Médiation et droit en entreprise

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Les textes de loi sur la médiation adoptés au cours de l’année 2011 ne facilitent pas la mise en place des dispositifs de médiation en entreprise, pas plus qu’ils ne sont lisibles pour les conseillers prud’homaux. Des questions restent entières pour certains acteurs. Des représentants syndicaux n’ont pas manqués de se saisir de ces textes pour interpeller la direction de leur entreprise. Mais qu’en est-il au juste de la médiation en entreprise et pour les différends survenant au cours de l’exécution d’un contrat de travail ?

Une organisation syndicale peut-elle s’opposer à une médiation interne ?

L’ordonnance n°2011-1540 du 16 novembre 2011 prévoit que les dispositions de recours à la médiation « ne s’appliquent à la médiation conventionnelle intervenant dans les différends qui s’élèvent à l’occasion d’un contrat que lorsque ces différends sont transfrontaliers ». Ces dispositions constituent le nouvel article 24 de la loi du 8 février 1995 modifiée relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative.

Pour autant et dans le domaine des relations individuelles du travail, la médiation conventionnelle n’est pas formellement interdite. Elle trouve cependant ses limites dans le respect des dispositions d’ordre public social, mais également dans l’impossibilité de faire homologuer l’accord issu de la médiation conformément aux nouvelles dispositions introduites par le décret n° 2012-66 du 20 janvier 2012.

Ce nouveau dispositif ne saurait remettre en cause la possibilité pour des parties faisant le choix d’un règlement alternatif d’un différend, d’avoir recours à la médiation conventionnelle. Deux hypothèses doivent cependant être examinées. Dans le cas où un accord est issu de la médiation, il n’existe pas d’intérêt particulier à saisir le juge pour l’homologuer, l’accord se suffisant à lui même, du simple fait qu’il revêt la forme d’une transaction. Si la médiation n’aboutit pas, ou aboutie partiellement, la voie du contentieux juridictionnel demeure ouverte. Dans les deux cas, les droits du justiciable sont scrupuleusement respectés et ne justifie pas une intervention syndicale.

La médiation et les partenaires sociaux

Depuis la directive européenne de 2008, les entreprises ont plus fréquemment recours à ce mode alternatif de résolution des conflits, reconnaissant son intérêt et son efficacité. Des dispositions françaises tel que l’ANI du 26 mars 2010 étendu par arrêté du 23 juillet 2010 y contribuent également.

Toutefois depuis la parution du décret du 20 janvier 2012, certaines organisations syndicales s’opposent à ce que des entreprises recourent à la médiation conventionnelle pour des contrats de travail ne constituant pas des différends frontaliers (art. 21 à 21-5 de l’ordonnance  du 16 novembre 2011). Pour autant, les parties demeurent libres d’y recourir, n’étant pas assujetties aux dispositions particulières relatives à la médiation dans le cadre de l’organisation des juridictions.

Cet argumentaire ne permet pas aux organisations syndicales de légitimement s’opposer aux entreprises souhaitant recourir à la médiation. Un refus systématique de leur part serait en outre de nature  à porter atteintes aux libertés fondamentales des citoyens.

Par contre, les organisations syndicales sont tout à fait légitimes lorsqu’elles s’opposent au recours d’une « convention de procédure participative » lequel est expressément interdit par l’article 2064 du Code civil pour résoudre les différends qui s’élèvent à l’occasion de tout contrat de travail.

Cette légitimité devrait permettre de marquer une différenciation entre ces deux modes de résolution de conflit, la médiation étant issue de la convention des parties et du droit communautaire et la convention de procédure participative résultant de la loi du 22 décembre 2010 complétant l’article 4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

Cette différenciation est déterminante. Elle légitime l’éventuelle action d’une organisation syndicale qui s’opposerait à une convention de procédure participative mise en œuvre en toute illégalité à l’occasion d’un contrat de travail. En revanche, elle ne saurait être illégitime, lorsqu’elle concerne une médiation portant sur des relations individuelles du travail.

