Une justice en mutation, avec avocat et médiateur obligatoire entre 2015-2025 ?

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Félicitations au bâtonnier de Paris, Christiane Féral-Schuhl pour son année dédiée à la médiation

Ce sont des félicitations qu’en tant que professionnels de la médiation nous nous devons d’adresser à Christiane Féral-Schuhl pour les actions qu’elle a conduites et soutenues au service de la médiation durant cette année 2013. Certes, nous n’avons pas le même point de vue. Est-ce étonnant ? Le choix de mettre en place une formation spécifique, avec un centre sous l’autorité du barreau de Paris, marquée du point de vue de la médiation développée par l’institut catholique, se voudrait un choix rassurant. C’est une action respectueuse de la tradition. Petite entorse à la laïcité républicaine. Un compromis, en quelque sorte, mais qui peut paraître regrettable au regard des engagements de l’institution religieuse contre l’égalité des droits. Certes, la médiation est pluriel[1]. Dans ce cas, c’est quand même comme si le plombier s’occupait de former le couturier. Néanmoins, félicitations à Maître Féral-Schuhl, l’exercice n’est pas simple de concilier des conceptions personnelles avec des obligations corporatistes.

Le mandat d’un bâtonnier est court et c’est ambitieux de promouvoir une quasi-hérésie professionnelle. La bâtonnière promeut la médiation et il en restera toujours quelque chose, si ce n’est de la médiation, au moins du conflit vu autrement. Avec détermination, elle assume l’improvisation d’une fonction de « médiatrice », parce qu’elle accompagne une rupture dans les postures traditionnelles des gens de robes.

Les avocats doivent s’y préparer : les différends judiciarisés sont en passe d’échapper au monopole de la conception juridique. Les prérogatives des avocats sont de plus en plus contestées. Jusqu’à maintenant, après les méthodes de la vendetta ou du duel au petit matin, le règlement des comptes doit passer par la voie judiciaire, avec pour conséquence la substitution et la soumission à l’autorité. Avec les méthodes juridiques, à défaut de pouvoir conclure, on diffère. Travail d’horloger en quelque sorte. La judiciarisation a ses avantages gestionnaires. Elle détourne le conflit de sa propre histoire. On bâtit un autre scénario. L’implication conflictuelle est mobilisée autrement. La conflictualité peut s’y perdre et l’adversité s’y pondérer. Pour exercer, pendant longtemps, c’était simple. Jadis, une inscription sur le tableau ordinal, une plaque sur rue et les justiciables faisaient la queue dans la salle d’attente, comme les patients la faisaient ailleurs. Le droit a été affirmé comme la médecine des affrontements, certes fort peu curative, mais aussi aveugle que cette invention mystique qu’est la « justice ». Nous n’avions rien imaginé de mieux. Pour réussir dans cette profession, il fallait développer des capacités procédurières et le sens de l’esquive dans le contradictoire. Désormais, d’autres façons plus opérationnelles et mieux adaptées se développent. Il devient dépassé le temps exclusifs des conclusions à répétition. Une autre manière de régler les conflits se développe. Il ne s’agit plus de gérer, mais de résoudre.

L’invention d’un droit non juridique : le droit à la médiation

La machinerie judiciaire est devenue coûteuse pour l’organisation sociale et inadaptée au fonctionnement de notre civilisation. Dans le système, on a déjà supprimé les avoués. Le droit ressemble cependant au système de Microsoft qui a fini par arrêter le multicouches de la programmation du DOS pour tout repenser. Trop de lois, trop d’interprétations. Trop de bugs. Ces superpositions multiples font croire qu’un conflit est d’abord une affaire de droit. Avec l’avancée de la thèse psychologique, le lien s’est fait entre ces deux conceptions : un conflit serait une affaire complexe entre dimension juridique et dimension psychologique. De quoi y passer plusieurs hivers.

Il conviendrait de reconsidérer ce qui fait le conflit. La relation, ça s’apprendrait, se réapprendrait par delà les surenchères de la défiance et de la méfiance. Tout un programme. La médiation offre une nouvelle voie et amorce la reconnaissance d’un nouveau droit, celui du « droit à la médiation ». C’est audacieux, et même impertinent, parce qu’il s’agit d’un droit non juridique. Un droit relationnel. Un droit fondamental, celui de l’exercice de la liberté telle qu’elle est constatée par la déclaration universelle des droits de l’Homme. On y verrait presqu’un esprit révolutionnaire. Que trouve-t-on ? Le droit de prolonger la liberté contractuelle au-delà d’un différend, face à l’institution d’un droit autoritaire contraire au principe de liberté.

