Couper la parole pour pouvoir en placer une ! (4/5)

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Malheur à celui qui coupe la parole. Si je coupe la parole, je serais cet être égocentrique, mal poli, en prise avec son besoin de se faire légitimer, voire d’assoir son pouvoir.

Amusons nous et autorisons nous une petite variation autour de cette expression qui a pris son envol à partir des années 80 au regard de l’histoire des textes publiés.

 

Dans les deux premiers billets de cette série dédiée au fait de couper la parole, je vous parlais de deux « types » de personnes qui sont des praticiens remarqués de cette modalité relationnelle contraignante : les journalistes vis-à-vis de leurs invités et les hommes vis-à-vis des femmes. Dans le troisième billet, j’élargissais le banc des « accusés » à nous tous, mêmes les enfants.

Tout le monde, plus ou moins, à un moment donné ou à un autre, coupe la parole à une ou plusieurs personnes de son entourage. Et au-delà de cette réalité, j’observe peut-être comme vous, qu’un dialogue à plusieurs est plus souvent l’empilement de positions individuelles sur un sujet que la construction d’une véritable conversation collective. Parfois nous ne savons pas faire autrement que de couper la parole ; car il y a moi et il y a l’autre ; et le dilemme est de me faire une place tout en laissant aussi la place à cet autre que moi. Pour que j’altère cet autre et qu’il m’altère, et qu’ainsi nous construisons un projet, une idée, un « quelque chose » qui soit métissé.

J’entends encore cette femme me raconter qu’elle n’arrivait pas à s’exprimer avec une de ses collègues et qu’elle en était arrivée à la conclusion qu’il fallait qu’elle lui coupe la parole pour « pouvoir en placer une ». Ah cette fameuse phrase vous parle certainement : « je n’ai pas pu en placer une ! ». Constat chargé de rancune devant la perception d’un tel déséquilibre. Et ce d’autant plus quand les personnes échangent en visio, pratique devenue courante dans le quotidien professionnel de certains milieux : dans ce cadre précis, les conditions matérielles ne permettent pas bien à celui qui parle de pouvoir capter les signaux des autres participants qui lui signifient leur volonté de parler (au-delà du bouton « lever la main »). Ainsi vous avez peut-être déjà participé à des échanges au sein desquels une personne qui n’a pas plus de légitimité que les autres, mobilise la parole sur des temps longs en ne laissant pas de blanc à la fin de sa phrase avant de passer à la suivante. Vous faites ainsi le constat que le temps de parole a été essentiellement mobilisé par une seule personne.

Cette inégalité du temps de parole pose la question de l’équilibre entre les parties, et de surcroit l’animation du projet : comment penser la répartition et la régulation des temps d’échanges, en particulier lorsqu’il n’y a pas d’animateur dont c’est le rôle ?

Typhaine Guézet