La liberté en passe de devenir une marque déposée ?                                                         

La liberté c’est quoi ? 

Vous connaissez le couplet VI de la Marseillaise “Liberté, Liberté chérie, combats avec tes défenseurs”… Serait-ce donc passé de mode ? 

Par exemple, pour Pythagore (VI° s. av.), Socrate et Platon, la liberté était plus une affaire relationnelle avec autrui, dans un rapport de maître esclave. Mais pas que, puisque dans la République, Socrate aborde la question de la relation maître esclave en soi. Pour Epicure (IIIème s. av.), la première chose, pour bien vivre, et il faut comprendre pour bien profiter de la vie, cela nécessitait de se libérer des craintes de mourir. Voilà, être libre, ce n’est pas une affaire seulement de mouvement, mais aussi d’état émotionnel. 

Par la suite, avec la chrétienté, la quête de liberté s’est estompée. Le modèle de la souveraineté universelle s’est imposé, avec une représentation très dépendante de l’exercice du libre arbitre. Dans ce contexte, Thomas d’Aquin affirme la liberté comme la conséquence de la volonté d’être ou de ne pas être libre. Dans cet univers chrétien, l’humain fait donc exprès d’être d’une certaine manière ou de ne pas être : c’est sa liberté. 

La réflexion a porté sur la soumission à la volonté divine, au tracé d’une destinée, ou d’un déterminisme – avec des arguments plus ou moins scientifiques liés à l’héritage génétique par exemple. 

On doit à René Descartes (1596-1650) d’avoir formulé de façon décisive l’hypothèse du libre arbitre, selon laquelle nous sommes réellement à l’origine de nos pensées et de nos actes, indépendamment de toutes les forces naturelles et sociales qui s’exercent sur nous. Dans la quatrième partie du Discours de la Méthode (1637), le philosophe nous compare à des voyageurs perdus dans la forêt, qui doivent décider de marcher dans une direction sans avoir la moindre certitude concernant leur point d’arrivée. 

Chez Nietzsche, elle n’est pas une riposte réactive contre un asservissement, mais une affirmation d’un privilège, celui de l’homme libre qui impose sa volonté et n’admet aucune entrave qui viendrait la restreindre

Tandis que pour Sartre : “ jamais nous n’avions été plus libres que sous l’occupation allemande”. Cependant, il ne s’agit pas de prendre cette citation au pied de la lettre. L’auteur de l’Etre et le néant, initiateur de l’existentialisme, ne fait pas ici l’éloge du nazisme, mais de l’esprit de liberté qu’il sublime dans un contexte contraignant.

A cette même question, chacun pourra bien avoir sa propre réponse. Non seulement tout le monde n’aspire pas nécessairement à la même liberté, mais certains peuvent se satisfaire plus ou moins durablement d’une condition de dépendance qui heurterait tout autre. 

Alors comment parler aujourd’hui de liberté, comment la définir ? Quelles sont nos libertés aujourd’hui, dans le contexte actuel ? La liberté a-t-elle un prix ? Le droit limite-t-il les libertés ? En est-il le garant ? 

Qu’en est-il de la manière de vivre ? Du sens même de l’existence ? Jean de la Fontaine nous a laissé une illustration de la liberté et de la servitude, sans doute involontaire, en tout cas illusoirement choisie, vécue néanmoins comme satisfaisante, confrontée à une préférence toute différente, entre le chien gras et marqué au cou et le loup famélique mais libre. Voyons déjà :

Un Loup n’avait que les os et la peau,

Tant les chiens faisaient bonne garde.

Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,

Gras, poli, qui s’était fourvoyé par mégarde.

L’attaquer, le mettre en quartiers,

Sire Loup l’eût fait volontiers ;

Mais il fallait livrer bataille,

Et le Mâtin était de taille

A se défendre hardiment.

Le Loup donc l’aborde humblement,

Entre en propos, et lui fait compliment

Sur son embonpoint, qu’il admire.

 » Il ne tiendra qu’à vous beau sire,

D’être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.

