La Médiation, une approche transversale

0
4460

C’était lors d’une conférence à Luxembourg, l’année dernière, même période. La crise politico-sanitaire n’était pas passée par là, mais des mouvements sociaux secouaient de nombreux socles de gouvernance. Le dernier atelier m’a été attribué et sur la centaine de participants venus à Luxembourg, 20 personnes sont venues découvrir les fondamentaux de la nouvelle profession. Lisez ci-après la discussion fondatrice… 

La médiation, entre polysémie et néosémie

D’un point de vue strictement sémantique, la médiation consiste dans l’intervention d’un tiers, rien de plus. Une intervention dans des contextes de transmission d’information, de problématiques diplomatiques, de rôle de messagers, avec ou sans pouvoir de décision. Ainsi, on a pu considérer que le roi Salomon, le Christ, Louis IX sous son chêne ou Napoléon ont été des médiateurs.

Historiquement, la médiation a été utilisée jusque dans la diplomatie moyenâgeuse, et même après sous toutes les formes de dictatures, pour régler les différends entre vassaux. Quand le personnage principal est un délégué des autorités en place, la médiation est une manière de conduire les personnes à prendre des décisions conformes à ce que l’autorité de référence peut accepter.

Un remake américain s’est propagé dans le courant des années 1970 sur la thématique d’économies infrastructurelles, ce qui a donné les Alternatives Disputes Resolution (ADR) arrivées en France en Modes Alternatifs de Règlement des Conflits (MARC). Nommée processus ou procédure, la médiation à l’américaine, combinée avec un discours « gagnant/gagnant », aussi séduisant que l’idée du « self made man », a connu du succès. Telle que les promoteurs institutionnels l’ont initialement imaginée, la médiation a été reprise comme un moyen de répondre à des préoccupations gestionnaires. Définie comme un pis-aller valorisant le mauvais accord face au bon procès, il en a été fait une pratique centrée sur les enjeux et les intérêts. Synonyme de négociation, de conciliation et même d’arbitrage, cette médiation est proposée pour la « modernisation du système judiciaire », reléguant la profession d’avocats civilistes à des rôles de consultants, à moins de se former à la médiation. Celle-ci est tenue dans le carcan des traditions morales, cadrées par les textes de loi et les représentations normatives d’une psychosociologie devenue omniprésente. A ce titre, dans le contexte des conflits, les décisions adoptées en médiation doivent témoigner de l’état de servitude volontaire.

La médiation de la servitude volontaire

Les ADR ou MARC ont donc fait revisiter la régulation des relations, habituellement confiée à l’autorité souveraine du juge. Avec une terminologie adoucie, le postulat de la « servitude volontaire » a été propagé jusque dans les écoles où le vocabulaire de la vassalité a été repris pour faire passer une médiation moralisatrice, la « médiation par les pairs ». La médiation dispensée dans les écoles est façonnée dans le même modèle et il ne fait pas bon de la critiquer, tant ses promoteurs sont satisfaits de leur instrumentation consistant à déléguer à des élèves le rôle qui incombe à des adultes.

Il existe ainsi de nombreuses pratiques de la médiation. Elles reprennent le modèle du Contrat Social, dont le principe est celui de la « servitude volontaire », qui justifie la soumission à des formes d’autorité. Elles se fondent sur le rôle de tiers plus ou moins formé pour rappeler ou faire émerger le référentiel culturel affirmé comme la norme psychosociale, l’acceptation de la règle, voire la résignation au bon sens et au raisonnable, censée faire équité. Toutes ces pratiques sont reconnaissables : elles sont dotées d’un vocabulaire économique qui leur confère une modernité contextuelle : on gère, négocie, vise le gagnant-gagnant, investit, recalcule ses ressources, prévient les risques. Elles restent ancrées dans le modèle traditionnel, avec l’identification du demandeur et du défendeur. Elles préconisent l’accès illusoirement volontaire des personnes en médiation. Mais son succès est catastrophique, puisque des personnes en conflit ne peuvent partager l’aspiration à communiquer ensemble, à moins qu’elles ne soient guère en conflit.

Simultanément, une autre forme de médiation s’est développée : la « médiation professionnelle. » Je l’ai définie en 1999. Elle a été fondée dans le sillage de la culture de la liberté de décision, avec la publication de mon ouvrage « Pratique de la médiation professionnelle », réédité avec une régularité bisannuelle. Pour aller plus loin, j’ai confié en 2019 au même éditeur le « Dictionnaire encyclopédique de la médiation ».  C’est une approche rationnelle. Cette version néosémique de la médiation a introduit des exigences sur le plan éthique et déontologique, avec un Code professionnel, le CODEOME.

