La médiation judiciaire, parent pauvre du système judiciaire ?

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Le ministère de la justice vient de publier un texte qui encadre les conditions de rémunération des professionnels, avocats et médiateurs lorsque le juge ordonne une médiation. Il va même plus loin, puisqu’il prévoit également une rémunération pour les médiations conventionnelles dont les accords seraient soumis au juge. Mais toutes les formes de médiation n’ont pas les mêmes objectifs, tout en intervenant sur des situations identiques : les conflits. Les médiateurs professionnels sont dubitatifs quant à la manière dont les textes sont adoptés, sur les choix officiels et les moyens consacrés pour encourager la médiation.

La médiation professionnelle n’est pas une instrumentation liée au recours judiciaire. Si l’objectif peut paraître identique pour le système judiciaire et la médiation professionnelle, la finalité est différente :

  • le recours judiciaire consiste à abandonner le fondement de la liberté individuelle en s’en remettant à la décision d’un tiers ;
  • le recours à la médiation professionnelle consiste à maintenir la libre décision et s’engager dans la réalisation d’un projet relationnel.

Les principes qui régissent l’un et l’autre ne sont pas du même ordre. Le premier est associé à la morale et au droit pour gérer l’adversité, le second à l’éthique pour promouvoir l’altérité.

La médiation judiciaire, une action citoyenne

L’intervention dans le contexte judiciaire est une possibilité de prestation de service, mais ne constitue pas le coeur de métier des médiateurs professionnels. Pour intervenir en matière judiciaire, les médiateurs professionnels doivent être motivés par l’accomplissement d’une action citoyenne. A défaut, ce contexte d’intervention pourrait bien être sans intérêt et n’intéresser que des acteurs des conceptions gestionnaires des conflits.

Les médiateurs incités à judiciariser les accords amiables

Une étonnante mesure incite à transformer des accords amiables en actes contrôlés par le juge. Le législateur a inventé un moyen pour inciter les médiateurs à judiciariser les accords. Les médiateurs deviennent ainsi plus que des auxiliaires de justice, des pourvoyeurs de soumission à l’autorité judiciaire. Un total paradoxe ! Les médiateurs qui devraient conduire des processus avec les personnes pour leur libre décision, devraient proposer aux parties de faire homologuer leur accord amiable et toucheraient des honoraires pour cette action. De quoi y perdre sa neutralité !

La rétribution du médiateur peut intervenir dans le cadre d’une médiation judiciaire ou d’une saisine du juge aux fins d’homologation d’un accord conventionnel. Dans le cadre d’une médiation conventionnelle, la rétribution du médiateur ne concerne que la phase de saisine du juge en vue de l’homologation de l’accord trouvé entre les parties. En aucun cas, le médiateur ne pourra percevoir de rétribution au titre de l’aide juridictionnelle pour la médiation conventionnelle en tant que telle.

Ce texte est extrait d’une dépêche du ministère de la justice diffusée le 20 janvier, concernant la médiation judiciarisée. Il s’agit de fournir aux magistrats une feuille de route et une grille tarifaire pour l’intervention des avocats et des médiateurs dans le cadre judiciaire.

Une médiation sous contrôle et démunie

Le tarif des médiations pour lesquelles les justiciables bénéficient de l’aide juridictionnelle n’est pas attractif, c’est le moins que l’on puisse dire. Pour conduire une médiation avec seulement deux personnes qui s’opposent, il faut compter au plus approximativement dix heures, sans comparaison avec la procédure judiciaire. Calcul fait, le gouvernement propose une tarification à 51,20 euro HT maximum /heure. Est-ce à dire que la médiation est le parent pauvre du système judiciaire ?

256 euros HT maximum pour chaque partie bénéficiant de l’aide juridictionnelle dans la limite de 512 euros HT pour l’ensemble des parties bénéficiant de l’aide juridictionnelle. Si seule l’une des parties bénéficie de l’aide juridictionnelle, le montant de la rétribution du médiateur sera au maximum fixé à 256 euros HT par le juge taxateur. Par contre, si trois parties bénéficient de l’aide juridictionnelle au sein d’une même médiation, le montant de cette rétribution sera limité à 512 euros HT. Néanmoins, lorsque le médiateur est déjà rétribué totalement ou partiellement par un tiers (par exemple par la CAF dans le cadre d’une médiation en matière familiale), le montant de la rétribution du médiateur au titre de l’aide juridictionnelle fixée par le magistrat taxateur ne peut être supérieur à la part restant à la charge des parties. Ainsi, pour calculer le montant maximum de la prise en charge de la rétribution du médiateur au titre de l’aide juridictionnelle, le magistrat taxateur déduira au préalable les sommes que le médiateur aura déjà perçues de la part de tiers.

Dans ces conditions financières, seules des personnes en quête d’un complément de ressources peuvent être motivées à apporter leur concours aux justiciables.

Autrement dit, les médiateurs professionnels ne peuvent intervenir que pour la gloire de leur citoyenneté. Les rémunérations ne peuvent pas concerner des professionnels qui consacreraient leur temps à des interventions de ce type. A moins que l’une des parties aient une assurance recours juridique qui permettrait d’avoir une rémunération adaptée… Et dans ce cas, la médiation serait déjudiciarisée et le médiateur pourrait revenir devant le juge pour ajouter la prise en charge de la demande d’homologation… Que de bureaucratie, alors qu’on est dans l’ère du numérique !

La confidentialité mise à mal

Le formulaire du rapport standardisé proposé par le ministère de la justice incite le médiateur à enfreindre le principe de confidentialité. A priori, on peut se dire qu’il respecte les textes du législateur lui-même. Mais ce n’est pas tout à fait exact. Il est indiqué que le médiateur est tenu à la confidentialité, c’est-à-dire qu’il ne doit pas faire savoir ce qui s’est passé entre les parties. Cependant, le formulaire lui fait obligation de communiquer aux juges le contenu de l’accord. Or, le principe est que cet accord ne regarde que les parties, lesquelles peuvent décider de le tenir secret. Si le médiateur le fait connaître au juge, il viole le principe de confidentialité.

 

Télécharger le document du ministère de la justice

Dépêche du 20 janvier 2017 relative à la prise en charge de la médiation au titre de l’aide juridique.

  • Textes sources : Loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique ;
    – Décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi relative à l’aide juridique ;
    – Décret n° 91-1369 du 30 décembre 1991 fixant les modalités particulières d’application dans les
    départements d’outre-mer, à Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon, ainsi
    qu’en Polynésie française de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique ;
    – Décret n° 2016-1876 du 27 décembre 2016 portant diverses dispositions relatives à l’aide
    juridique