[pullquote]L’OHADA est l’Organisation d’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires.[/pullquote]La médiation est entrée dans les textes du droit OHADA. Après l’arbitrage, c’est le deuxième « mode alternatif de règlement des différends » à être préconisé. L’objectif affirmé est d’offrir des voies plus rapides, plus économiques et moins sujettes à des aléas de manœuvres ou de procédures, que les systèmes judiciaires des 17 pays membres de cette communauté juridique et économique.
Toutefois, plusieurs conceptions de la médiation sont proposées par des organisations présentes sur le continent africain. Et en réalité, rien ne les empêche de continuer à co-exister :
- conceptions liées à la morale et au droit, ce sont des « médiations d’autorité », dont l’objectif est de rester dans les principes de la tutelle juridique, telle que celle retenue pour le moment par l’OHADA. Elles s’appuient sur des modes traditionnels et des fictions intellectuelles « Tout le monde connait la différence entre le bien et le mal. » (pour la morale) et « Nul n’est censé ignorer la loi.» (pour le juridico-judiciaire) ;
- conception développée autour de la conduite de projet (la sortie d’un conflit est un projet), de la liberté de décision, avec des savoir-faire d’ingénierie relationnelle, c’est la « médiation professionnelle », exclusivement dispensée par l’Ecole Professionnelle de la Médiation et de la Négociation (EPMN) et pratiquée, en tant que profession, par les membres de la Chambre Professionnelle de la Médiation et de la Négociation (CPMN).
Le temps des débats pourrait sembler clos et désormais, il pourrait s’agir de promouvoir ce nouveau dispositif dont le principe est de déjudiciariser les litiges. Mais il est clair qu’il s’agit de deux approches différentes, l’une qui vient enfermer une pratique de la société civile dans l’environnement « gestionnaire des conflits », l’autre qui renforce les compétences de cette pratique pour élargir l’exercice de la liberté relationnelle et contractuelle.
Les balbutiements d’une médiation indépendante
L’« Acte-Uniforme-sur-la-Mediation » signé le 23 novembre 2017 est en réalité une copie des textes adoptés en France, en suivant le principe d’une médiation d’autorité, c’est-à-dire encadrée par la loi, de la même manière qu’au Canada et au Québec, comme un « mi-chemin entre la morale et le droit ». En réalité, aucune avancée par rapport à la conciliation, si ce n’est qu’elle échappe au juge en tant que procédure, mais elle reste sous le contrôle du monde juridique, avec la participation éventuelle du notariat (pour mettre les professions ordinales dans la boucle) et elle est mise sous tutelle du judiciaire.
[pullquote]Deux types de médiation : la médiation d’autorité, associée à la morale, au droit et à la psycho-sociologie pour la « gestion des conflits » et la médiation professionnelle, associée à l’altérité, la promotion de la liberté de décision, pour la conduite de projet relationnelle[/pullquote]L’opportunité d’intégrer la médiation, non pas comme une alternative au système judiciaire, c’est-à-dire un mode de « gestion de l’adversité », mais comme un moyen de « promotion de l’altérité », n’a pas été saisie. Il faut sans doute encore du temps pour que la médiation soit reconnue comme un moyen d’étendre l’exercice de la Liberté, par la reconnaissance de la liberté de décision ; le temps sans doute qu’elle soit associée à l’exercice d’une profession à part entière, indépendante de toute autorité, et notamment du système juridico-judiciaire. C’est toute la différence entre la « médiation » qui, enferrée dans des textes confus, ânonne en Occident, et la « médiation professionnelle ». Pour le moment, au lieu d’apporter un outil au service du dialogue, le droit OHADA fait aussi balbutier la médiation en Afrique.
Le contexte historique OHADA
En 1993, l’idée d’un droit commun à un regroupement d’Etats a émergé. L’idée était de rassurer les investisseurs face à l’instabilité politique. Peu de temps après, les modes privés de régulation des relations adoptés par les pays occidentaux, spécifiquement dans le monde des affaires, ont été intégrés dans le nouvel espace juridique.
