sans concevoir un réel changement notamment de paradigme par l’élargissement du questionnement sur les acquis des Lumières et du Contrat Social. Pourtant, l’enjeu est non des moindres puisque l’objectif fixé est de « rendre justice aux citoyens » ou plus encore, de « restaurer la confiance des français, dans la justice ».

« Ce n’est pas en appauvrissant le pouvoir des juges que l’on va redonner confiance dans la justice » avait déclaré Jean-Louis Lascoux, à l’occasion de l’atelier organisé dans le cadre des États Généraux de la Justice, et portant sur le Droit À la médiation. Ce n’est pas non plus en renforçant les mesures disciplinaires au sein des professions libérales telles que par exemple, les avocats, les notaires, par la création d’organes tutélaires, que cette confiance sera restaurée ; pas davantage, en légiférant sur les MARD, et plus précisément la médiation, qui ne peut être vue comme une béquille à une administration judiciaire en berne.

Imaginer la médiation, comme pouvant être une contribution au bon fonctionnement de la justice, serait nier le rôle et les fonctions de celle-ci. Contrairement à un conciliateur, le médiateur n’est pas à considérer comme un auxiliaire de justice.

Un médiateur, et plus précisément un médiateur professionnel, est un tiers tenu à un code d’éthique et déontologie, le CODEOME ; sa posture de distanciation se veut très exigeante en termes d’impartialité (par rapport aux parties), de neutralité (par rapport à la solution), et d’indépendance (par rapport à toutes formes d’autorité). La confidentialité est également de rigueur. Clairement, le médiateur, en tant que professionnel, n’est pas à voir comme un acteur au service du système judiciaire, ni du magistrat, ni d’une décision arbitrale, mais comme un assistant permettant d’étendre l’exercice de la liberté contractuelle, de la liberté relationnelle, et, in fine, de la liberté de décision.

La médiation, dont le terme est polysémique, a traditionnellement, été envisagée à la fin du siècle dernier, comme un mode alternatif de « gestion des conflits » portant sur les enjeux et les intérêts, faute de pouvoir les résoudre sur le plan relationnel. L’alternative a été nommée relativement au système judiciaire. Ainsi, le terme « alternative » a été pris au sens d’une autre possibilité parmi d’autres, incluant tous les modes privés, déclarés « amiables » de règlement des différends. La médiation côtoie ainsi l’arbitrage et s’est même vue associée à celle-ci sous le dénominatif « ARBMED » ou parfois « MEDARB ».

Toutefois, il convient de mettre l’accent sur le fait qu’une autre approche, professionnelle celle-ci, modélisée sur la recherche en qualité relationnelle, fut élaborée en France, avec l’EPMN (École Professionnelle de la médiation et de la négociation). L’alternative proposée par celle-ci a été définie non pas seulement au regard du système judiciaire, mais au regard de toutes les pratiques dites de « gestion de l’adversité », dont fait partie la conciliation, l’arbitrage et même la médiation traditionnelle. Le terme « alternative » est pris dans le sens de « deux possibilités ». Avec la médiation professionnelle, il s’agit de promouvoir l’altérité sans recherche de conciliation, de réconciliation ou d’aboutir à une négociation. C’est une approche d’élaboration des projets relationnels pratiquée sans référentiel d’autorité. Usant de processus structurés et de techniques issues de l’ingénierie relationnelle, le médiateur professionnel accompagne les parties afin qu’elles puissent élaborer en toute liberté, un projet relationnel, par-delà même la résolution du différend.

Ainsi, la médiation professionnelle, seule méthode de règlement des différends par la libre décision, se distingue de toutes autres, et notamment, de la médiation traditionnelle (dont les ressources sont des rappels directs ou implicites à la morale, au droit, et à des normes relationnelles et comportementales). Elle est une voie à part entière de résolution des conflits, parallèlement au système judiciaire.

Distinction doit ainsi être faite entre d’une part, la médiation traditionnelle et la médiation professionnelle, d’autre part, la médiation et la conciliation, la négociation et l’arbitrage.

Dans son rapport publié récemment sur le site du Ministère de la justice, le comité des Etats Généraux de la justice propose de mettre en place une campagne d’information nationale et de formation / sensibilisation des magistrats. Or, avant d’aborder toutes questions pratiques, encore faudrait-il clarifier la mission de chaque acteur, leur domaine d’intervention, le paradigme dans lequel il se situe, celui du contrat social différant de celui de l’entente sociale tel que porté par les médiateurs professionnels, au bénéfice de la liberté de décision des parties retrouvée. Ce n’est qu’après avoir répondu à cette indispensable clarification, que pourra être évoquée la notion de « culture commune de la médiation ».

Il en est de même s’agissant du « principe directeur de coopération du juge et des parties en matière de résolution amiable du différend », tel que proposé par ce même comité : encore convient-il, avant toute chose, de s’assurer d’une information complète quant aux différents courants de médiation afin que le libre choix soit préservé face à un marché incontestablement concurrent.

La question reste entière : quel sens voulons-nous donner à une quelconque réforme en matière judiciaire ? Ou plus encore, sommes-nous prêts, dans l’intérêt des justiciables, de chacun de nous même, d’envisager pleinement un réel changement des pratiques par l’intégration d’un nouveau paradigme émergent ? Une réforme utile du système judiciaire pourrait consister à le considérer au travers de son utilité sociétale, c’est-à-dire à voir l’évolution des possibilités de réguler les problématiques relationnelles. De ce fait, une place entière à la nouvelle profession de médiateur pourrait passer par une reconnaissance institutionnelle, sans mise sous tutelle, question d’indépendance, pleine et entière. Ne pourrions-nous ainsi avoir au moins un secrétariat d’Etat à la médiation ?

La libre décision est au cœur du débat. Le droit À la médiation en serait la clé de voûte.

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Contributions des organisations de la profession de médiateur : Parlons Justice

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