Faut-il une médiation sous la tutelle du ministère de la justice ?

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Le monde judiciaire est dans un état de difficultés tel que ministre de la justice et parlementaires ont envisagé l’élaboration d’une loi intitulée « loi pour la confiance dans l’institution judiciaire ». Et, tandis que de nombreux citoyens manifestent leurs inquiétudes sur le grignotement de leurs droits, dans cette période pré-électorale pour les présidentielles 2022, le gouvernement met en place une consultation dite « Etats Généraux de la justice », avec un site dédié « Parlonsjustice.fr »

Restons sur le projet de loi. Était concerné principalement le champ pénal. Les motivations déclarées du garde des Sceaux, ministre de la Justice, relativement à ce projet de loi sont de vouloir « restaurer la confiance des français dans la justice » ; pour ce faire, il s’est agi de recourir à une technique hors cadre : la médiation ! Qu’en penser ? La solution peut bien paraître paradoxale, puisque la décision de médiation est confiée à ceux-là même en qui la confiance est à restaurer !

En première mouture, avec l’article 29 le greffe avait « pour apposer la formule exécutoire pour les transactions et accords issus de médiations de conciliation ou de procédure participative lorsqu’ils sont contresignés par les avocats de chacune des parties ».

Subrepticement, un amendement déposé le 4 mai 2021, a été accroché tendant à instituer un conseil national de la médiation sous la tutelle du ministère de la justice, avec pour mission de rendre des avis et proposer aux pouvoirs publics toutes mesures propres à améliorer la médiation, par le biais notamment d’un recueil déontologique proposé par les promoteurs de la médiation traditionnelle avec ses référentiels de formation.  Et la polémique s’est animée.

La médiation, un vieux fer de lance au service du système judiciaire ?

Ce conseil, insiste un magistrat dans un article publié récemment sur Dalloz, « pourrait ainsi devenir le fer de lance d’une politique nationale volontariste de développement de la médiation au sein de l’institution judiciaire. »  Le constat se fait aisément que le vocabulaire typique des rapports d’adversité est utilisé pour parler d’un mode voulu pacifique de règlement des conflits. Difficile de sortir de son cadre sémantique. Avec ce langage guerrier, toute proposition nouvelle subit les distorsions qui au final la font entrer dans le cadre des habitudes.

Par ailleurs, l’idée d’un conseil national n’est pas nouvelle. Nous en avons déjà fait la critique en 2014, lorsque le ministère de Christiane Toubira avait esquissé l’idée. « En plaçant la médiation sous la tutelle du ministère de la justice on pourrait croire que le droit ouvre la porte à la médiation mais en réalité, le droit à la médiation n’est pas respecté. »

Le débat juridique sur la médiation, un débat infondé ?

Dans l’environnement juridique, la discussion se disperse autour d’évidences qui ont des difficultés à pénétrer les esprits procéduraux : oui, la médiation peut intervenir à tout moment, avant, pendant ou après une décision judiciaire ; non, il n’y a pas besoin d’avocat, oui, dès lors que les parties trouvent une entente après une décision judiciaire, c’est leur accord qui prévaut. Le juriste tend à s’emparer de la thématique, parce qu’il n’y trouve pas plus sa place que son compte. Il joue des mots et nomme soudain la médiation « post-sentencielle » et en fait débat, alors même qu’en réalité elle n’apporte rien de nouveau. On a ainsi connu les discussions oiseuses sur la place du contradictoire en médiation ainsi que sur la spécificité juridique de l’accord de médiation. De fait, il va bien falloir y venir, la médiation ouvre un nouveau paradigme et ce nouveau droit ne s’enferme pas dans le débat juridique.

Avant toute chose, il serait opportun de s’interroger sur le fait de savoir ce qu’il est attendu de la médiation : un palliatif à une administration judiciaire en berne ou une réelle possibilité offerte à tous justiciables de trouver librement, hors de tout système d’autorité, une solution basée sur un tout autre paradigme ?

Deux conceptions concurrentes en médiation, inconciliables ?

La question est cruciale et la réponse dépendra aussi de la définition donnée, le mot « médiation » étant polysémique : il faut savoir en effet, que coexistent aujourd’hui deux grandes conceptions à distinguer : une approche traditionnelle et une approche professionnelle.

