Une manière de s’entendre, la médiation, de Jacques Borzykowski est un DVD sur la médiation familiale. Il mérite d’être connu, surtout par les professionnels. L’extrapolation est limpide concernant la conception de la personne, son rôle social, ses devoirs moraux, les causes de la dynamique conflictuelle, la manière d’interagir pour accompagner la gestion et parfois la résolution des différends, et qui peut être médiateur.
Les auteurs font une démonstration d’intervention, entrecoupée de paroles de conjoints séparés dont les relations se sont améliorées grâce au processus de médiation présenté. Les attitudes et comportements des médiateurs sont filmés pour leur exemplarité. On peut y voir se dérouler un processus, et mis en oeuvre des savoirs être et de la technicité associés à cette conception de la médiation.
Globalement, il ressort de mon appréciation de cette vidéo que ce qui nous est montré est une forme de médiation pour obéir, a minima pour se conformer à des idées reçues. Les participants sont invités à s’inscrire dans la perspective du modèle proposé par cette conception de la médiation.
La vidéo nous jette dans la réalité judiciaire de l’affrontement entre époux assistés par leur porte parole en adversité. Une audience publique avec des avocats qui contre-argumentent, s’opposent, soutiennent les thèses de leur client(e). Soudain, le juge interroge : « La médiation, c’est quelque chose que vous pourriez tenter ? » C’est parti. On comprendra que le juge fait une présentation rapide de la médiation et incite les parties à aller se renseigner plus avant. Et les avocats ? Ils ont joué leur rôle devant le juge et s’inclinent avec leurs clients, qu’ils jouent le jeu ou le subissent, la médiation s’offre en perspective pour permettre aux deux futurs ex époux d’aller organiser les conséquences de leur séparation.
Une cliente de la médiation judiciaire explique qu’elle avait pris l’initiative d’une médiation, mais que la médiation aurait échoué parce que le couple n’était pas prêt. Aucun sous-entendu sur l’éventuelle incompétence du médiateur : l’énoncé d’une pleine responsabilité existentielle, combiné avec la garantie de l’humilité par l’énonciation d’un doute suffisant. Des simulations de médiation sont montrées, la confidentialité étant préservée. Jeux d’acteurs. Néanmoins, les techniques et le processus sont mis en scène.
UNE MANIERE DE S’ENTENDRE, LA MEDIATION #Extrait par CVB-VIDEP
Le processus de cette médiation familiale
Les rencontres sont conjointes. Le principe repose sur un volontariat qui peut être fortement encouragé par le magistrat.
Une première séance : la médiatrice présente son processus qui se décompose en trois points. Elle place un titre avec une écriture irréprochable. Elle est l’instigatrice du processus. C’est elle qui cadre les étapes et qui présente les règles des entretiens. Elle peut choisir l’entretien ou la réunion, selon ce qu’elle pense le plus pertinent, avec un objectif fondé sur la négociation dite « gagnant/gagnant », tandis que j’ai clairement démontré en médiation professionnelle que dans un conflit le « gagnant/gagnant » fait partie des illusions intellectuelles. D’évidence, l’information n’est pas arrivée encore jusque là-bas. La médiatrice écrit donc sur son paper-board :
Points à discuter
- Autorité parentale conjointe ? école, étude, choix des cours, langues, santé (habillement, cantine, nourriture…)
- Modalités d’hébergement et relations enfants – famille
- Modalités financières (participation des 2 parents dans les frais des enfants)
C’est la mise en place du processus de la médiation, avec un inventaire des enjeux. La médiatrice remet ensuite à chacun des ex-conjoints un document qu’ils ont signé. Il s’agit du protocole d’accord d’entrée en médiation. Ce document rappel aux parties leur engagement à coopérer. Il mentionne les points à traiter notés sur le tableau, et qui concernent leurs deux enfants. La médiatrice insiste sur le fait que ces points correspondent à leur besoin dans l’intérêt des enfants. Ces points organisent l’ordre du jour de leurs futurs rendez-vous.
La médiatrice a rempli une nouvelle page de son tableau pour une nouvelle séance. L’intitulé est l’autorité parentale conjointe. La médiatrice dit qu’elle a « un peu travaillé entre les deux séances », « j’ai un peu remis sur papier ce qui concerne l’autorité parentale conjointe, et les points sur lesquels nous nous étions mis d’accord »… Le processus suivra jusqu’à l’épuisement des thématiques retenues.
Ainsi, le processus est le suivant : incitation par le juge ou démarche volontaire, signature d’un protocole d’accord de médiation qui a une valeur de type pédagogique, un processus centré sur un type de résultat qui est considéré comme le sens de la médiation : l’intérêt des enfants. En conclusion, un accord écrit qui fera l’objet d’une homologation par le juge.
Un livret pédagogique téléchargeable ici accompagne cette vidéo. Le processus est présenté d’une autre manière, mais celui que j’identifie est bien plus explicite sur les implications de cette médiation d’un parti pris qui ne paraît pas clairement mais qui explique ses limites.
