Les Rencontres philosophiques d’Uriage ont lieu chaque année depuis dix ans. Elles emportent des sujets transversaux comme le beau, le bon et le bien. Le but est de produire une pensée utile pour un public le plus large possible. Pour la décennie, une part de l’esthétique était au rendez-vous. Le sujet était :
« L’art peut-il refaire le monde ?«
De l’art considéré comme un agrément à l’art considéré comme une discipline, le champ de réflexion est très large. L’art de la Cigale serait-il plus artistique que celui de la fourmi ? Sans doute, les deux façonnent le monde. Quelles en sont les influences ?
Ainsi, l’objectif de ces rencontres n’est pas seulement de conduire une réflexion avec une recherche d’équilibre entre la pensée et l’action. Il embarque aussi des questions de patrimoine et d’actualité, des rapports au réel et au vraisemblable. Voici 8 ans, en 2011 donc, le sujet était tout autre :
La justice et ses milieux
L’objectif était alors de s’interroger sur l’idée de « Justice » ? Pas seulement le système judiciaire, mais l’idée même de la Justice. Qu’est-ce qui fait le juste et l’injuste, dans la réalité et à nos yeux ? On peux se prendre à rêver, mais pas que… J’étais invité comme intervenant. Alors, j’ai abordé le sujet du juste et de l’injuste, entre espoirs et illusions.
Ce questionnement sur la justice est permanent. Confrontée aux systèmes de justice et à la Justice entendue comme fonction sociale institutionnalisée, la philosophie interroge le juste, à savoir la valeur ou l’idée qui sous-tend et légitime la norme légalisée et le jugement lors d’un procès. Le débat peut s’étendre dans la manière affective de vivre une injustice et d’attendre que « justice soit rendue ».
Ainsi, l’interrogation semble entrer naturellement dans le champ de réflexion de la Médiation Professionnelle et, donc, des Médiateurs Professionnels. Apparence !
Le mythe de la Justice
Auteur et fondateur de la profession de Médiateur, j’ai assuré l’avant dernière intervention de ce colloque. Et si pour comprendre l’idée de justice, il était nécessaire d’observer les mécanismes de l’injuste, ses tentations et ses travers ? Et si, au demeurant, la justice était une fiction, une illusion ?
J’ai amorcé mon propos par le mythe de Gygès (cf. Livre 2 de la République de Platon), ce berger que la tentation du pouvoir corrompt. Il règne grâce à la magie d’une bague. Celle-là lui permet de jouer avec les délits d’initiés et les protections diverses. La justice est à sa main, comme l’anneau l’est à son doigt. Puis, j’ai présenté une situation judiciarisée. Il s’agissait d’un conflit fait de violence entre des conjoints. La manipulation des enfants du couple n’a fait que rendre complexe l’accès à une issue. L’idée de justice ne pouvait avoir prise. La répression était en marche, comme s’il n’y avait pas d’autre solution.
Pour une médiation reposant sur une approche rationnelle
Dans un tel contexte, j’ai illustré le succès de la Médiation Professionnelle. Cet exemple renvoie clairement à la nécessité d’une pratique rigoureuse de la médiation, avec un processus structuré pour aider les protagonistes (et il faut arrêter avec les « médiés » et les « médiants ». Pourquoi pas « médiables » sur le modèle de « justiciables » ?), à franchir le pas de l’altérité.
Justice brutale et justice douce ?
Les médiations traditionnelles se sont affirmées sur une critique du système judiciaire : il serait brutal.
Ainsi, recourir à une forme de déjudiciarisation permettrait d’obtenir une justice adoucie. C’est pourquoi les médiations traditionnelles ne peuvent intégrer la médiation professionnelle comme un « mode alternatif de règlement des différends ». Elles balbutient sur des approches faites de compassion, de bienveillance et de complaisance, avec leurs opposés. Les parties pris sont d’ordre normatif et il parait malséant de les identifier. On comprend aisément pourquoi les médiations traditionnelles sont rattachées à l’idée d’une « Justice douce ».
Les ententes issues de la Médiation Professionnelle ne sont pas nécessairement « justes »
En médiation professionnelle, la notion de justice n’existe pas. La recherche est celle de la définition d’un projet fondé sur une entente. Le processus est structuré. Les raisonnements sont à la fois discursifs (logiques et intégrant les digressions) et aporétiques (confrontant aux éventuelles contradictions). L’altérité résulte d’une posture de rationalité. L’objectif est le projet relationnel, c’est-à-dire la fiabilité des implications personnelles.
Deux paradigmes se côtoient : le Contrat et l'Entente
Et contrairement à l’apparence, l’approche la plus matérialiste n’est pas celle que l’on croit. Les approches traditionnelles privilégient les négociations sur les enjeux et les intérêts, tandis que la médiation professionnelle consiste dans un travail sur les positions et ce qui dans l’expérience de vie les fonde. Alors, les médiations traditionnelles oeuvrent sur les chemins du Contrat et du Contrat Social, tandis que la médiation professionnelle ouvre un nouveau paradigme, celui de l’Entente et de l’Entente Sociale.
Arrêter avec le mythe de la Justice
J’ai interrogé sur les sources de l’idée de Justice. J’ai voulu démontrer qu’il s’agit d’un mythe plus que d’un idéal. Pour cela, j’ai mis en évidence que l’idée de Justice est une fiction au service de la représentation pyramidale de l’organisation sociale plus qu’un moyen performant au service de l’Entente et de l’Entente Sociale.
Plusieurs personnes ayant connu une situation similaire sont venues apporter leur témoignage en regrettant l’absence de la Médiation Professionnelle comme dispositif de recours.
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