La médiation : pour une loi de sauvegarde de la liberté contractuelle

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De l’incapacité des parties à imaginer une médiation au dialogue assisté par un tiers

Les parties d’un conflit seraient les décisionnaires incontournables de leur entrée en médiation. Néanmoins, aller devant un tribunal et accepter, sur l’invitation, la forte suggestion ou l’injonction du juge, d’y aller (médiation judiciaire), est une autre possibilité. Une autre encore que préconise la chambre professionnelle de la médiation et de la négociation : que le législateur adopte une loi de sauvegarde de la liberté contractuelle.

Imposer la médiation ? Est-ce vraiment en contradiction avec l’esprit de la médiation ou un manque de réflexion logique de la part des détracteurs de cette proposition. De fait, l’aveuglement conflictuel empêche l’exercice de la libre décision. Dans un conflit, l’émotion manipule la raison. Les parties ne savent qu’entretenir leur conflit. L’intérêt commun bien compris est d’intervenir d’autorité dans la cour de récréation où s’épanchent le fatalisme et la surenchère. Ping-pong. La bonne volonté de chacun s’est effritée. Elle s’est tant heurtée contre le mur conflictuel qu’elle est émiettée. Le seul discours audible est l’affrontement. La proposition d’un médiateur pacificateur relationnel paraît consternant. Chacun a le sentiment d’avoir fait le maximum. En revanche, le discours du combattant, du mercenaire devient acceptable. La démarche ne va pas forcément jusqu’à la vendetta. Il faut un tiers lancier. Que le point de vue soit défendu et l’autre pourfendu. La justice des hommes sera-t-elle suffisante ? Il faut parfois ajouter à cela une médiatisation, une séquence dans le journal régional, au mois une publication dans une feuille de choux.

L’adversité stigmatise la relation. Arthur Schopenhauer a fait un catalogue dans sa Dialectique Éristique des instruments de l’affrontement verbal. Finalement, c’est soumis à l’adversité que les personnes entre en conflit. Champions diminués, elles sont muselées en justice. Leur expression est détournée. La pertinence de leur pensée est niée. In fine, le système judiciaire les considère incapable de décision. Balayés, la capacité de décider et le libre consentement. La justice est une tutelle. C’est dans cette antre que le dicton « Le bonheur des uns fait le malheur des autres. » prend toute sa force et sa violence.

Les parties qui cheminent vers l’arbitrage ne se rendent pas compte qu’elles sont dans un système d’allégeance. Pourtant, elles témoignent de leur incapacité à faire appel à leur propre raison. Parfois, il suffit d’une seule partie pour que la voix de la raison soit enrouée, voire soit atteinte d’extinction. L’agressivité, le manque d’implication, l’entêtement conflictuel sont parmi les attitudes qui conduisent à la soumission arbitrale.

Paradoxalement, l’émotion empêche de faire agir la raison. Certes, sortir d’un conflit en ayant recherché par soi-même une posture de liberté de décision n’est pas simple. Lorsque l’affect a pris le pas sur la raison, la pensée est comme engorgée. Un disque obsédant enraye le processus rationnel. La réflexion responsable, entretenant le libre consentement éclairé, de se mettre en route. La seule issue qui apparait, héritage d’un fatalisme de soumission à l’autorité, est celle du recours à un décideur. En l’occurrence un juge.

Cette démarche est si ancré dans notre culture qu’il apparait évident que dans certaines situations, chacun n’a pas vraiment le choix. Une évidence qu’impose l’assujettissement à la dynamique émotionnelle. On ne sait pas bien pour quelles situations ni si c’est vraiment valable pour tout le monde. Mais ce flou permet de caser l’idée que le système est incontournable. La preuve serait que, de même que le soleil se lève, les choses sont vécues comme cela et le sont depuis des siècles. Même si le soleil ne s’est jamais levé.

A contrario, la médiation professionnelle sauvegarde la libre décision, l’autonomie et la responsabilité des parties

La perspective de la décision par arbitrage est en conséquence clairement l’obtention de la soumission des protagonistes. Et l’on sait qu’en matière civile, la chose n’est pas gagnée. Quand bien même la décision arbitrale tombe, encore faut-il qu’elle soit exécutée. Mais comment pourra-t-elle résoudre le différend. Et quand bien même, le conflit souvent se poursuit, la décision judiciaire n’ayant été qu’une étape dans la permanence du conflit. La médiation professionnelle crée une rupture dans ce parcours du combattant. Parce qu’il ne suffit pas de dire « la médiation ». Le terme est largement utilisé, non galvaudé, mais largement utilisé. Il est indispensable de situer que la médiation doit, face aux différends judiciarisables, être conduite de manière professionnelle.

