La légitimité de la médiation en entreprise

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La légitimité de la médiation en entreprise

Le Conseil d’État dans son rapport du 29 juillet 2010 « Développer la médiation dans le cadre de l’Union européenne », juge essentiel le caractère intra européen de la directive 2008/52/CE du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation civile et commerciale en ne faisant pas obstacle, selon lui, à ce que les dispositions communautaires puissent servir de cadre de référence pour les médiations internes.

Cependant, dans le domaine du droit du travail, il indique que dans le très bref délai imparti, il n’a pas été en mesure d’obtenir de la part des administrations concernées, des informations suffisantes de nature à lui permettre d’effectuer le travail de qualification juridique nécessaire à sa transposition.

La médiation pour la résolution des litiges collectifs et individuels fait indéniablement partie des « processus internes » visés par la directive faisant obligation aux États membres de l’appliquer aux médiations internes, sans pouvoir néanmoins s’étendre aux droits et obligations dont les parties ne peuvent disposer par elles-mêmes relatives aux dispositions d’ordre public ayant un caractère impératif non transgressable.

Le droit du travail français ne fait pas « obligation » aux parties de recourir à la médiation. Elle constitue une « faculté » relevant des droits fondamentaux de la personne et des libertés collectives et individuelles. Elle ne fait donc pas obstacle à des dispositions d’ordre public susceptibles de s’opposer à sa mise en œuvre. Dès lors, et s’il n’apparaît pas souhaitable à la France de laisser coexister deux régimes de médiation distincts selon la nature des litiges, il est alors légitime qu’elle encadre la résolution par la médiation des litiges nés des relations du travail. Il est tout aussi légitime que le processus de résolution des conflits collectifs internes à l’entreprise soit mis en œuvre conformément aux modalités définies par la directive. Sans pour autant la rendre obligatoire, bien que cette possibilité mérite examen, seule la médiation fondée sur les principes directeurs énoncés par le droit européen permettrait de sortir des logiques d’adversité et d’affrontement caractérisant trop souvent les relations sociales professionnelles dans les entreprises, pour envisager une compréhension et une reconnaissance mutuelles des parties apaisant leurs relations par un règlement durable de leurs différends.

Ce qui est une évidence pour certains, ne l’est pas pour tous. Son observation à la lumière de l’actualité de récents conflits, mérite cependant un « arrêt sur image » au moment ou la France s’engage dans le processus de transposition de la directive du 21 mai 2008.

La médiation un processus de résolution des conflits collectifs du travail

En référence au droit européen, la médiation devrait s’appliquer à un litige dans lequel deux parties tentent par elles-mêmes, volontairement, de parvenir à un accord à l’amiable sur la résolution de leur litige avec l’aide d’un médiateur, que le processus soit engagé par les parties ou suggéré voir ordonné en matière civile, sans pouvoir néanmoins s’appliquer aux droits et obligations dont les parties ne peuvent disposer par elles-mêmes en vertu d’une « législation pertinente ». En clair, cela signifie que la médiation ne peut pas faire obstacle à des dispositions d’ordre public s’imposant aux parties en litige. De tels droits sont fréquents en droit du travail.

Faut-il en conclure, que le processus de médiation définit par la directive européenne, ne peut pas être mis en œuvre pour résoudre des conflits du travail comme semble l’affirmer le Conseil d’État dans son rapport du 29 juillet 2010 « développer la médiation dans le cadre de l’Union européenne » ?

· La nécessité de clarifier les droits des parties en conflit

La réglementation française du travail prévoit que « les parties peuvent présenter conjointement des requêtes à fin de médiation précisant et indiquant le nom du médiateur choisi d’un commun accord… » La directive européenne dans la définition qu’elle donne de la médiation précise qu’elle vise les litiges dans lesquels sont impliquées deux ou plusieurs parties, ce qui objectivement ne saurait exclure les conflits collectifs et singulièrement ceux du travail. Les seules restrictions apportées concernent les matières fiscale, douanière ou administrative ou celles relevant de la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique. Dès lors, il n’apparaît pas, tel que semble l’affirmer le Conseil d’État, que le législateur européen ait expressément exclu du champ d’application de la Directive les médiations portant sur des différends du travail à caractère collectif.

Lever les contradictions

Le Conseil d’État relève que le juge judiciaire à la possibilité, en application de l’article 21 de la loi du 8 février 1995, d’ordonner des médiations pour des différends relevant de la matière sociale, ce qui à priori n’exclut pas les conflits collectifs du travail. Pour autant, la haute juridiction administrative propose de retenir la définition suivante de la médiation : « La médiation est un processus structuré par lequel les parties tentent avec l’aide d’un médiateur, de parvenir à un accord amiable sur la résolution de leurs différends à caractère individuel ». Peut-il coexister deux processus distincts de médiation suivant la nature du litige, que celui-ci ait un caractère collectif ou individuel ? Quelle traduction en donneraient les partenaires sociaux ? Est-il concevable que les conflits collectifs judiciarisés puissent présenter plus de garanties que leur liberté contractuelle collective et individuelle leur donne ? La transposition de la Directive doit leur offrir une réelle opportunité de sortir du règne de l’adversité caractérisant la nature des relations du travail, pour ouvrir une voie plus apaisée, plus construite, plus partagée et plus durable élaborée par les protagonistes des relations humaines du travail ( cf. Prévention et résolution des conflits du travail par la médiation)

La voie de l’efficacité économique et sociale

La refondation du droit social passe par la réduction du droit réglementaire au profit du droit conventionnel et la pratique des contrats (cf. Christian de Boissieu). La transposition de la Directive européenne du 21 mai 2008 devrait permettre de créer les conditions d’un recours significatif à la médiation pour résoudre les différends collectifs du travail ne portant pas sur la seule application de dispositions légales dans les entreprises. Permettre aux parties de fonder librement et en toute responsabilité l’accord résolutoire de leur litige par la voie de la médiation, serait alors un gage d’efficacité économique et sociale et d’innovation dans les relations sociales, sans pour autant affaiblir leurs droits.