Qui peut être médiateur en Belgique ?

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La question de savoir « Qui peut être médiateur ? » se pose notamment parce que les professions habituellement en charge des affaires du contentieux, puissantes dans leurs organisations, cherchent à capter ce nouveau mode de règlement des différends qui, au contraire d’en faire une traditionnelle gestion, s’oriente vers leur rigoureuse résolution.

Question simple : « Comment tirer la couverture à soi ?« . L’argument d’autorité « J‘exerce une profession de médiateur naturel » a perdu toute crédibilité. Le législateur ne sait pas comment s’y prendre, ici ou ailleurs, pour encadrer cette nouvelle activité où chacun peut aider les autres à apaiser une relation. Ainsi, pour forcer l’encadrement des choses, on distingue sans que cela puisse être justifié, les médiateurs judiciaires des médiateurs conventionnels. Cette situation pourrait sembler faire très brouillon. Pour frayer son chemin, sortir du lot dans tout cela, il faut argumenter. « Qui peut être médiateur ?  » Le site des avocats Belges nous offre un argument fondé sur l’un des plus vieux mécanismes de raisonnement, le syllogisme. Alors ? Allons plus vite, mais restons didactique. C’est quoi déjà un syllogisme ? L’exemple consacré est le suivant :

« Socrate est un homme, or tous les hommes sont mortels, donc Socrate est mortel. »

Ce qui aurait été démontré avec l’absorption de la cigüe par le philosophe condamné à mort pour cause de laïcité prématurée. Mais ce n’est pas le sujet. Un syllogisme est un raisonnement avec trois éléments :

  • une affirmation, pour lancer une idée, faire une démonstration,
  • une condition, pour définir le contexte ou le champ d’application et ce qui est inclus et exclus,
  • et une déduction, qui s’impose comme une évidence et renvoie dans un rapport de causalité.

Les deux premiers éléments du raisonnement sont appelés des prémisses, la première est majeure la seconde mineure, et le troisième élément est une conclusion. Le tout est nommé syllogisme. C’est simple, efficace et permet d’avancer des arguments en vue de convaincre, même si ça ne plait pas trop. Les applications sont très diversifiées. Par exemple :

« Un avocat est un tiers, or un tiers est un médiateur, donc les avocats sont des médiateurs. »

Ne vous précipitez pas : ce raisonnement n’a que l’apparence de la rigueur. Il peut passer lors d’un discours grâce à l’inattention des auditeurs ou leur enthousiasme corporatiste, mais il ne tient la route. Il fonctionne sur une généralisation qui, en réalité, autorise un lien de causalité qui n’a pas de rapport. Dans le même ordre d’idée, le site des avocats francophones et germanophones de Belgique affiche le raisonnement suivant :

« Légalement toute personne peut être désignée comme médiateur.
Mais seuls les accords réalisés par des médiateurs agréés pourront être homologués par le juge.
En réalité, il n’est pas donc envisageable de confier une médiation à une personne qui n’a pas reçu une formation adéquate. »(1)

La locution adverbiale « En réalité » renvoie à une prétendue expérience concrète, tandis que les deux prémisses sont associées au droit. La conclusion est fausse. Pour être vraie, elle aurait pu être rédigée ainsi :

« En conséquence, faites appel à un médiateur non agréé, celui-ci vous épargnera d’être placé sous la tutelle décisionnelle d’un juge et préservera ainsi votre liberté de décision. »

Ce n’est pas du tout la même chose qui est conclue. Dans le premier prémisse, le rédacteur parle du médiateur conventionnel ; c’est donc, dans la rigueur logique, au regard de celui-ci qu’il doit conclure. La tromperie ou l’erreur consiste à conclure par rapport à la deuxième prémisse.

La contre-productivité de la désinformation

L’inexactitude, voire le caractère mensonger de la conclusion du raisonnement publié sur le site des avocats Belges peut conduire à des choix considérés comme obligatoires mais qui ne le sont pas, pas plus en droit qu’en réalité.

