La concertation, de la décision à l’action

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[pullquote]Je vous ai déjà présenté une fable de LaFontaine, c’était le loup et l’agneau. A propos du refus de la médiation, en 2010 ![/pullquote]A propos de la lenteur de la concertation pour se décider à passer à l’action, Jean de Lafontaine a donné une leçon qui vaudrait dans bien des situations. Dans une fable, il a créé deux personnages qui parcouraient une plage. Soudain, une huître – que les flots avaient posée sur le sable – les inspira pour faire table.

L’un l’avait vue, l’autre sentie. Auquel des deux revenait le plaisir ?

Pour résoudre leur différend, nos deux compères avaient pris un passant pour juge.

Bien mal leur en a pris.

Celui-là, opportuniste, ne s’embarrassa pas de polémique. Il croqua et avala le mollusque. Il ne laissa que la coquille aux deux compères qui pouvaient bien, impuissants, en faire un ostracisme illusoire.

La leçon qui semble pouvoir en être tirée peut paraître glorieuse : il y aurait celui qui prend les décisions et les indécis. Il y aurait ceux qui font et ceux qui parlent.

Accordez-moi un bref instant supplémentaire. Il y a surtout un regard sur un type de comportement opportuniste, celui du parasite, du profiteur, celui que Racine, puis Lafontaine avait nommé Perrin Dandin, l’Eugène de Rastignac de Balzac, Bel Ami de Maupassant, tous inspirés de personnages réels passés très vite de l’anonymat aux faits du pouvoir. [pullquote]Allez voir du côté des pessimistes et des optimistes, il y a des opportunistes là aussi. [/pullquote]Ils ont trompés, usurpés, profités de l’espace laissé par l’indécision des uns qui cherchent à donner un sens.

Alors, certes, il y a sur la planète des empressés, des gens pour qui une injustice vaut mieux qu’une « perte de temps ». Pour eux aussi, l’argent donne la valeur à l’existence. La conséquence est que le temps devient une valeur marchande, parce qu’il s’agit du temps de vie. Mais celle-ci passe. Et la vie passe vite, c’est vrai, elle passe encore plus vite pour ceux qui pressent, et sont pressés. Ils préconisent la productivité comme sens à la vie. Et la vie passe…

[pullquote]Le temps a-t-il une valeur réelle ?[/pullquote]Que la leçon du fabuliste ne vous emporte pas. On a critiqué la réunionite, fustigé le dialogue social, méprisé la concertation : prenez le temps de décider ensemble, du plaisir de l’échange, donnez un sens au fait d’être, et d’être ensemble, de faire société. De s’entendre…

Retenons le parasite et la dominante du dialogue. Des huîtres, nos compères en retrouveront…

Une réflexion sur le sens

Réfléchissons bien à l’idée que « le temps c’est de l’argent », parce qu’il y va du sens de la vie, et c’est donner une valeur financière à la vie ; c’est la rendre achetable et vendable. A se précipiter pour des raisons économiques de prendre des décisions qui peuvent être mieux concertées, c’est réduire la vie à un compte bancaire. Et la vie relève alors de la relation temps/argent. Et ce n’est pas nécessairement l’argent qui peut être volée, mais le temps de vie. Dès lors, le temps de vie est monnaitisé, avec un mot qui parait judicieux, celui de « valorisé »… et en réalité, c’est le contraire qui peut se produire. Ainsi, il peut bien y avoir ceux qui prolongent leur qualité de vie en parasitant celle des autres.

Un jour deux pèlerins sur le sable rencontrent
Une Huître, que le flot y venait d’apporter :
Ils l’avalent des yeux, du doigt ils se la montrent ;
À l’égard de la dent il fallut contester.
L’un se baissait déjà pour amasser la proie ;
L’autre le pousse, et dit : « Il est bon de savoir
Qui de nous en aura la joie.
Celui qui le premier a pu l’apercevoir
En sera le gobeur ; l’autre le verra faire.
– Si par là l’on juge l’affaire,
Reprit son compagnon, j’ai l’œil bon, Dieu merci.
– Je ne l’ai pas mauvais aussi,
Dit l’autre ; et je l’ai vue avant vous, sur ma vie.
– Hé bien ! vous l’avez vue ; et moi je l’ai sentie. »
Pendant tout ce bel incident,
Perrin Dandin arrive : ils le prennent pour juge.
Perrin, fort gravement, ouvre l’Huître, et la gruge,
Nos deux messieurs le regardant.
Ce repas fait, il dit d’un ton de président :
« Tenez, la cour vous donne à chacun une écaille
Sans dépens ; et qu’en paix chacun chez soi s’en aille. »
Mettez ce qu’il en coûte à plaider aujourd’hui ;
Comptez ce qu’il en reste à beaucoup de familles ;
Vous verrez que Perrin tire l’argent à lui,
Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles.