Harcèlement au travail : justice ou médiation ? Le fléau des émotions

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Si comme Éléonore vous subissez un harcèlement moral, comment en sortirez-vous ? Par-delà subir, il faut déjà en prendre conscience et c’est après qu’il est possible d’agir.

Éléonore a 54 ans et travaille au rayon « surgelés» d’une grande surface depuis une quinzaine d’années. Après s’être confiée à son entourage proche, elle est sous le choc en réalisant, qu’en définitive, depuis 4 mois, son chef de service la harcèle bel et bien [1].

Elle ne supporte plus ses comportements agressifs à son égard, qu’elle juge trop autoritaires et dépassant les limites de tout pouvoir hiérarchique. Les tensions, son mal-être sont tels qu’elle a pris la décision d’en parler à la direction.

Une enquête interne est immédiatement ordonnée, le boss ayant considéré ne pas avoir d’autre choix, au regard de son obligation de prévention des risques professionnels et plus encore, de son obligation de sécurité au titre de l’article L4121-1 du Code du travail.

C’est ainsi que l’ensemble des salariés est audiencé et les témoignages consignés dans un rapport. Aucun élément factuel ne ressort, en revanche, certains salariés ont trouvé occasion à évoquer leurs ressentis, apporter leurs points de vue et jugements, ce qui n’est pas pour apaiser l’ambiance générale. L’employeur ne sait quelle décision prendre, laissant Éléonore dans le plus total désarroi.

Au final, c’est l’oublié dans cette histoire, le chef de service particulièrement choqué par tant d’accusations, qui permit à la direction de trouver une issue à ce conflit, en préférant démissionner.

De son côté, Éléonore a manifesté sa volonté de quitter l’entreprise ; une rupture conventionnelle s’en est suivie.

Que penser de tout cela ?

Vous pourrez me répondre que la loi c’est la loi, on doit l’appliquer, c’est comme çà.

Le monde du contrat social a en effet une place dominante dans le quotidien de l’entreprise, et plus généralement de la société. Mais, je vais vous poser une question : cette même loi permet-elle de réguler les relations, au plus près de l’humain ? Ne répondez pas de suite et prenez le temps de la réflexion…

Dans le cas présent, nous pouvons au moins affirmer que l’enquête initiée conformément à la loi, a permis de mettre en évidence un climat général particulièrement délétère. La relation dégradée, sur laquelle un qualificatif a été posé, celui de harcèlement, est-elle en définitive la seule à traiter ou faut-il voir plus large ? Qualifier juridiquement permet-il de solutionner ? Et si les personnes étaient toutes ignorantes en matière de communication et de qualité relationnelle ?

Qualifier c’est ne donner qu’un sens, s’enfermer, enfermer les autres et, s’embourber dans une histoire qui peut devenir sans fin, faute de savoir-faire et de savoir-être.

C’est ne pas se donner la possibilité d’ouvrir le champ de l’analyse, de la réflexion et de fait, la solution. La qualité relationnelle fait partie de cette ouverture d’esprit dont tout un chacun devrait se doter pour acquérir plus d’aisance et de légèreté dans le domaine de la relation.

Il est parfois une attitude, un regard, une parole sans trop y prêter attention, mais c’est peut-être là que tout commence et fait qu’un sentiment de domination ou de soumission, parfois même de résignation s’installe peu à peu.

Chacun peut se sentir jugé, méprisé, déconsidéré, dévalorisé au point de ressentir un sentiment d’étouffement comme pris dans un étau ou une toile d’araignée et ne plus savoir que faire. Souvent, il ne dit rien, ne fait rien, et s’enferme dans ce qu’il qualifie lui-même de solitude, d’isolement, qu’il reproche aux autres. Chacun se forge une conviction avec des blocages émotionnels et des entêtements dont il ne se rend pas compte.

C’est de toute cette incompréhension, de cette maladresse, de cette ignorance et des émotions subséquentes dont il s’agit et qui font que la relation s’est dégradée, rien d’autre.

Alors, comment réguler de telles relations dégradées ?

L’approche juridico-judiciaire apparaît comme un réflexe pavlovien. On subit une injustice, on pense recours judiciaire et nous voilà sur les chemins tortueux du droit.