  • La « médiation traditionnelle », historique, elle est composite et d’apparence consensuelle, présente un référentiel moral, de type confessionnel, juridique et normalisateur. Son paradigme est celui du Contrat et du Contrat Social. De ce fait, elle ne se distingue pas de la conciliation, sans pouvoir être indépendante des formes d’autorité ; elle est associée à la négociation « gagnant-gagnant » centrée sur les enjeux et les intérêts, usant d’une posture de bienveillance qui impacte la posture de distanciation du médiateur, en termes d’impartialité. Ses résultats ne parviennent pas à démontrer sa performance, créant de nombreuses réticences et contestations par le manque de neutralité relatif aux solutions et conceptions de ce qui “devrait faire accord” entre les parties.
  • La « Médiation Professionnelle », contemporaine, elle est une pratique amorcée en 1999-2000. Créée et développée en France, elle est associée à la proclamation de la profession de médiateur, avec le certificat d’aptitude à la profession de médiateur – CAP’M. Elle laisse aux juristes leur champ de compétences et les discussions juridiques. Elle est liée à un paradigme spécifique, nouvellement conceptualisé, celui de l’Entente Sociale. Elle permet d’accompagner la résolution de tout type de différend, dans tous les champs de l’activité humaine. Elle est indissociable de la démarche éthique dans la vie des organisations. Le Médiateur Professionnel intervient au moyen de l’ingénierie relationnelle pour aider les personnes à instaurer, entretenir ou restaurer les fondamentaux d’une Entente. Le référentiel est celui de la qualité relationnelle, de l’altérité et de la liberté de décision.

S’il apparait des similitudes sémantiques, le sens n’est pas le même et les pratiques sont même très éloignées. La médiation professionnelle est exigeante relativement à la méthode, la rationalité, la discursivité, les processus structurés de résolution de problèmes et la transmission pédagogique. La différence se fait aussi sur le terrain, les résultats parlent d’eux-mêmes…

Il est donc compréhensible que les acteurs de la médiation traditionnelle, qui ont contesté la pertinence de la profession de médiateur autant que de la médiation professionnelle, agissent pour faire passer leur conception idéologique sans ouvertures aux initiateurs de la profession de médiateur.

Du modèle de médiation dépend la qualité du service que la société rend aux citoyens

Restaurer la confiance en la justice passe, par conséquent, et avant tout dans le dispositif de médiation autant que de ce qui inspire son dispositif.

Désire-t-on opter pour une médiation dite traditionnelle qui sera au service de la justice comme une forme alternative placée sous la tutelle juridico-judiciaire, dans la même logique du règlement des différends par la « gestion de l’adversité », ou envisage-t-on plutôt, dans l’intérêt exclusif du citoyen, une pratique en amont du système judiciaire, offrant l’extension de l’exercice de la liberté à tout moment de la « déconflictualisation », une proposition de « promotion de l’altérité », avec un changement de paradigme, celui non plus du contrat social infligé avec l’affirmation que « nul n’est censé ignorer la loi », mais de l’entente sociale, qui reconnaît à chacun le caractère d’humanité dans les difficultés à faire face aux phénomènes générateurs d’incompréhension et de conflictualité ?

Le marché caché de la dégradation relationnelle

La médiation professionnelle, une concurrence des idées et des pratiques. Le vrai débat se situe là : un rapport au sens de l’existence, de la vie en société, de l’accueil des différences, au cœur de l’altérité. D’un côté, la conception est de faire de la « gestion de conflit », de l’autre le service est d’apporter des connaissances et des compétences en « qualité relationnelle ». La médiation telle que médiation professionnelle, dite résolutoire et non gestionnaire, est en concurrence directe avec le système judiciaire. Les personnes peuvent aller :

  • en justice et de ce fait, se soumettre à la décision d’un tiers, le juge, qui pourra éventuellement charger un médiateur traditionnel qui ajoutera ou non un temps à la procédure gestionnaire ;
  • en médiation professionnelle et, accompagné par un médiateur professionnel usant de techniques issues de l’ingénierie relationnelle, de processus structurés, élaborer librement avec l’autre partie, un projet de résolution de conflit, soit en réalité un projet relationnel.

La reconnaissance du droit à la médiation

La suggestion que nous faisons en conclusion, avec le « Manifeste pour le droit à la médiation » que nous vous invitons à découvrir, est d’inverser le modèle de pensée. Dans la Constitution même, il s’agit de prioriser la médiation au sens professionnel, comme l’un des droits fondamentaux promoteurs de liberté, puis de placer la judiciarisation comme une alternative, sachant qu’elle consiste en une mise sous tutelle. Ce droit à la médiation est bien une opportunité d’exercer la liberté de décision.

Au regard de ces explications, une réforme tendant à aborder la médiation, au travers d’un article 29 et Bis, bien loin d’envisager l’institution d’un véritable « Droit à la médiation », ne peut que donner un bien piètre résultat en jouant de polémique sur le terrain du « droit de la médiation ».

Le Conseil national de la médiation et la concurrence

D’ores et déjà, par la création d’un conseil national de la médiation, sur impulsion d’une concurrence déloyale, souffrant d’amateurisme à tendance associative, en quête de subventions, se trouve directement concernée une véritable profession, indépendante, libérale qui s’est développée depuis une vingtaine d’années dans tous les domaines, au-delà du domaine judiciaire.

Envisager dans un empressement injustifié, un organe tutélaire quelconque reviendrait à s’immiscer dans un véritable marché concurrentiel, celui de la médiation, et contribuer ainsi à une usurpation organisée, orchestrée de la profession de médiateur.

« L’ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit » ; conviendra-t-il sans doute d’être au mieux un sage et à minima un savant ?