Différends avec une administration, médiation obligatoire ou pas ?

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Le principe de l’organisation administrative est d’avoir une réponse et une seule à une problématique. Cette position de principe en a généré une autre : faire corps face à l’adversité. La critique qui a découlé est la déshumanisation administrative. De fait, un différend entre un fonctionnaire et un administré, devient un différend entre l’administration et l’administré. L’écran administratif est levé et un long chemin de la réclamation s’ouvre devant l’administré pour faire reconnaître un droit, obtenir un document, ou faire entendre une réclamation pour faire corriger une erreur d’un autre fonctionnaire, erreur attribuée à l’administration, la chose s’alourdissant de manière démesurée.

Avec la juridicisation de la médiation, c’est une voie vers la liberté qui risque d’être bloquée

Et la médiation s’est glissée dans le monde administratif. Récemment, le vice président du Conseil d’Etat a ouvert le 17 juin dernier un colloque consacré à l’émergence de la médiation dans l’environnement administratif. Il a fait observer qu’une modification des textes était nécessaire, celle de l’article L211-4 du Code de justice administrative, la conciliation étant le seul mode prévu par la loi dans ce contexte. Cette prudence fonctionnelle ne doit pas masquer que la discussion est en réalité toujours ouverte, mais démontre que les gens de loi ont besoin de textes pour donner une réalité à ce qui en a pourtant déjà.

Faut-il un texte pour discuter avec quelqu’un avec lequel on ne s’entend plus ? Le monde juridique pourrait bien nous amener à le croire….

Dans ce contexte, il pourrait sembler que le droit reste le seul moyen de sortir du différend. Professeur(e)s de droit, avocats, et magistrats pourraient bien sembler faire corps pour prétendre que le règlement amiable ne peut se faire qu’à l’ombre du juge. Mais n’est-ce pas masquer ici le simple constat qu’un différend habituellement présenté comme lié à un dysfonctionnement éventuel de l’administration ne soit qu’une conséquence d’une mésentente humaine ? Cette nouvelle forme de médiation, si elle devait être mise en place, ne serait-elle pas une pommade sur une jambe de bois ?

La médiation professionnelle est une affaire de la société civile, pas de l’appareil judiciaire

Il convient de rappeler, toujours, que la médiation n’est pas une affaire judiciaire, pas plus que juridique. La médiation est une pratique de la société civile et sa professionnalisation est aussi une émergence de la société civile. Christiane Taubira, ministre de la justice, a repris le 9 juin 2015 l’une de mes observations rappelant dans cet esprit que la médiation ne devait pas être considérée comme un pis-aller de la déjudiciarisation, mais qu’au contraire le système autoritaire doit être considéré comme tel, parce qu’il crée une soumission dont la nature est contraire à l’exercice de la liberté prévue par la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen.

La médiation n’est pas un moyen pour désengorger les tribunaux, c’est une pratique au service des personnes, avant même qu’elles soient considérées comme des justiciables. Mais il est aussi tout à fait exact qu’il existe bien deux manière de voir et de pratiquer la médiation, l’une pour faire en sorte que les gens se conforment, l’autre qu’ils réfléchissent. On peut voir la différence en terme de résultats, d’efficacité et de fiabilité des interventions des médiateurs, des projets qui en ressortent et des accords passés. C’est une discussion sur le sens de la citoyenneté, un écart profond entre idéologie et philosophie.

Dans tous les cas, la médiation est une autre approche de la relation administration/administré. Le ministère qui apparaît le plus novateur pourrait bien être celui dont on attendait le moins cette dimension, celui de l’intérieur, où le médiateur de la police nationale Frédéric Lauze s’est impliqué dans une démarche reconnue unanimement pour sa recherche d’amélioration de la qualité relationnelle et des fondamentaux liés à l’exercice de la police dans la cité.

Il faut cependant encore du temps pour que se propage cette autre conception de la médiation, dans ce champ administratif et très juridicisé, qui laisse une place réelle à la confiance, à l’altérité et au libre arbitre, afin que les médiateurs, des médiateurs professionnels, sortent de cette mise sous tutelle et qu’ils fassent effectivement partie d’une profession reconnue indépendante, neutre et impartiale.