La légitimité de la médiation conventionnelle d’entreprise

Dans son rapport du 29 juillet 2010 « développer la médiation dans le cadre de l’Union européenne », le Conseil d’État a proposé de retenir la rédaction suivante dans le cadre de la transposition de la directive du 23 mai 2008 : « Le médiateur est un tiers, impartial, indépendant, compétent, probe qui est sollicité par les parties d’un commun accord, en vue de mener avec toute la diligence requise le processus de médiation dont il est chargé par les parties à un différend. Le recours à une médiation peut également être ordonné par le juge avec l’accord des parties, dans le cadre du règlement qui lui est soumis ».

Sans entrer dans un débat académique que l’ordonnance du 16 novembre 2011 n’a pas éclairé, il est souhaitable et conforme de donner une définition commune et partagée du médiateur, que sa prestation porte sur un litige judiciarisé ou sur un litige non judiciarisé. Dans les deux cas, la médiation repose sur la « convention » des parties d’y recourir. Cette clarification est essentielle et respectueuse du droit européen. En effet, qu’elle soit volontaire, suggérée, proposée ou ordonnée, la médiation ne peut être mise en œuvre qu’avec « l’accord » des parties de trouver elles-mêmes avec l’aide d’un tiers dénommé médiateur un règlement au litige les opposant. Ceci vaut en matière civile et commerciale pour les médiations judiciaires comme pour les médiations dites conventionnelles que la directive qualifie d’extrajudiciaires et que le législateur français a choisi de qualifier de « conventionnelles ».

Être vigilant sur la qualité du médiateur

C’est une nécessité fondamentale et suppose une attention toute particulière des parties elles-mêmes mais également des organisations syndicales.

La directive européenne définit le médiateur comme étant un tiers menant une médiation avec efficacité, impartialité et compétence respectueux de la qualité de la fourniture de sa prestation bénéficiant d’une formation initiale et continue, garant de son efficacité, sa compétence et de son impartialité à l’égard des parties, adhérant à un code volontaire de bonne conduite d’éthique et de déontologie.

La transposition faite par l’ordonnance ne porte que sur la « compétence du médiateur judiciaire » qui doit « posséder, par l’exercice présent ou passé d’une activité, la qualification requise an regard à la nature du litige et justifier, selon les cas, d’une formation ou d’une expérience adaptée à la pratique de la médiation ». En outre, le décret du 20 janvier 2012 n’impose pour le médiateur conventionnel qu’une exigence alternative : la qualification ou la formation !

Cet aspect de la compétence du médiateur est déterminante pour la qualité de sa prestation. Il est regrettable, voir dommageable pour les parties, comme pour les médiateurs que la France n’ait procédé selon les experts qu’à une transposition « à minima ».

Le droit européen existe et constitue un cadre de référence applicable à toute médiation quelle que soit sa nature , transactionnelle ou non.

Nul doute que les relations sociales et en particulier les relations individuelles du travail justifieront à l’avenir d’avoir recours usuellement et communément  à la médiation à l’instar des pratiques observées dans les pays Anglos Saxons et nordiques.

L’action des organisations syndicales n’est certes pas de s’opposer au développement de la médiation conventionnelle dans le domaine des relations individuelles du travail, mais d’assurer à leurs mandants la qualité des prestations dont ils doivent pouvoir bénéficier dans le stricte respect du droit communautaire.

2 Commentaires
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Michel Augras
11 années plus tôt

            Une organisation syndicale peut-elle s’opposer à une médiation interne ?   La question de l’opposition syndicale à la mise en place d’un processus de médiation interne aux entreprises, aurait à l’évidence mérité plus que les critiques  sur la transposition de la directive européenne. Il s’agit dans l’instant d’ouvrir un large débat sur la légitimité de cette ordonnance pour la confronter aux opposants au développement de la médiation dans notre pays. Certes, l’analyse juridique est nécessaire, et cet article en est le témoignage, mais nous aurions pu espérer une campagne médiatique active pour témoigner auprès de la société française, que contrairement… Read more »

Jean-Louis Lascoux
11 années plus tôt

Un article critique sur l’ensemble des dispositions relatives à la transposition de la directive européenne a été publié par M° Agnès Tavel, en février 2012. Le texte de projet de ratification est accessible ici. Plusieurs députés ont été directement sollicités pour communiquer nos observations auprès de l’Assemblée Nationale.