En mars 1999, l’arbitrage est devenu le premier « mode alternatif de règlement des litiges » à être inscrit dans le droit OHADA.
En 2017, un travail a été réalisé pour intégrer la médiation. Pendant les travaux préparatoires, des interventions de « médiateurs professionnels » ont proposé de réfléchir à faire évoluer les choses non pas en suivant la feuille de route dictée par les circonstances économiques, mais en conduisant une réflexion plus large et répondant aux besoins des citoyens.
Une définition équivoque de la médiation
Malgré cette opportunité d’innovation en Afrique, la définition de la médiation retenue par les rédacteurs actuels de l’OHADA s’est réduite à l’esprit dans lequel la médiation se trouve aussi enfermée dans les textes occidentaux.
A différent niveau du texte, la définition se retrouve confuse, voire incohérente dans la démarche.
D’un chapitre à l’autre, la médiation passe de la notion de processus (article 1er.a) à celle de procédure (Titre 2, article 4), terme qui avait été pourtant rejeté par les rédacteurs européens suite à l’intervention des médiateurs professionnels qui ont obtenu que la médiation soit définie comme un « processus structuré ».
Distinguer la notion de « procédure » de celle de « processus »
En effet, la notion de procédure renvoie à une rigueur dans l’enchaînement d’étapes, et si ce n’est pas respecté, l’ensemble peut être invalidé par un recours sur la forme, tandis que le processus n’est pas dans cette logique, puisque, maîtrisé par le professionnel, il est adaptable au cas par cas.
La confusion dans la définition OHADA
L’aspiration des rédacteurs à vouloir placer la médiation au côté de l’arbitrage, afin de faire reconnaître les cours d’arbitrage déjà en place comme compétentes a priori dans ce domaine, les a conduit à mélanger les genres. Si bien que certaines parties du texte sont abstruses.
Art. 1era. Le terme « médiation» désigne tout processus, quelle que soit son appellation, dans lequel les parties demandent à un tiers de les aider à parvenir à un règlement amiable d’un litige, d’un rapport conflictuel ou d’un désaccord (ci-après le « différend ») découlant d’un rapport juridique, contractuel ou autre ou lié à un tel rapport, impliquant des personnes physiques ou morales, y compris des entités publiques ou des Etats.
Dans la suite du texte, la médiation devient une procédure, puis redevient un processus dans l’article 8 et dans l’article 11, les deux à la fois. S’agissant ici et là d’intercaler la médiation dans des procédures judiciaires ou d’arbitrage, la même notion n’étant pas retenue, c’est à croire qu’il existerait plusieurs dispositifs qui ne seraient pas clairement définis.
Le rôle improbable du médiateur dans l’acte uniforme OHADA
Comme pour la médiation, les rédacteurs de l’acte uniforme ont voulu faire large. La détermination à ne pas vouloir marquer le pas de la « profession de médiateur » conduit à considérer que le terme de « médiateur » :
… désigne tout tiers sollicité pour mener une médiation quelle que soit l’appellation ou la profession de ce tiers dans l’État Partie concerné. (Art. 1erb)
Des restrictions apparaissent cependant, de manière surprenante, quand il s’agit d’évoquer des savoir-faire au demeurant non définis :
… une partie peut demander à l’autorité de désignation de recommander des personnes ayant les qualités et compétences requises pour servir de médiateur. (Art.5)
Ces compétences restent donc encore énigmatiques, sauf à considérer la posture qui est partiellement évoquée dans l’art.5 :
le médiateur révèle aux parties, sans tarder, toutes circonstances nouvelles susceptibles de soulever des doutes légitimes sur son impartialité ou son indépendance.
Ces notions ont fortement interrogé les rédacteurs. Le sujet revient cinq fois, sans pour autant préciser en quoi consiste ou sur quoi portent ces compétences.