Des « techniques » de sympathie et d’empathie pour créer la confiance
En plus de ce processus, il est possible d’identifier ce qui peut être considéré comme les postures et les techniques de la médiatrice. Très précisément, j’ai noté les propos et comportements suivants :
- Accompagnement de l’énonciation : termine une phrase qui est commencée par l’une des parties ;
- Tourne la tête en silence pour regarder la partie qui prend la parole ;
- Fait des « hum hum » qui rythment parfois les propos, lorsque ceux-ci vont dans le sens d’un accord potentiel ;
- Dit « ok » de manière aléatoire, pour débuter certaines phrases de type empathique ;
- Utilise des phrases de synthèse visant à témoigner d’une entente, sur un ton neutre et une expression insistante, teintée de moralisation : « Ce qui est important pour vous (deux), c’est … quand même vos enfants (elle dit votre fille alors qu’au début il s’agissait de deux enfants) et que vous feriez vraiment un grand pas vers l’autre pour collaborer dans ce sens. » ;
- Utilise le « on » pour énoncer un accord : « on peut conclure là-dessus ? » et témoigne ainsi de son implication en sympathie, au côté des deux parties ;
- Dit : « moi je voudrais qu’on essaye vraiment cette séance ci de se concentrer sur la question de l’autorité parentale … »
- Apporte des explications
- Est-ce que y’a d’autres points qui vous semblent importants justement à réfléchir et à prendre quelques décisions ensemble ?
- Recadre sur le sujet en souriant
Le processus centré sur les enfants est fortement soutenu par un témoignage d’un père qui déclare avoir été convaincu par le processus qui lui a permis de prendre conscience et d’avoir confiance. Il raconte avoir été sensible à l’intervention moralisatrice de la médiatrice au regard des intérêts de l’enfant. Ce témoignage vient renforcer le rôle de la médiatrice pour mettre l’enfant au centre des discussions.
La médiation pour conformer et faire obéir aux représentations culturelles
Contexte de formation. L’intervenante déclare qu’il faut passer du litige au conflit. Il faut élargir de cette manière parce que le litige implique une négociation sur les positions (manière de voir l’organisation, la répartition). Il faut sortir de la définition juridique du problème. Il faut transformer la position en enjeux et ainsi redéfinir le problème « on va dire le problème ce n’est plus un problème de garde, c’est comment vous allez assumer votre autorité parentale et exercer votre rôle de parent maintenant que vous n’êtes plus un couple ? »
Le médiateur est vécu comme protecteur « fait barrage », facilitateur, apaisant « la situation n’était pas aussi dramatique que je l’appréhendais ». La médiatrice donne un cadre, laisse un temps de parole à chaque personne.
Cette vidéo représente un travail honorable, tant sur le plan de la réalisation que sur celui de l’élaboration du processus. Il est sans aucun doute efficace quand la morale suffit pour faire « entendre raison ». On peut aussi comprendre ses limites avec des personnes chez qui le conflit est plus fort ou que les arguments enfants-centrés ne parviennent pas à impliquer dans une démarche d’apaisement.
Ce processus correspond à tous les processus de médiation conçue sur un mode renforcé de la conciliation. Il s’agit d’un processus répondant aux pratiques de l’arbitrage. C’est une forme de médiation visant à conformer les personnes à des conceptions entendues, la « médiation pour obéir ». La médiatrice s’assure que l’accord sera « conforme à l’ordre public et aux bonnes mœurs » (cf. le manuel pédagogique).
Des différences difficiles à combler
Les différences techniques avec la médiation professionnelle sont totales. Les différences sur le processus structuré de l’approche préconisant le droit à la médiation sont également totales. Le premier point est que la discussion se fait sur la légitimité des positions, puis la recherche de projet personnel, l’identification des éventuelles issues envisageables…
Il reste que la promenade dans le processus de cette école de médiation, à défaut d’apporter des éléments constructifs, a été très intéressant. Il est un outil qui témoigne publiquement de cette pratique de la médiation, reposant sur la défiance (validation par l’autorité judiciaire) pour se conformer, soit pour obéir (ordre public, bonnes mœurs), qui fait toute la différence avec la médiation professionnelle, associée à la promotion du droit à la médiation, une médiation pour réfléchir et être libre de ses décisions. Ces différences sont de nature très difficiles à combler tant il s’agit d’un changement complet de paradigme.
Et ne rater pas notre rendez-vous au Symposium de la médiation professionnelle… quoique vous pourrez avoir une séance de rattrapage avec celui de l’année prochaine 😉
Qu’ici le médiateur définisse l’ordre des sujets à aborder et place particulièrement l’aspect financier en dernier ne m’apparait pas le fruit du hasard. En médiation familiale c’est bien l’aspect financier qui est celui qui fait le plus débat, le plus difficile à traiter en accord. Dans cette forme de médiation, il me semble que l’on va obtenir des accords « plus faciles » en laissant les personnes se projeter dans une vie idéale de la garde alternée, sans qu’il soit question d’argent. Quand le sujet financier est mis sur la table, si on a le temps de l’aborder dans le temps imparti, le principe va être de faire réagir les personnes que ce serait dommage que cet aspect soit un blocage alors qu’ils ont déjà travaillé et convenu de biens des accords. On voit bien que c’est fondamentalement différent du processus de la médiation professionnelle qui elle va « s’attaquer » en premier au cœur du problème quel qu’il soit par une élévation conceptuelle. Cela va être difficile, cela va bousculer les personnes mais une fois ce cap passé, l’accord de médiation est au bout. Mon propos, comme celui de Jean Louis dans cet article n’est pas de critiquer une forme de médiation par rapport à la médiation professionnelle, mais juste de bien noter quelles en sont les différences dans la forme.
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