C’est une combinaison de manque de choix et d’habitude. Le droit résonne de ses interprétations multiples, de ses polémiques et déformations de la réalité pour faire entrer des faits dans des représentations de la pensée arbitrale. De fait, le droit tient peu cas de tout cet émotionnel qui pourtant est au cœur de la dynamique résolutoire.

C’est cette émotion dominante qui fait les positions figées et que certains professionnels, y compris des avocats-médiateurs traditionnels, considèrent, faute d’expertise suffisante et de savoir-faire, qu’aucune autre issue que le judiciaire n’est possible en l’absence de volonté de négocier des parties. Mais doit-on faute de compétences en matière relationnelle, persister dans une voie qui, nous le voyons bien, n’est pas satisfactoire ?

Plus encore, les parties dominées par leurs émotions sont-elles à même sans l’intervention d’un expert de la relation, de raisonner rationnellement et être aptes de suite à négocier sans qu’un travail méthodique soit réalisé avec elles ? Le droit à la médiation ou médiation obligatoire fait partie des propositions à envisager car peu importe comment les parties entrent en médiation, l’essentiel est de savoir comment elles en sortent.

La Médiation Professionnelle est donc une nouvelle réponse. Pratiquée exclusivement par des professionnels formés rigoureusement, et membres de la CPMN, elle est fondée sur une approche scientifique des différends. Elle permet de développer les processus rationnels de la réflexion en altérité.

Comment ça peut se passer ?

Entendre au plus tôt, les parties en présence est un préalable indispensable, afin que chacune se sente reconnue dans sa légitimité. Un accompagnement se met en place leur permettant de dépassionner, dédramatiser, clarifier, mieux comprendre, avoir-prise et prendre conscience.

Le postulat prend à contrepied les logiques accusatrices. Le médiateur professionnel a des objectifs pédagogiques qui font sortir des modes de « gestion des conflits ».

Le référentiel recherché n’est pas celui de la lutte contre l’adversité, mais de la promotion de l’altérité. L’idée est de comprendre ce qui a pu motiver l’autre, dans ses paroles, agissements, inactions même, l’approche consistant à réfléchir l’autre en tant qu’il est autre, avec toutes ses différences.

Consécutivement à cette prise de conscience, il sera fondamental d’outiller les parties, pour agir, interagir, différemment :

-Pour la partie identifiée comme étant «la victime », il conviendra de lui apprendre à s’affirmer, à dire les choses et les dire efficacement, c’est-à-dire d’une façon qui puisse être entendue et reçue par l’autre, susciter la prise de conscience chez celui-ci, afin qu’il change de comportement.

Il s’agira d’un accompagnement à la prise de décision en ouvrant le champ des possibilités et envisager non pas une mais de multiples options de résolution du conflit. La vocation du médiateur professionnel est d’outiller les gens pour mieux agir, interagir différemment, à l’issue d’une réflexion rationnelle et en ayant prise sur toutes émotions qui pouvaient la submerger.

- L’approche est la même s’agissant de la personne identifiée comme étant «le harceleur » : si elle a agi comme cela, c’est sans doute pour obtenir du résultat, par rapport à des objectifs qui lui sont propres. L’accompagnement du médiateur consiste à susciter également une prise de conscience sur les conséquences de ses actes ou paroles sur l’autre, afin de pouvoir les assumer pleinement. En prenant conscience des conséquences de ses paroles, comportements ou actes, cette personne agira peut-être différemment, d’une façon qu’elle n’avait même pas imaginé à l’origine.

Pour conclure.

« La médiation professionnelle offre un espace pour permettre à chacun de remodeler son mode relationnel à lui-même et à l’autre. C’est l’espace de la conception des positionnements, de l’élaboration des décisions, du façonnage des projets. Chacun peut concevoir d’agir différemment, de poser des actes différents de ses habitudes, pour obtenir un résultat différent, utile et agréable pour lui mais sans impact négatif sur l’autre » a expliqué Me Agnès Tavel, Avocate au Barreau de Thonon-les-Bains et médiateure professionnelle à l’occasion de la table-ronde de la Journée Internationale de la Médiation professionnelle le 20 janvier 2023 [2]

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[1] Article également publié sur le Village de la Justice le 9 février 2023

[2] JIMP 2023 « le harcèlement sous toutes ses formes » – la table-ronde – en replay sur mediateur.tv