On peut identifier alors que Mme le bâtonnier de Paris, attentive à ne pas trop bousculer ses confrères, accompagne une conception très juridico-centrée de la médiation. C’est précisément la thèse moralisatrice dispensée par le lobby religieux, avec l’IFOMENE.

Mais désormais, les choses sont dites. Le droit à la médiation est une revendication légitime d’une profession affirmée, au service d’une citoyenneté participative.

Pas facile de passer de l’avocat obligatoire au médiateur obligatoire

Pendant longtemps, le conflit judiciarisé était l’affaire du monde des juristes. A l’époque où les différends civils exposaient les débiteurs à la prison, l’assistance des avocats était vécue comme indispensable. Les choses ont changé. Vite. La dépénalisation des affaires civiles a été une étape. Les avocats ont dû œuvrer pour conserver leurs prérogatives. Ici et là, l’assistance des avocats a été déclarée obligatoire, sauvant le discours juridique. Le conflit, une fois juridicisé, et a fortiori judiciarisé, est resté capté par les professions juridiques. On a brodé le « fait juridique ». La terminologie est chargée de sens. La visite chez un avocat transforme le citoyen en justiciable. Les juristes ont la main et in fine décident à sa place de ce qui est le meilleur ou le moins pire. Ce n’est pas facile d’envisager la légitimité de passer d’une situation acquise prévoyant le recours obligatoire à un avocat à une nouvelle donne préconisant l’assistance obligatoire d’un médiateur. Difficile de sortir des habitudes de l’assistance de l’adversité à l’assistance de l’altérité. La liberté affirmée dans l’article 1er de la déclaration des droits de l’homme est pour le moment remisée. D’autres professions se sont inspirées de ces pratiques de captation et s’y accrochent. Le modèle n’est pas simple à faire basculer pour le remplacer par des moyens mieux adaptés à une société de communication.

L’idée est très simple pour tout expliquer : on est de plus en plus nombreux à ne plus vouloir qu’on nous impose, on veut de plus en plus participer. Et tout est concerné, des décisions post électorales aux décisions qui nous concernent et qui nous sont grignotées depuis longtemps. Le système judiciaire est système d’autorité. En matière civile, on nous impose. Il existe désormais un système qui peut permettre à tous de décider. Il faut en faire un droit. C’est simple et clair.

La fiction du libre choix dans les relations conflictuelles

Selon Madame le bâtonnier de Paris, les avocats s’opposeraient à la reconnaissance du « droit à la médiation » qui permettrait de retirer la tutelle juridico-judiciaire. « … les avocats et les auxiliaires de justice sont attachés au développement de la médiation et des autres modes alternatifs de résolution amiable des litiges, (…), a-t-elle déclaré[2]mais que ces moyens ne sont efficaces que lorsqu’ils correspondent au libre choix des parties et qu’ils ne sauraient dès lors être imposés à peine d’irrecevabilité d’une demande en justice. »  Cette affirmation paraît pleine de bon sens[3]. Mais outre qu’elle consiste à continuer d’enfermer les différends dans la représentation juridique, elle véhicule un paradoxe : la liberté de choix quand on est en conflit est très illusoire. Les personnes en conflit ont abandonné l’idée de trouver une issue avec l’autre. Coincées dans leur dynamique conflictuelle, elles ont le sentiment d’avoir tout essayé et épuisé. La colère, l’appétit de revanche, d’imposer, de contraindre est bien plus fort que toute raison. Elles sont dans l’adversité et l’altérité leur est inconcevable. Alors, dans tous les cas, il faut cesser avec cet argument surfait de la liberté de choix quand on est en conflit, c’est du bidon, et tous les professionnels le savent.

Pourtant Christiane Féral-Schuhl insiste. Selon son ultime argument « L’objectif est ici de rappeler qu’il ne faut pas que la médiation devienne une conciliation obligatoire, parce que dès lors qu’il n’y a pas cette volonté des parties, la première strate de la médiation n’est pas pertinente. » Elle sait bien que son argument d’autorité sur la « première strate » de la médiation ne démontre rien. Il faut reposer les choses correctement. D’abord, son propos présente un amalgame entre médiation et conciliation : la première tend à l’élaboration d’une solution entre les parties, l’autre est une action de recommandation d’une solution inspirée d’une posture d’autorité. Ensuite, c’est jouer de confusion entre l’entrée dans le processus et sa finalité, parce que offrir le choix entre le système judiciaire et la médiation obligatoire, issue du droit à la médiation, c’est en réalité proposer un choix entre décision imposée et décision choisie. La liberté est donc plus assurée par l’exercice du droit à la médiation que par celui de l’accès au système judiciaire.