Pourtant, en matière de compétence, à la lecture de l’Acte, le médiateur doit présenter des ressources juridiques qui vont bien au-delà de celles d’un simple juriste, en terme d’analyse sur le fond, puisqu’il doit s’assurer du :
…respect des règles d’ordre public. (Art.8)
Mais cette compétence est elle-même considérée sans effet, puisqu’au final, aucune responsabilité n’engage le médiateur OHADA. In fine, dans le cas d’une homologation par le juge, c’est à celui-ci de se prononcer sur la conformité juridique en tout point de l’accord (art.16).
Les compétences précises du médiateur professionnel
Concernant les compétences en médiation professionnelle, elles sont identifiées relativement au sens de l’intervention du médiateur. Elles sont précises et elles permettent de cibler des objectifs adaptés aux situations. Les principales portent sur la conduite d’entretien, l’animation de réunion, l’aide à la prise de décision, la conduite de projet relationnel, l’accompagnement au changement et le transfert de compétence en qualité relationnelle.
Face aux limites que l’environnement juridique a fixées aux différends soumis à l’intervention de tiers, le médiateur professionnel intervient dans la perspective d’étendre la liberté contractuelle.
Le référentiel juridique peut faire partie de la culture générale du professionnel, mais n’est pas nécessaire, puisque l’éventuelle rédaction d’un accord relève des connaissances en droit. Les compétences nécessaires en médiation professionnelle permettent de redéfinir une relation qui a été transformée en « heurts permanents », c’est-à-dire en « conflit ».
La médiation OHADA est édictée sous la forme d’une pensée selon le « droit de la loi », tandis que la médiation professionnelle est développée selon le « droit à la liberté ».
La médiation professionnelle est outillée de savoir-faire en « ingénierie relationnelle », c’est-à-dire de techniques, de processus et de dispositifs de conduite de projets relationnels. Le référentiel éthique et déontologique de cette profession a la qualité relationnelle et l’entente sociale comme toile de fond.
Le cadre de l’intervention du médiateur professionnel est celui de la liberté de décision. Il permet aux protagonistes de réfléchir à leur posture et leur positionnement. De là, elles peuvent avoir une approche des enjeux et des intérêts qui peuvent faire l’objet de négociation. Le médiateur professionnel accompagne la création du contexte et aide les parties à progresser vers un accord le moins insatisfaisant possible, à défaut d’être pleinement satisfaisant lorsqu’il s’agit de la sortie d’un différend où l’émotion laisse souvent quelques amertumes. L’objectif est d’en lever les obstacles.
La confidentialité compromise du médiateur OHADA
Dans le texte OHADA, la confidentialité est toute aussi malmenée. Le médiateur OHADA est tenu de se soumettre aux exigences de la loi. Pourtant, ce qui pourrait le contraindre à lever la confidentialité reste obscur. La notion revient trois fois : articles 8, 10 et 11.
Quoi que les termes de « procédure » et « processus » ne sont pas élucidés, il est évident que la confidentialité ne concerne pas les aspects organisationnels de la médiation, lesquels sont transparents. En réalité, le rédacteur pensait au « contenu des échanges » qui ont lieu au cours de la médiation. Mais le manque de clarté peut bien offrir une marge d’interprétation et, dans tous les cas, c’est une atteinte grave à la liberté de décision.
La confidentialité en médiation professionnelle
A titre de comparaison, dans la pratique de la « médiation professionnelle », la confidentialité à laquelle le médiateur professionnel est tenu est sans restriction, puisqu’il ne doit conserver aucun élément de dossier et ce qu’il est amené à entendre ne le fait témoin d’aucune action. Ce qui lui est dit n’étant pas enregistré, il ne saurait rapporter des propos qu’il peut lui-même avoir interprété. Cette posture rigoureuse impose déontologiquement au médiateur professionnel une retenue totale. La confidentialité est ainsi une garantie assurée par le médiateur professionnel, ce qui n’est pas le cas du médiateur OHADA qui copie en cela le médiateur de la législation française.
