L’Avare, quelques belles lettres pour la médiation professionnelle

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A revoir des classiques du théâtre, il est possible de trouver nombre d’éléments bien mis en évidence sur les rapports conflictuels. La première pièce qui m’ait inspiré pour en faire une étude a été Le Misanthrope, pour les stratégies et interactions en communication très caractéristiques chez Célimène et Alceste. C’était il y a plus de vingt ans, en 1989. Leurs dialogues montrent combien la raison patauge dans l’univers dominant des sentiments amoureux.

Sur d’autres registres, la comédie met en scène les maladresses humaines, les sentiments de légitimité et la bonne intention égocentrée. Cette fois ci, je prendrai L’avare, et plus précisément la scène où intervient Maître Jacques, visible à 1h22:18, pour illustrer mon propos. Mais pour bien comprendre, je vous invite à (re)voir cette pièce.

Maître Jacques présentait-il des prédispositions de médiateur professionnel ?

Sur le terrain de la médiation professionnelle et des méthodes connexes visant la résolution d’un différend, la scène entre Arpagon, Cléante et Maître Jacques est une source d’observation. Arpagon en appel à maître Jacques. Ce dernier est sollicité moins pour juger l’affaire que pour faire jouer de sa raison et conduire, dans l’idée d’Arpagon, le fils à la raison, et dans l’idée de Cléante, le père à la raison… Sollicité plus pour juger de l’affaire que pour juger l’affaire, le voilà quasi-médiateur…

Nous sommes loin des interprétations nosographiques de la psychologie. La grille de lecture utilisée est celle que j’ai initiée pour la discipline de la médiation professionnelle. Celle-ci permet d’aborder les relations dans une perspectives d’amélioration, de reconnaissance de la maladresse humaine, des lois qui créent l’évidence en soi, telles la recherche d’équilibre relationnelle, la cohérence et la satisfaction de nos besoins.

La méthode de Maître Jacques, l’art de se promouvoir médiateur sur désignation d’une autorité

Voici donc maître Jacques qui se meut spontanément en porte parole. Il suffisait de le solliciter. Puis, le voilà ambassadeur. Son rôle se démultiplie et il devient conciliateur. Confronté à d’urgence d’aboutir, il bricole avec la raison et il devient réconciliateur. Ne s’en tenant qu’à l’idée de conduire les deux protagonistes à l’entente, il s’enferme dans sa stratégie et néglige l’essentiel. Mais sa pratique est faite d’une lucidité certaine sur ce qui pouvait très bien apaiser les deux protagonistes. Son art du langage, sa maîtrise de la nuance, sa subtilité sur la contradiction, autant d’atouts qui auraient pu lui permettre d’apaiser les deux passionnés. Ne lui manquait-il pas la volonté de l’auteur de ne pas le séquestrer lui-même dans un rôle faquin ?

L’échec de sa mission ne semble pas lui apparaître. Il a considéré comme négligeable ce qui était au coeur du différend : la charmante Marianne. Il sera appelé à témoigner, puis deviendra coupable de son incompétence, bouc émissaire, il risquera la condamnation, otage finalement sauvé par quelques menues monnaies lancées pour corrompre…

La médiation professionnelle pouvait déjà trouver là quelques lettres… voir la scène à 1h22:18

A y regarder d’un peu plus prêt, on peut identifier un système qui prévaut encore de nos jours dans les interventions de tiers pour essayer, je dis bien essayer, de résoudre un conflit. L’autorité de fonction ou de situation désigne un tiers style « bon office », lui donne ses lettres de médiation ou d’arbitrage, l’autre partie accepte la proposition, et le tiers officie. Son défie est de trouver une issue, quand il estime l’avoir trouvée, pourvue qu’elle ne déplaise pas vraiment à l’autorité, il cherche à la faire accepter. Souvent c’est un artifice et le feu n’est pas loin de reprendre. La séquence montre bien ce qu’il advient la plupart du temps de cette méthode à la Maître Jacques…