Quittez les bois, vous ferez bien :

Vos pareils y sont misérables,

Cancres, haires, et pauvres diables,

Dont la condition est de mourir de faim.

Car quoi ? rien d’assuré : point de franche lippée :

Tout à la pointe de l’épée.

Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin. « 

Le Loup reprit : « Que me faudra-t-il faire ?

– Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens

Portants bâtons, et mendiants ;

Flatter ceux du logis, à son Maître complaire :

Moyennant quoi votre salaire

Sera force reliefs de toutes les façons :

Os de poulets, os de pigeons,

Sans parler de maintes caresses. « 

Le Loup déjà se forge une félicité

Qui le fait pleurer de tendresse.

Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé.

 » Qu’est-ce là ? lui dit-il. – Rien. – Quoi ? rien ? – Peu de chose.

– Mais encor ? – Le collier dont je suis attaché

De ce que vous voyez est peut-être la cause.

– Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas

Où vous voulez ? – Pas toujours ; mais qu’importe ?

– Il importe si bien, que de tous vos repas

Je ne veux en aucune sorte,

Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. « 

Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encor.

Laissons là l’intention de l’auteur. 

Tu portes la trace du collier sur le cou, dis le loup, et tu vois, moi ma liberté c’est certainement pas d’aller lécher les bottes d’un maître qui me ferait porter un collier avec toutes ses conséquences”.

La fable ne serait-elle pas trompeuse, qui laisserait comprendre que la civilisation ne pourrait se voir qu’au travers de cette situation ? Voyez le monde binaire qui est suggéré par cette représentation :

  • un maître et des serviteurs, ils seraient la civilisation : voici le chien et sa blessure, le témoin de la servitude volontaire, esclave de ses chaînes auxquelles il retourne, valet tout au long de sa vie qui n’aura jamais connu que la longueur de sa laisse
  • Et voilà le loup, le nomade, l’insoumis. Il serait le représentant du désordre et de toutes les menaces. Il serait le danger de toutes les invasions, l’étranger aux airs d’agresseur.

Ce n’est qu’une représentation du monde. Très trompeuse, parce qu’elle fait de l’humain, chien ou loup, une menace ou une docilité, à choisir.

Depuis longtemps, les peuples portent des colliers avec des maîtres qui s’installent au pouvoir avec des coups de force, usurpations, trahisons, et autres manœuvres, parmi lesquelles des jeux électoraux où près de 70% de la population marque son désintérêt en n’y participant pas. 

C’est historique, de tout  temps on peut se souvenir que le peuple porte la trace du collier. Mais ce n’est pas parce qu’il porte la trace du collier que dorénavant, il n’est pas possible qu’il soit libre, et que ce soit fini de se laisser traiter comme un chien.

“Le seul moyen d’affronter un monde sans liberté est de devenir si absolument libre qu’on fasse de sa propre existence un acte de révolte” selon Albert Camus.

“La liberté commence où l’ignorance finit” selon Victor Hugo.

La liberté est indivisible. Elle s’étend des formes les plus banales aux formes les plus exceptionnelles. En atteindre une, c’est ruiner les autres. 

Ce genre de fables a marqué notre culture. Nous en tirons des conceptions binaires et le choix qui paraît être pertinent semble être celui d’un juste milieu.

Pourtant, il pourrait convenir de sortir de ce modèle, d’arrêter avec l’héritage culturel d’un souverainisme universelle et de repenser le paradigme et ses fondamentaux.

Alors, plus de chien, de maître et de loup, plus de collier et de situation où l’un est gras et l’autre famélique.

La créativité dont l’humanité a su faire preuve en matière technologique doit pouvoir s’étendre à la manière de vivre en société, d’exercer la décision politique avec des solutions fondées sur l’altérité, concrètes, efficaces et contributives au sens de la vie, en toute liberté. 

Alors, selon vous, la liberté vaut-elle d’être vécue ? Comment cela ?

Co-auteur : Jean-Bruno Chantraine et une discussion avec Jean-Louis Lascoux