Lettre ouverte concernant le projet de loi « Confiance dans l’institution judiciaire »

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Monsieur Éric DUPONT-MORETTI,

Monsieur le Ministre,

Dans le cadre du projet de loi « Confiance dans l’institution judiciaire » vous avez accepté d’inclure un amendement tendant à la mise en place d’un conseil national de la médiation sous l’égide de votre ministère.

Cette inclusion semble aller dans le sens du recours aux modes dits « alternatifs », dont la médiation tient une place cruciale, et nous pourrions vous en remercier.

Cependant, toute efficacité implique la connaissance du domaine dans lequel évoluer. S’agissant de la médiation, le mot est polysémique, si bien que co-existent aujourd’hui deux grandes conceptions à distinguer : une approche traditionnelle et une approche professionnelle.

  • La « médiation traditionnelle », d’apparence consensuelle, présente un référentiel moral, de type confessionnel, juridique et Son paradigme est celui du Contrat et du Contrat Social. De ce fait, elle ne se distingue pas de la conciliation, sans pouvoir non plus être indépendante des formes d’autorité ; elle est associée à la négociation « gagnant-gagnant » centrée sur les enjeux et les intérêts, usant d’une posture de bienveillance qui nuit à l’impartialité indispensable au rôle du médiateur. Elle est la plus connue. Cependant ses résultats ne parviennent pas à démontrer sa performance, créant de nombreuses réticences et contestations par le manque de neutralité relatif aux solutions et conceptions de ce qui “devrait faire accord” entre les parties.
  • La « Médiation Professionnelle » est une pratique nouvelle, amorcée en 1999-2000. Créée et développée en France, elle est associée à la proclamation de la profession de médiateur, avec le certificat d’aptitude à la profession de médiateur – CAP’M. Elle laisse aux juristes leur champ de compétences et les discussions juridiques. Elle est liée à un paradigme spécifique, nouvellement conceptualisé, celui de l’Entente Sociale. Elle permet d’accompagner la résolution de tout type de différend, dans tous les champs de l’activité Elle est indissociable de la démarche éthique dans la vie des organisations. Le Médiateur Professionnel intervient au moyen de l’ingénierie relationnelle pour aider les personnes à instaurer, entretenir ou restaurer les fondamentaux d’une Entente. Le référentiel est celui de la qualité relationnelle, de l’altérité et de la liberté de décision.

Comparativement, malgré un vocabulaire commun, ces deux types de médiation n’ont pas les mêmes influences et pratiques. La médiation professionnelle est exigeante relativement à la méthode, la rationalité, la discursivité et la transmission pédagogique et de résolution de problèmes.

La Médiation Professionnelle s’est structurée depuis 1999, notamment :

  • EPMN (Ecole Professionnelle de la Médiation et de la Négociation) epmn.fr
  • Centre de recherche, le CREISIR creisir.fr
  • Chambre Syndicale Internationale de la Profession de Médiateur, la CPMN (Chambre Professionnelle de la Médiation et de la Négociation) cpmn.info ,
  • ViaMédiation – réseau international de partenaires viamediation.fr
  • Symposium de la médiation : événement annuel de la Profession de Médiateur symposiumdelamediation.com
  • Journal en ligne : Officiel de la Médiation : officieldelamediation.fr

Vous pouvez constater qu’en 20 ans, une nouvelle profession à part et à part entière s’est développée : celle de Médiateur Professionnel.

La Profession de Médiateur que nous représentons, avec la CPMN, n’a pas été consultée à ce jour. Nous entendons attirer votre attention sur le fait qu’à l’heure actuelle, en abordant le domaine de la médiation, vous abordez une véritable profession indépendante, libérale qui s’est développée dans tous les domaines, au-delà du domaine judiciaire. Il est regrettable qu’un amateurisme à tendance associative, en quête de subventions, puisse une nouvelle fois, comme avec le Diplôme d’Etat de Médiation Familiale, nuire à la logique et la cohérence de cette profession. En effet, vous saurez constater qu’il existe aujourd’hui un véritable marché de la médiation en terme concurrentiel.

Nous ne sommes plus aux balbutiements d’une médiation que certains avaient imaginé demeurer dans l’ordre du bénévolat, de l’associatif, réservée aux retraités notamment. Plus de 20 ans se sont passés et la Médiation Professionnelle s’est largement déployée en France mais également dans la francophonie et plusieurs pays européens.

Les personnes à l’origine de l’amendement pour la mise en place d’un conseil national de la médiation semblent ignorer les différences cruciales existantes entre médiation traditionnelle et médiation professionnelle, ce qui n’est pas sans nous étonner.

La loi future ne saurait contribuer à ce que nous pourrions appeler être une usurpation de la profession de médiateur.

Il convient d’attirer votre attention sur le fait que la médiation judiciaire ne doit pas être aveuglée par une antériorité sans résultats performants. L’exigence de la reconnaissance du DEMF contenu dans le “livre blanc” en support de l’amendement n’est pas sans poser de graves questions.

Pour donner la parole au corps des médiateurs dans son ensemble, après avoir reçu les promoteurs de la médiation sous sa forme traditionnelle, vous pouvez sans doute recevoir les professionnels diplômés en exercice, notamment au sein du système judiciaire. Aussi, nous vous demandons de bien vouloir nous recevoir afin que nous puissions vous exposer de vive voix nos points de vue, observations sur les risques de confusion, le manque d’harmonisation actuel et propositions au regard de la Constitution.

Dans l’attente d’un rendez-vous que nous souhaitons dans les meilleurs délais, veuillez recevoir, Monsieur le Ministre, l’expression de nos sincères salutations.

Henri Sendros-Mila, président de la CPMN