La « médiation professionnelle », version néosémique de la médiation

Avec la médiation professionnelle, une nouvelle profession s’est affirmée. Cette profession est celle de l’aide à l’exercice du libre arbitre ; c’est la liberté de décision assistée par un tiers. L’instrumentation est très différente de toutes les autres approches. Elle n’a pas de référentiel d’autorité, sinon l’exigence de l’autorité de compétence en matière d’aide à la réflexion. Elle écarte les conceptions de la morale, les contraintes du droit et la normalisation psychosociologique pour repenser les fondamentaux relationnels, ainsi que la modélisation sociétale. Le vocabulaire n’est pas celui de la gestion et des rapports économique entre les personnes : c’est celui de l’altérité.

Les outils de ces professionnels sont identifiables puisqu’ils sont rationnels : c’est l’ingénierie relationnelle. Dans les situations d’alerte et de conflits, l’intervention du médiateur professionnel consiste moins à rechercher un accord, qu’à promouvoir la définition des projets relationnels. Ici, on ne résout pas les différends dans une recherche sur les enjeux et les intérêts, mais en conduisant une réflexion sur les postures.

Médiations traditionnelles et Médiation Professionnelle

[pullquote]Les praticiens et théoriciens que j’ai écoutés à Luxembourg, ont défini leur conception de la médiation de deux manières :
1. le mi chemin entre la morale et le droit ;
2. et confluence entre le droit et la psychosociologie. C’est donc cela la médiation traditionnelle.[/pullquote]Contrairement aux MARC / ADR, la profession de médiateur ne puise rien dans les traditions confessionnelles, les rappels juridiques, ou les concepts psychosociaux. Tandis que le système judiciaire et les modes d’arbitrage s’appuient sur le droit et les règlements, la médiation professionnelle est outillé par l’ingénierie relationnelle.

C’est dans ce cheminement de la pensée et des pratiques que la médiation professionnelle interroge l’exercice de l’autorité. Elle interfère autant sur le système de décision judiciaire que sur celui de la décision managériale et politique. Elle est une incitation permanente à la participation au projet. Elle prend le pas sur le paradigme de la morale et du droit – qui a longtemps été le seul à avoir un référentiel régulateur de la vie social – et ouvre la voie à un nouveau paradigme, celui de l’Entente et de l’Entente Sociale. Elle sort des habitudes de pensée et, dans la logique de la reconnaissance des droits fondamentaux de tous les humains, elle préconise l’instauration du Droit à la médiation.

Le Droit à la médiation

Le caractère néosémique de la « médiation professionnelle » se trouve également dans la revendication de la reconnaissance du « droit à la médiation », lequel doit primer sur celui de l’accès au système judiciaire.

Pendant des années, personne ne voulait entendre parler de la médiation obligatoire, et personne n’imaginait le droit à la médiation. Lorsque j’ai proposé de rendre la médiation obligatoire, au nom de l’évidence que la médiation, sous la forme néosémique présentée ici,  promeut la libre décision assistée par un tiers, ce fut une levée de bouclier. Les unes ont écrit « Oh, liberté, liberté chérie », les autres, ont dénoncé un «paradoxe », en insistant sur la possibilité – elle paradoxale – que les personnes doivent conserver d’aller se soumettre à la décision d’un juge. Ce nouveau paradigme n’est en effet pas facile à intégrer, pas plus que les techniques et la posture de distanciation.

[pullquote]Le site du Manifeste de la Profession de Médiateur, charte et revendication[/pullquote]Depuis 2010, le Droit à la médiation est contenu dans un manifeste. Il est soutenu par l’obligation de participer au processus structuré de la Médiation Professionnelle. Il soutient la liberté de décision, laquelle est fondamentale pour tout ce qui concerne l’exercice de la liberté dans son entièreté.

Ainsi, la Médiation Professionnelle ouvre la voie de la profession du 21ème siècle. Et les Médiateurs Professionnels sont les promoteurs, non pas de la « gestion des conflits » et des rapports d’adversité, mais de la « qualité relationnelle ». Leur paradigme de référence, dehors du « contrat social », est l’Entente Sociale, par l’extension de l’exercice de la liberté de décision et de l’altérité.

Article précédentConflits à tous les étages, que faire ?
Article suivantMétaphore du lâcher-prise
Jean-Louis Lascoux
"Je prends de l’avance sur les générations futures." Chercheur en Ingénierie relationnelle et médiation professionnelle - CREISIR. Directeur de publication de L'Officiel de la Médiation, initiateur de la Médiation Professionnelle et du droit à la médiation, auteur de "Pratique de la médiation professionnelle" (ESF Sciences Humaines), du Dictionnaire de la Médiation (ESF sciences Humaines), de "Et tu deviendras médiateur et peut-être philosophe" (Médiateurs Ed.), Président de l'EPMN. "... La vie ne m’a pas déçu ! Je la trouve au contraire d’année en année plus riche, plus désirable et plus mystérieuse..." Friedrich Nietzsche, Le gai savoir, aphorisme 324, 1882