Lorsque le recours à la médiation est choisi par les protagonistes eux-mêmes, la démarche a de forte chance d’aboutir. Elle suppose parfois quand même une forte compétence du tiers. S’il ne sait pas faire face aux débordements émotionnels que les parties sont venues lui demander de canaliser, alors il risque d’accompagner un échec. Il convient de noter au passage que cet échec est le résultat des limites de compétence de l’intervenant.

Lorsque le recours à la médiation est le fait d’une autorité, le présupposé est que le médiateur a les moyens ou les compétences pour impliquer les protagonistes dans la démarche. S’il ne dispose pas d’un encadrement suffisant pour maintenir l’implication des parties dans le processus, alors celles-ci peuvent à tout moment abandonner. Mais ne sommes-nous pas dans le même cas de figure que dans la première hypothèse ? En fait, le médiateur doit maîtriser des compétences d’implication, plus d’information, pour que les parties puissent se sentir dans un cadre où elles vont pouvoir faire entendre leur point de vue et, notamment, être reconnues dans leur légitimité.

La médiation professionnelle, ultime recours avant la dépossession du libre arbitre

En entreprise, la décision de la médiation professionnelle peut appartenir au manager. Si le conflit gronde, une décision peut tomber pour mettre un terme aux conséquences collatérales sur l’ambiance et la qualité de la vie au sein de l’organisation. Il peut appartenir au dirigeant, à défaut d’un moyen d’éloignement, de prendre une décision d’éviction. Alors, cette dpaécision étant bien présente dans l’esprit de chacun, la médiation peut être préconisée. L’un ou l’autre refuse et c’est la décision arbitrale qui tombera, pouvant consister en un licenciement ou plusieurs. L’inconnu de la décision en cas de refus ou de persistance du désaccord peut constituer l’effet suffisant pour encadrer la médiation. Cet exemple montre une réalité simple : il existe un contexte de menace dans un conflit. C’est évident et suffisant pour bien démontrer qu’il n’existe pas, en conflit, de liberté responsable pouvant permettre de prendre une décision pertinente.

La même erreur apparaît concernant la liberté d’aller ou de ne pas aller en médiation. Lorsqu’on est en conflit, affirmer la liberté d’aller voir un médiateur est aussi illusoire que d’affirmer la liberté du contraire. La question qui se pose est de savoir si en conflit une personne est intrinsèquement libre dans ses prises de décision. Dans une dynamique conflictuelle, si un protagoniste est capable de prendre une décision libre, c’est que cette décision revêt au moins la qualité de la responsabilité. La libre décision est décision responsable, dénuée de toute altération. Le consentement décisionnaire est plein et entier. La personne a réalisé une évaluation des risques liés à sa décision, et en est satisfaite. La médiation ouvre la voie à une possibilité de prendre une décision la plus libre possible, élaborée et choisie. Deux questions peuvent se poser avant de décider quant à la manière de mettre en œuvre la médiation. La première question porte sur la liberté de vivre ou de ne pas vivre dans une relation ou une situation conflictuelle. Faut-il se sentir soumis ou l’être en soi pour être dans une relation ou une situation ou l’on subit ? L’acceptation qui résulte de la résignation ne peut être considérée comme la démonstration de l’exercice d’une liberté quelconque. Personne n’est libre dans un conflit, ni de soi-même, ni de l’autre. La deuxième question est de savoir si le fait de recourir à un tiers pour confier sa défense devant un autre tiers qui décide à la place de soi-même est le fruit de l’exercice d’une liberté ? Autrement dit, le fait d’aller se soumettre à la décision d’un tiers quant à une chose qui nous concerne est d’évidence plus le fait d’une dépendance, que de l’exercice d’une liberté.

L’éthique et la médiation dans les organisations

Pour un pays qui évolue vers une éducation de l’autonomie et de la responsabilité des personnes, pour un pays qui promeut la démocratie et le respect des droits humains, la médiation professionnelle représente un instrument supplémentaire en ce qu’elle propose un moyen de sauvegarder la liberté contractuelle. Cette forme de médiation consiste à étendre la liberté de décision et du pouvoir personnel d’engagement et de désengagement. Elle garantie le maintien du dialogue dans les situations de changement. Les parlementaires devraient être appelé à adopter une loi plus engageante dans la médiation, une loi de sauvegarde de la libre décision et de la liberté contractuelle. Cette loi sera une nouvelle pierre dans la construction d’une nouvelle conception de la résolution des différends et des rapports entre les personnes, dès la formation initiale.

C’est pour autant de raison que pour les entreprises soucieuses de la qualité des relations, la médiation professionnelle est une instrumentation éthique.