D’évidence, ce n’est donc pas du même métier dont nous parlons, lorsque nous parlons de médiation professionnelle ou de profession juridique. Le paradigme n’est pas le même. Les avocats qui souhaitent se l’approprier vont devoir suivre une autre formation que celle proposée par le barreau de Paris. C’est d’ailleurs pourquoi nous affirmons qu’il est possible de travailler ensemble et que de plus en plus d’avocats en viennent à le faire en signant des conventions avec le réseau ViaMediation.

Une décennie 2015-2025 pour faire reconnaître le droit à la médiation

Les chemins de la médiation conduisent ainsi vers un autre professionnalisme. Difficile. Difficile à concevoir dans ses implications. Mais on avance déjà dessus et merci donc à Christiane Féral-Schuhl de jouer aussi aux éclaireurs. Malgré l’incitation, les pionniers sont encore peu nombreux et tous les accompagnements sont les bienvenus.

Les actions conduites par Christiane Féral-Schult sont une sensibilisation et c’est important, partant de rien c’est un bon début. Pour qu’il en reste quelque chose, des formations porteuses d’un message conservateur ne suffiront pas. Il faut poursuivre avec un travail en profondeur, qui doit porter dès la formation initiale et l’enrichir tout au long de la pratique. C’est à ces conditions que la grande profession du droit pourra devenir porteuse non pas d’une conception univoque du droit qui place sous tutelle les justiciables, mais du droit qui soutient l’effort de liberté des citoyens.

2014 ouvre un nouvel horizon. Pour les médiateurs professionnels, ce sera aussi une année de transition et de préparation. L’objectif est de lancer la décennie de promotion du droit à la médiation. Toutes les actions marquent un pas. Et nous invitons les avocats à s’approprier le nouveau droit qui se développe dans le champ des relations. Un droit nouveau qui fait sortir du champ juridique. Un droit de la relation et de la libre décision. C’est pourquoi, nous invitons les professionnels du droit à venir découvrir ce qu’est la médiation professionnelle, parce que c’est là que s’amorce le changement quand on pense « résolution des conflits ».

Et même si l’année 2013 se termine, je ne doute pas que l’implication de M° Féral-Schuhl ne va pas s’arrêter là pour soutenir cette démarche visionnaire d’une démocratie participative, parce que participer aux décisions qui nous concernent, c’est le minimum dans un pays où la liberté est le principe le plus affirmé.

Lexique

Droit d’accès à la justice : consiste à valider l’interruption de la liberté relationnelle et contractuelle. Limite l’exercice du libre arbitre et place les citoyens sous tutelle judiciaire, en débouchant sur une décision prise par un tiers.

Droit à la médiation : repose sur le principe de la sauvegarde de la libre décision. Vise à étendre la liberté relationnelle et contractuelle par delà les conséquences d’un différend.

Juridicisé : une relation juridicisée est une relation vue sous l’angle juridique.

Judiciarisé : une affaire judiciarisée est inscrite dans une procédure judiciaire.

Médiation : approche de transmission d’information assistée par un tiers, quel qu’il soit : arbitre, conseil, consultant, conciliateur, porte-paroles. En matière de conflit, le médiateur participe à la « gestion des conflits ».

Médiation professionnelle : discipline dispensée exclusivement par l’école professionnelle de la médiation et de la négociation, promouvant la qualité relationnelle. Elle préconise le recours à un processus structuré visant la résolution des différends assistée par les médiateurs professionnels. Elle est développée par trois organisations : l’EPMN (l’école), la CPMN (l’organisation professionnelle) et ViaMediation (le réseau).

Principe de sauvegarde du libre arbitre : ce principe repose sur l’article 1er de la déclaration universelle des droits de l’Homme. Il n’est reconnu actuellement dans aucun pays démocratique. Il est essentiel dans l’organisation d’une démocratie participative. Il est mis en œuvre par l’intervention des médiateurs professionnels (CPMN).



[1] Le Code de la Médiation et du médiateur professionnel, dirigé par M° Agnès Tavel, préfacé par le Premier président Bruno Steinmann, 2014, Médiateurs Editeurs.

[2] Médiation et Justice, article de Jean-Paul Viard, Les Affiches parisiennes, 17 décembre 2013,

[3] Voir Et tu deviendras Médiateur … et peut-être philosophe, Jean-Louis Lascoux, Médiateurs Editeurs, 3° ed. 2013, p. 48 et s.

Article publié sur Agoravox et village de la justice

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