En effet, et en réalité, il est faux de laisser entendre, par le lien entre la deuxième prémisse et la conclusion, que pour être valables, les accords de médiation devraient être homologués. Dès qu’elles ont trouvé un accord, les parties peuvent abandonner toute procédure. Qu’on se le dise. Elles n’ont aucune obligation de poursuivre et non plus d’informer qui que ce soit du contenu de leur accord, pas même le juge qui aurait été saisi et qui aurait ordonné la médiation. C’est le principe de la liberté contractuelle / relationnelle recouvrée. Si l’accord de médiation n’est pas bâclé, assisté dans la perspective de faire marcher le système juridico-judiciaire, le principe de confiance qui fondait l’entente antérieure au conflit ne peut qu’être restauré.

Comprenons bien, un accord de médiation s’appuie autant sur la confiance que sur le libre arbitre. Contrairement à la décision imposée, ou à une négociation fourbe, la suspicion est balayée de l’accord de médiation, en tout cas si c’est pratiquée de manière professionnelle. Une vraie médiation.

L’homologation consiste en une lecture par le juge et un enregistrement aux greffes qui transforme l’accord en jugement de sorte qu’il soit possible de le faire exécuté en cas de manquement ; c’est-à-dire que la défiance est toujours là ou a été réintroduite. On sort de la médiation pour remettre en place le système de l’adversité. On fait homologué parce qu’on n’a pas confiance en l’autre. Cette pratique de l’homologation repose sur l’idée que l’humain n’est pas digne de confiance alors que la médiation repose sur l’idée contraire.

Alors, ce raisonnement ? Nous pouvons noter que le rédacteur a utilisé le système de la généralisation, le renvoi à la réalité pour tenter d’étayer son allégation, et établir un lien de causalité inexistant. A savoir si maintenant cet art sophistique appliqué ne serait pas volontaire … Ce serait une maladresse ? Pourquoi pas. A savoir, pour rester sur le terrain didactique, que si le syllogisme est faux et que le locuteur n’est pas animé par l’intention de tromper, c’est un paralogisme, sinon, c’est un sophisme.

Il me semble néanmoins qu’il pourrait être opportun de lancer le développement de la médiation professionnelle en Belgique…

(1) Site avocats.be onglet médiation, février 2014

5 Commentaires

    • Bonjour Bernard, En effet, voici bien des années que nous sommes en relation et la médiation a bien avancée depuis notre premier contact. Chaque courant y est allé de sa conception des choses. Aujourd’hui,  en France, la discussion porte sur la reconnaissance du « droit de la médiation et des modes amiables de résolution des différends », que j’ai déjà fortement marqué avec le « Code de la médiation et du médiateur professionnel », désormais dirigé par Agnès Tavel. J’ai pu constater qu’une édition Belge a repris le titre « Code de la médiation » pour la législation en Belgique. Super travail de recherche. 

      Une fois que le droit des MARC sera reconnu, il restera à faire avancer le « droit à la médiation », lequel se démarque par sa promotion de la libre décision in fine. En Belgique, il ne semble pas y avoir de débat et j’observe qu’il y a dans les formations de médiateurs un peu n’importe quoi en guise de contenu. 

  1. Merci Jean Louis pour cette magnifique démonstration. Dès 2010, j’ai renoncé à cet hypocrite agrément à la belge. Je pratique la médiation « sans contrainte gouvernementale » et je conserve « sans différence » la confiance totale des demandeurs d’une médiation professionnelle!

  2. Bonjour. « … le principe de confiance qui fondait l’entente antérieure au conflit ne peut qu’être restauré (…) un accord de médiation s’appuie autant sur la confiance que sur le libre arbitre. » c’est ça qui est impossible à comprendre, appréhendé du point de vue de l’adversité. L’adversité agit de telle sorte qu’il est impossible de voir quoi que de soit d’autre. Cordialement, Jésus.

    • Hello Jésus, En effet, l’habitude de considérer les choses d’un seul point de vue empêche d’évidence les rédacteurs Belges de constater leur faute de raisonnement et d’y remédier. Seraien-ils persuadés de bien regarder, et auraient-ils l’altérité dans l’angle mort en quelque sorte ?

      Tu opterais  pour que cette rédaction soit plus le fruit d’une maladresse, conséquence de l’entêtement dû au formatage en adversité, plutôt que d’une intention visant à induire le lecteur en erreur… C’est possible.

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