La médiation judiciaire prud’homale

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« Créer les conditions d’un recours significatif à la médiation »

Depuis la loi du 8 février 1995, la médiation peut-être appliquée à tout litige porté devant la juridiction prud’homale sur le fondement de l’article 131-1 du Code de procédure civile : « le juge saisi d’un litige peut, après avoir recueilli l’accord des parties, désigner une tierce personne afin d’entendre les parties et de confronter leurs points de vue pour leur permettre de trouver une solution au conflit qui les oppose ».

Quinze ans après son adoption, cette mesure législative n’est pas mise en œuvre par les juridictions prud’homales du premier degré, alors même qu’elle est considérée par la magistrature comme « une conception moderne de la Justice, une justice qui observe, qui facilite la négociation, qui prend en compte l’exécution, qui ménage les relations futures entre les parties, qui préserve le tissu social » (cf. Guy Canivet 2002 Premier président honoraire de la Cour de Cassation – membre du Conseil Constitutionnel )

Il convient pourtant d’observer que cette « faculté » répond aux obligations nées de la Directive européenne du 21 mai 2008 « de faciliter l’accès à des procédures alternatives de résolution des litiges par le règlement amiable des litiges en encourageant le recours à la médiation et en garantissant une articulation satisfaisante entre la médiation et les procédures judiciaires ».

Dans ce contexte, comment ne pas s’interroger sur le respect des droits fondamentaux de la personne à l’accès au juge, à un procès équitable et à une administration efficace de la justice, lorsque nous observons que la procédure obligatoire de conciliation n’aboutit que dans 10% des saisines, que 62% des décisions des conseils de prud’hommes sont frappées d’appel, et que la médiation judiciaire prud’homale n’apparaît pas usuellement pour faciliter un meilleur accès à la justice.

Dans leur rapport du 19 janvier 2010 au Conseil d’Analyse Économique sur la Refondation du droit social , l’avocat Jacques Barthélémy et l’économiste Gilbert Cette, s’interrogeant sur l’efficacité des tribunaux, notent que « l’exploration d’un tel sujet est périlleuse et dangereuse. Périlleuse dans la mesure où le symbole de l’ordre public social en France, c’est le monopole du Conseil de prud’hommes en matière de litiges individuels du travail ; on est donc dans le domaine du culturel, pour ne pas dire du cultuel. Dangereuse parce que la spécificité des litiges en droit du travail est liée au fait que c’est de l’homme qu’il s’agit, de son existence, de ses moyens de subsistance, de sa dignité ; » et que dès lors « au nom d’une plus grande efficacité de l’arsenal juridique, on risque de déplacer le contentieux sur le seul terrain de la réparation d’un préjudice par la voie financière ». Pour autant, les juridictions prud’homales peuvent-elles s’affranchir de mettre en œuvre la médiation judiciaire ?

Conciliation et médiation : l’ambiguïté

Au delà des dispositions législatives et réglementaires susceptibles d’être adoptées pour concourir à une plus grande efficacité, les juridictions prud’homales devraient d’ores et déjà opérer une distinction entre conciliation et médiation, en favorisant leur mise en œuvre respective dans le respect de la législation nationale et celui des droits des justiciables.

A l’évidence, ce n’est pas encore le cas. Beaucoup de confusions paraissent volontairement ou non être entretenues au sein de l’Institution, sur la nature et la portée de ces deux mesures. Les juges prud’homaux peuvent avoir le sentiment, voir la conviction, de conduire une médiation dans le cadre de la procédure de conciliation. Ils semblent ignorer qu’un juge ayant en charge une procédure judiciaire ne peut pas conduire une médiation portant sur l’objet du litige dont il est saisi.

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Bruno
Bruno
13 années plus tôt

La médiation est utile lorsque les parties ne peuvent plus discuter, restant chacune sur leur position respective. Une tierce personne ayant une technicité tant juridique que technique, voire psychologique peut aider les deux adversaires à prendre du recul par rapport à leur perception personnelle basée, pour une part, sur du ressenti ou de la subjectivité. Le rôle premier du médiateur : rétablir l’objectivité dans une situation complexe qui du fait du lien de subordination, du fait de l’engagement important des personnes dans leur travail peuvent faire tourner le différent en drame passionnel. Je ne pense pas que la médiation peut… Read more »

trackback

[…] Cette liberté de choix, n’est pas celle du salarié, pas plus que celle de la personne mise en cause. Le recours à la médiation dans le cadre des activités professionnelles, demeure pour les parties concernées un droit théorique de protection dont elles peuvent difficilement se prévaloir en l’absence de dispositions règlementant leur droit de recours à la médiation. Ceci explique en grande partie le faible recours à cette procédure résolutoire et à l’importante  judiciarisation civile et pénale des conflits, principalement auprès des juridictions prud’homales, sans pour autant que leurs droits du justiciable des parties de recourir à la médiation… Read more »

Michel Augras
13 années plus tôt

  La loi 2010-1609 du 22 décembre 2010 instituant « la convention de procédure participative » exclut la matière prud’homale : « aucune convention ne peut-être conclue à l’effet de résoudre les différends qui s’élèvent à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du code du travail entre les employeurs , ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient ». Cette disposition civile introduite par la loi dite « Béteille », ne peut donc en aucun faire obstacle au recours à la médiation pour résoudre des litiges extrajudiciaires et judiciaires nés des relations individuelles du travail (cf. la clause médiation du contrat de travail médiatoroscope).… Read more »

ICARD
ICARD
13 années plus tôt

Michel Augras souligne à juste titre les difficultés auxquelles sont confrontées les parties pour accéder à la justice et résoudre leurs litiges. Ceci est notoire en matière prud’homale. Les excès de procédure observés contribuent indéniablement à faire subir aux protagonistes les affres d’un conflit qu’ils subissent souvent pendant plusieurs années. Cette dimension « affective » ou « émotionnelle » est rarement prise en considération par le juge prud’homal, pour ne pas dire jamais. Bien qu’il existe de réelles possibilités de recourir à la médiation, ce que démontre parfaitement Michel Augras, les pouvoirs publics devraient saisir l’opportunité que présente la transposition de la Directive européenne… Read more »

Michel Augras
13 années plus tôt

L’évolution des pratiques françaises est certes une nécessité communautaire. Pour autant, il est souhaitable de ne pas rester dans un débat franco-français ouvert depuis 1995 (!) pour finalement procéder à une transposition à minima proposée par le Conseil d’Etat le 29 juillet 2010 faute d’avoir pu disposer du temps nécessaire pour effectuer une analyse exhaustive de tous les « systèmes » de médiation existant. S’agissant de la médiation judiciaire prud’homale trois considérants de la Directive devraient alimenter les travaux français de transposition: – La médiation ne doit pas être considérée comme une solution secondaire par rapport aux procédures judiciaires, – Les juridictions doivent attirer l’attention… Read more »

olivier brunet
olivier brunet
13 années plus tôt

Félicitations à Michel Augras pour cette claire présentation de l’état des lieux, en ce qui concerne la médiation judiciaire prud’homale. Je souhaite vivement que la France ait à coeur de transposer la Directive 2008/52/CE dans l’esprit du « Livre vert » initialement proposé par la Commission européenne :
http://europa.eu/legislation_summaries/other/l33189_fr.htm
afin de faire évoluer les pratiques françaises en nous inspirant des « meilleures pratiques » de nos voisins.

Olivier Brunet, fonctionnaire européen, ancien inspecteur du travail