Entre médiation sous tutelle et médiation pour la liberté de décision
Le choix de l’institution OHADA a pour l’instant été de maintenir la tradition qui consiste à valider le principe de substitution.
…à la requête de la partie la plus diligente, l’accord de médiation peut également être soumis à l’homologation ou à l’exequatur de la juridiction compétente.(Art.16)
Lors des débats à Abidjan en vue de la rédaction de l’Acte Uniforme relatif à la Médiation, des médiateurs professionnels ont pris la parole. Ils ont fait entendre la proposition d’avoir une approche de la médiation promotrice de l’extension de l’exercice de la liberté individuelle. Ils ont tenu à interroger sur le sens de l’intervention de tiers dans la vie de personnes confrontées à des difficultés relationnelles : aider à décider ou décider à leur place ?
Cette fois encore, l’idée de renforcer la liberté n’a pas été retenue, OHADA préférant faire entrer une instrumentation présentant un potentiel dans le moule juridico-judiciaire.
Des progrès à faire pour une médiation au service de la société civile
Un travail pédagogique est encore à effectuer pour faire progresser la reconnaissance des droits fondamentaux favorables à une médiation promotrice de l’altérité et donc fondée aussi sur des rapports de confiance.
L’intérêt de la société civile est de disposer de moyens au service de la liberté de chacun. Or, la médiation telle qu’elle est intégrée pour le moment, n’apporte rien d’autre qu’une instrumentation similaire à celles qui existent déjà. De plus, elle ne fait qu’aligner l’instrumentation juridico-judiciaire sur des conceptions économiques. Sur le plan culturel, adaptée à la vie de notre société, cette médiation n’apporte rien.
La médiation professionnelle, un changement de paradigme
Il faut un changement de paradigme ; c’est ce préconise les médiateurs professionnels. Fort heureusement, le texte OHADA en matière de médiation n’aboutit pas à son objectif d’encadrer la pratique du libre accord.
En réalité, rien ne peut empêcher des personnes de s’entendre. Si ce texte capte une conception de la médiation, la médiation professionnelle lui échappe. Toutefois, il faut reconnaître que pour l’Espace OHADA, ce premier pas vers la médiation témoigne d’une recherche. Peut-être que prochainement, les compétences des médiateurs professionnels seront prises en compte pour faire évoluer les choses.
Une profession, l’éthique et la déontologie comme garanties
[pullquote]La médiation professionnelle : une discipline des relations, promotrice de l’altérité, de la qualité relationnelle et proposant des dispositifs, des processus et des techniques d’ingénierie relationnelle[/pullquote]La médiation professionnelle est le véritable avenir pour changer la représentation de ce qu’est un contentieux, un litige et un conflit. Cette nouvelle discipline est conçue autour de tous les aspects relationnels. Elle permet d’accompagner les personnes et la société civile dans un projet de plein exercice de la liberté de décider, fondée sur l’égalité des droits.
Cette profession montante correspond aux besoins d’une société qui, tout en se mondialisant, a besoin d’être plus à l’écoute de tous ses citoyens. Les citoyens et les entreprises peuvent donc faire appel aux médiateurs professionnels en identifiant les garanties par leur adhésion au Code d’Éthique et de Déontologie des Médiateurs (CODEOME).
Enfin, s’il fallait un dernier point purement stratégique
Depuis plusieurs années, l’OHADA est plutôt figée. Tandis que l’Espace africain est ouvert, un grand nombre de pays ne se sont pas tournés vers l’Organisation d’Harmonisation. Le projet de la médiation professionnelle peut en renouveler la dynamique. L’approche de la liberté de décision et d’accompagnement de projets, tant pour le monde des affaires que pour l’ensemble de la société, peut relancer la motivation pour ce projet centré sur le mieux vivre ensemble.
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- Texte de Acte-Uniforme-sur-la-Mediation