Pour retrouver la liberté de décision par la médiation professionnelle

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La conception habituelle de la médiation des conflits tend à assimiler ce processus de règlement des différends à une démarche de liberté, comme si le conflit, qui provoque tant d’entêtement et de blocages émotionnels, laissait les personnes libres de leur capacité de décision.

Cette conception repose sur un paralogisme, voire un sophisme, selon qu’il est utilisé de bonne foi ou en vue de s’allier ceux qui se trompent afin de continuer à tondre sur le marché juteux des conflits. Une question peut être posée : comment aller librement quelque part alors que l’on est retenu, contraint, si ce n’est bloqué par quelque chose ? Dans le même genre : peut-on considérer que celui qui a des fers aux pieds va librement se faire libérer ? Qu’il se fasse mutiler, qu’on brise ses entraves ou retire totalement les chaînes, ce choix dépend de ce qu’on est capable de lui offrir, en termes matériel ou d’imagination.  Dans le contexte conflictuel, le recours à la vendetta, au système judiciaire, au bon conseil ou à la médiation relève de la même chose : le conflit enferme et la libre décision est totalement illusoire.

Paralogisme ou sophisme de la médiation : une situation paradoxale

  1. Les citoyens sont libres et responsables de leurs comportements qui correspondent à leur décision
  2. Le mode de règlement de leurs différends relèvent de leur décision et le système judiciaire et la médiation sont des moyens à leur service
  3. Donc, les citoyens responsables sont libres de choisir entre l’un ou l’autre des moyens pour régler leurs différends

L’illusion de ce raisonnement réside dans le fait que la dimension émotionnelle n’est pas retenue comme l’élément déterminant de la dynamique conflictuelle. C’est précisément ce qui fait la différence entre la conception juridique et la conception médiation professionnelle de la personne. Ce paralogisme est élaboré par les juristes pour définir ce qu’est la médiation et les conditions dans lesquelles il est possible d’y recourir. Il apparaît ainsi paradoxal que les médiateurs professionnels préconisent la médiation préalable obligatoire. Pourtant, le syllogisme est le suivant :

  1. Les personnes en conflit font appel à un tiers arbitre parce qu’elles sont bloquées dans leurs échanges rationnels
  2. Les personnes en conflit ont leur libre arbitre altéré et le recours à un tiers qui s’impose à elles les prive de l’exercice de leur libre décision
  3. Donc, pour qu’elles retrouvent cet exercice, un droit à la médiation, en tant que discipline professionnelle de la qualité relationnelle et de la libre décision, doit leur être garantit, comme le droit à l’éducation.

Pourquoi faire appel à un tiers lorsqu’on est en conflit ?

L’échec des discussions par les seuls protagonistes explique le recours au(x) tiers porte-parole et arbitre(s). Depuis que les humains s’organisent en société, la régulation des relations est d’évidence au centre des préoccupations. D’abord, parce que le « vivre ensemble » implique de tempérer ses emportements ; ensuite, parce que l’échec relationnel engendre des comportements qui peuvent mettre en cause le fonctionnement sociétal, jusqu’à l’autorité de ceux qui dirigent. Il résulte de ce risque que la régulation des relations relève aussi de l’autorité dirigeante.  Les méthodes ont parfois été radicales. Les sentences visibles sur la stèle de Hammurabi témoignent de pratiques très anciennes qui n’ont rien à envier à la loi du talion et à la charia.

Sans nulle doute, certains différends n’étant pas aussi net à trancher, les discussions ont servi de moyens. C’est ainsi que le système de la palabre et de la chicane s’est développé sous les branches des arbres. Le système judiciaire a été mis en place.

L’autorité dirigeante trouve sa légitimité dans cette fonction régulatrice, même si aujourd’hui dans quelques pays le politique tend à être séparé du judiciaire. Mais l’évolution des mentalités permet d’envisager de nouveaux modes de régulation. Grâce à cette évolution personnelle, il devient possible de ne plus forcément faire appel à l’autorité arbitrale. Il est possible de permettre au personnes d’exercer leur propre pouvoir de décision. Encore faut-il leur en fournir les moyens.

L’appel à l’autorité judiciaire n’est pas une liberté

Tout d’abord, il convient de conduire une réflexion. Il s’agit de constater que l’appel à une autorité pour mettre un terme à un différend ne se fait pas de manière libre : c’est contraint par l’incapacité à trouver une entente que les parties vont se soumettre à un arbitrage. Elles sont liées, voire enchaînées à leur dynamique conflictuelle, à leur revendication, si ce n’est  prisonnières de leurs passions. Ainsi, il est trompeur d’associer la notion de liberté au fait d’ester en justice ; c’est un droit, pas une liberté.

Si la chose est claire, il convient de constater que tout moyen qui pourra être inventé en vue de mettre un terme à des différends qui pourrissent la vie des citoyens ne saurait relever de l’exercice d’une liberté. On ne va pas librement chercher à mettre un terme à un différend qui nous aliène. Il faut donc appliquer ce même constat au fait de recourir à un médiateur.

Le recours à la médiation est un droit, pas une liberté

Il en va ainsi de la médiation des conflits. Ce n’est pas simple de se représenter cela. L’idée est si fortement ancrée qu’il s’agirait d’une démarche de liberté que le sophisme tend à convaincre même des partisans de la médiation. On ne va pas en médiation libre d’émotion : on y va parce qu’on craint a minima quelque chose. La peur est là, quelle que soit son intensité ou sa forme. On n’est pas plus libre de raison ou d’émotion.

Le recours à la médiation est par conséquent un recours à une autorité. Mais cette autorité n’est pas celle de l’arbitrage. Elle n’est pas celle comparable à l’intervention de Salomon. C’est encore une confusion que d’assimiler l’action du roi biblique à celle d’un médiateur. La feinte affective que le roi utilise n’épargne pas la mère voleuse qu’il condamne. Si tout tiers peut être considéré comme médiateur, en ce qu’il « intervient entre », le médiateur moderne, le médiateur professionnel n’est pas un juge, pas plus un conciliateur, pas plus un auxiliaire de justice. Il aide à réfléchir, c’est là son autorité, non une autorité de fonction, mais une autorité de compétence. Les choix faits par les parties pourraient très bien ne pas paraître justes ou équitables, le principal est qu’elles trouvent le moyen de sortir de la dynamique conflictuelle.

Dans mon ouvrage Pratique de la médiation professionnelle (ESF), j’ai déjà interrogé sur l’idée de l’autorité du médiateur. Je renvoyais déjà en 2001, à la réflexion sur le fait que le médiateur tient son autorité de l’aspiration des parties à mettre un terme à leur différend. C’est bien une autorité de forme plus que de fond ; il a une autorité d’animation, pas de résolution.

Ainsi, il est tout à fait pertinent d’envisager de rendre la médiation systématique, puisqu’elle consiste à permettre à des protagonistes de conduire une réflexion grâce à l’accompagnement d’un tiers. Cette réflexion est libératrice. Ce n’est donc pas la manière d’entrer en médiation qui est fondatrice de la médiation, mais c’est la manière d’en sortir. En tout cas, c’est ce qui fait la différence entre la médiation professionnelle et tous les amateurismes qui se positionnent sur cette conception dite alternative.

Si l’entêtement est si fort que le médiateur ayant déployé tout son savoir faire n’a pas réussi à impliquer les protagonistes dans une démarche de libre décision, alors le système judiciaire, arbitral et contraignant dans la décision finale, répondra à cette aliénation en tranchant selon le point de vue des juges.

Il en va de l’exercice du droit à la liberté de décision par la médiation.