Fable : l’âne, le chien et le loup

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Il y a toujours des images très frappantes qui semblent donner des leçons d’évidence. Les fables sont ainsi faites de ce genre de leçons. Elles sont généreuses en petites évidences qui frappent les imaginations en panne d’élargissement sur les possibles.

De génération en génération, les éducateurs se font un plaisir à faire réciter ces contes poétiques qui n’ont de raison que les émotions qu’ils drainent. Point de rationalité, juste une charge affective, un déclenchement d’identification, un mélange sympathique, une bouffée affective et émotionnelle. Tout cela ne fait rien en réflexion, mais tout en pensée de pierre à briquet, sans que la flamme n’en jaillisse. Parfois, une lumière se répand, mais elle ne fait qu’éclairer une autre facette du trompe l’œil intellectuel.

Les fables d’Esope dont Jean La fontaine a fait la bible et quelques autres des évangiles, ne valent pas mieux qu’un grand nombre de métaphores modernes avec leur mise en scène du monde animal pour interpeller notre humanité. Ici, on compare la civilisation humaine aux ruches d’abeilles, ce qui pourraient bien prouver, au passage, la pertinence d’une organisation avec un ou une souveraine. Là, on invente des métaphores avec des grenouilles, des scorpions, des loups… les uns meurent, les autres piquent. Dans notre actualité, certaines peuvent inquiéter et faire rire.

Mais en fait, ces contes plus ou moins gentillets font négliger le fait même que nous faisons partie du monde animal, mais avec cette différence, c’est que nous avons une instrumentation mentale développée sur plusieurs aspects que n’ont pas les autres espèces : nous avons le potentiel de la conscience de notre conscience, nous pouvons l’exprimer, et en retirer la possibilité de réfléchir à nos actions plus que toute autre espèce, de les imaginer comme si nous les réalisions, de les tester, de les confronter à différents types de doutes qui nous permet de développer l’usage de la rationalité. Nous disposons ainsi d’un moyen extraordinaire qui fait de notre potentiel d’intelligence une ressource originale et distinctive de toute autre espèce.

Alors, les fables ne font qu’effleurer notre nature. Elles ne sont qu’une distraction qui ne nous apprend rien de nous-même. Nous ne sommes ni loup ni ours, nous ne sommes ni moutons ni renard. Nous sommes humains, avec cette capacité d’apprendre qui ne parvient pas à combler les précipices d’ignorance dans lesquels notre nature est plongée.

Pour le chien et l’âne, il est bien évident que la famine du loup, et son légitime besoin de faire banquet, n’épargne pas plus l’âne que nous le faisons quant au mouton. Cependant, il nous revient à nous désormais, à nous, cette espèce prédatrice par excellence, de permettre le développement des originalités de l’existence, si fugitive. Il nous appartient d’œuvrer sur le sens de l’existence, tant à titre personnel que dans la vie en société.

Arrêtez donc de vous plier aux identifications suggérées par ces métaphores. Mais rien n’empêche à ce que vous en tiriez quelques vigilances…

Il se faut entraider, c’est la loi de nature :

L’Âne un jour pourtant s’en moqua :

Et ne sais comme il y manqua,

Car il est bonne créature.

Il allait par pays, accompagné du Chien,

Gravement, sans songer à rien,

Tous deux suivis d’un commun maître.

Ce maître s’endormit. L’Âne se mit à paître :

Il était alors dans un pré

Dont l’herbe était fort à son gré.

Point de chardons pourtant ; il s’en passa pour l’heure :

Il ne faut pas toujours être si délicat ;

Et faute de servir ce plat

Rarement un festin demeure.

Notre Baudet s’en sut enfin

Passer pour cette fois. Le Chien, mourant de faim,

Lui dit :  » Cher compagnon, baisse-toi, je te prie ;

Je prendrai mon dîné dans le panier au pain.  »

Point de réponse, mot ; le Roussin d’Arcadie

Craignit qu’en perdant un moment,

Il ne perdît un coup de dent.

Il fit longtemps la sourde oreille :

Enfin il répondit :  » Ami, je te conseille

D’attendre que ton maître ait fini son sommeil ;

Car il te donnera sans faute à son réveil,

Ta portion accoutumée :

Il ne saurait tarder beaucoup.  »

Sur ces entrefaites un Loup

Sort du bois, et s’en vient ; autre bête affamée.

L’Âne appelle aussitôt le Chien à son secours.

Le Chien ne bouge, et dit :  » Ami, je te conseille

De fuir, en attendant que ton maître s’éveille ;

Il ne saurait tarder ; détale vite, et cours.

Que si ce Loup t’atteint, casse-lui la mâchoire:

On t’a ferré de neuf ; et si tu me veux croire,

Tu l’étendras tout plat.  » Pendant ce beau discours

Seigneur Loup étrangla le Baudet sans remède.

Je conclus qu’il faut qu’on s’entraide.