Un article présente une vieille nouveauté dans le monde des avocats, avec un titre alléchant : le processus collaboratif : une méthode prometteuse de règlement des divorces. Cette méthode viserait, selon l’auteure, M° Elisabeth Deflers, à concurrencer la médiation. L’affiche intrigue mais le film est creux. Le dessous des arguments montre vite qu’il s’agit d’une prestation dont l’ambition est de ne surtout pas changer grand chose dans la pratique de l’entretien de l’adversité. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Ce d’autant que la voie de la rentabilité économique est traditionnellement plus sûre lorsque l’on joue de l’intrigue. Voyons cela de plus près.
Le choix entre la gestion ou la résolution des conflits
La professionnalisation de la médiation fait lustrer son potentiel. L’appropriation de la méthodologie professionnelle (cf. la pratique des médiateurs professionnels) implique un changement radical d’état d’esprit. Elle inquiète des avocats habitués à gagner sur le registre de l’adversité. Ceux-là font des placements de procédures comme on spécule avec des placements financiers. Pour eux, mieux vaut gérer les conflits que de chercher à les résoudre. Grande nuance et grand écart de pratique. Il devient clair que le processus collaboratif est imaginé pour mieux servir la représentation procédurale de la gestion des conflits que leur résolution même.
Les conditions de réussite du processus collaboratif : la fossilisation de l’existence
Pour bien illustrer cette démarche, Elisabeth Deflers présente son exemple témoin : un couple, cinq enfants, acquéreur d’une maison d’environ un million d’euros. Le mari a des revenus qui lui permettent de payer la maison et d’aller créer un autre foyer ailleurs. Le contexte économique est situé. Les moyens matériels sont posés. Pour sauver l’exemple, l’avocate précise, outre le sous-entendu relatif aux moyens financiers, que les deux conjoints réunissent les conditions pour participer à ce processus qui tiendrait ses lettres de noblesse d’outre-atlantique :
- ils s’engagent de manière loyale dans le processus (a-t-on déjà vu des personnes en conflit ne pas faire à l’autre quelques coups tordus ?)
- ils n’ont pas l’esprit revanchard (pas de rancune a priori, ce qui n’est pas gagné non plus pour les personnes en conflit)
Ce processus est issu des techniques de résolution de problème, totalement inefficace en situation de conflits. Le copier coller ne fonctionne pas. Pourtant, il se vend, parce qu’il présente bien. Il fait propre. Mais en conflit, les émotions sont par trop présentes. Dans cette histoire de droit collaboratif, le droit est en fait très secondaire. L’avocate le précise très bien. Elle indique que le rôle de l’avocat est ici moins d’être juriste que créatif. Les avocats doivent s’acharner, écrit-elle, à trouver une solution. S’acharner : rien que ça. Pour parfaire son illustration, l’avocate spécialiste en patrimoine, présente sa solution typique cabinet : la mère reste sur place, le mari paie un peu moins de pension et règle les mensualités de la maison qu’il laisse à son ex. Dans 20 ans, il constatera, la retraite se profilant, qu’il a fait une bonne affaire et elle aussi. La maison sera à lui et il pourra la récupérer ou la vendre contre la somme modeste qu’il reversera à la mère de ses enfants. La mère pourra s’acheter un studio pour terminer ses jours. Tout cela, comme si l’accord issu de ce grandiloquent processus voulu style Web2, fossilisait la vie. Le droit vient figer illusoirement une solution que l’on sait ne pas tenir la route.
A défaut de procédures, la démultiplication des recours
Elisabeth Deflers précise qu’à défaut pour les avocats de trouver la solutions, ils pourront proposer le recours à un tiers – parce que l’avocat n’est pas un tiers, lui ? On fait le tour de tous les cabinets, de tous les bureaux, de toutes les études, pour finalement arriver au boudoir : expert-comptable, psychologue, banquier, notaire, voire médiateur… Voire … Le médiateur en ultime recours ! Pourquoi donc ne pas commencer par celui-ci, puisqu’au final Elisabeth Deflers reconnait qu’il est le passage le plus efficace ?
Avec une telle concurrence, même la médiation des amateurs devrait pouvoir ronronner. La différence qui existe dans la manière de lancer un processus de droit collaboratif par rapport à la médiation réside déjà dans l’identification de la situation et des choix qui s’offrent aux personnes. La médiation professionnelle a fait pointer la nécessité de recevoir les parties séparément. L’objectif est de leur permettre de valider leur position, de clarifier leur demandes, attentes, souhaits, aspirations et de préparer le contexte de la rencontre en réunion. Parce qu’un conflit ne repose pas sur les enjeux matériels, pas plus que sur la relation contractuelle. Concernant les enjeux, c’est en effet de la négociation. Concernant le contrat, c’est une affaire de conclusion. Un conflit, c’est d’abord l’émotionnalité qui empêche la qualité des échanges. Parfois, l’apaisement fait revoir entièrement la manière de considérer les enjeux. Il s’agit d’un préalable ignoré par ce système américain. Mais en situation de conflit, le « gagnant gagnant » fait partie des illusions ilntellectuelles. Valable dans les négociations commerciales entre concurrents, ce concept est déplacé ici où la réalité des issues sont « le moins perdant possible », tant le conflit a souvent fait de gros dégâts de part et d’autre(1).
Avant de poursuivre la promotion de ce système, ses pourvoyeurs devraient une nouvelle fois revoir leur copie. Si la méthode apparait prometteuse, elle n’est pas opérationnelle. C’est un expédient. Mais déjà des conférences internationales viennent augmenter la puissance de ce somnifère pour l’intelligence ; c’est dire qu’il y a urgence à faire taire la médiation…
Tant de vent pour pas grand chose. Pour la bonne foi, ces avocats devraient déjà tester leur obligation de conseil avant de chercher des subterfuges.
Références : Village de la justice, 3 juin 2010 et European collaborative conference, 10 au 12 juin 2010, Pratique de la médiation, édition ESF
L’exemple cité par Elisabeth DEFLERS est le suivant : » En cas de divorce, cette dernière (l’épouse) aurait naturellement intérêt à habiter le domicile jusqu’à la majorité des enfants. …/… Au final, les enfants auront grandi dans un logement décent avec leur mère… ».
Pourquoi la mère aurait-elle naturellement intérêt à habiter le domicile avec les enfants ?
Si j’ai bien compris, le processus collaboratif s’établit avant le divorce ? Avant le divorce rien ne justifie que le père (ou futur père) sera un mauvais père…(?) Aussi, comment peut-on affirmer que la mère aura naturellement intérêt à habiter avec les enfants ?
L’intérêt des enfants prime sur celui des parents, mais dans son exemple Elisabeth DEFLERS ne fait mention que de l’intérêt de la mère ! Aussi, ses propos sont sexistes, car l’exemple fournit est discriminatoire contre les pères de famille et globalement non-conforme aux débats parlementaires qui ont placé la résidence alternée en tête dans le code civil, car c’est la solution à privilégier en cas de divorce. Les différents intervenants à ces débats (représentants du peuple français) ont conclu que la résidence alternée correspond le mieux à l’intérêt de l’enfant (voir également la convention de New York – article 9). Aussi, la justice se doit de juger au nom du peuple français et les avocats d’en tenir compte dans leurs plaidoiries.
Voir une autre présentation du »droit collaboratif » sur ce site et celui-là…
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