Management : le gestionnaire de conflits et le médiateur professionnel

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La Revue Management de septembre 2015 ZK3OOma consacré un dossier sur le travail d’équipe et la question des conflits a été traitée sous l’angle de la gestion. Sylvie Ruin, médiateure professionnelle, a lu pour nous le texte qui véhicule des conceptions, des positionnements et des modes d’intervention très différents de la profession des médiateurs professionnels. Même si le manager est supposé avoir « l’esprit médiateur »…

[pullquote]La médiation est une profession et non une mission…[/pullquote]

On y lit que « le manager doit savoir jouer le rôle de médiateur ». Jusque-là, rien de très discutable : le point de vue semble légitime (on connait le manager « chef d’orchestre », « animateur », « négociateur »,….alors pourquoi pas médiateur !) ; les intentions paraissent bonnes (les managers cherchent à développer des relations pacifiées dans leurs équipes) ; la formulation est cependant un peu maladroite en rendant accessoire le sujet et en laissant sous-entendre qu’un médiateur ne joue qu’un rôle. Le médiateur professionnel défendra lui fermement le principe de la professionnalisation du métier : la médiation est une profession et non une mission qui s’ajoute à d’autres missions. Le médiateur professionnel n’est pas un manager multi-cartes qui serait inspiré des bons principes de la médiation.

Il s’agit là d’une différence majeure entre le manager « à l’esprit-médiateur » et le médiateur professionnel : ce dernier a pour cœur de métier la médiation ; il doit être titulaire d’un CAP’M, être membre de la Chambre professionnelle de la médiation et négociation et respecter un Code éthique : le Code d’éthique et de déontologie des médiateurs professionnels. Poursuivons la lecture … « le manager-médiateur … est un expert de la gestion des désaccords ». Le médiateur professionnel affichera là aussi sa différence en particulier sur deux points. En premier lieu, il n’est pas question, pour le médiateur professionnel, de gérer des conflits. Il se donne les moyens de les solutionner.

[pullquote]Les référentiels du gestionnaire de conflits ne sont pas ceux du médiateur professionnel.[/pullquote]

Postures et techniques du promoteur de la qualité relationnelle et celles du gestionnaire des conflits D’autre part, il ne se prétend pas spécialiste du conflit mais plutôt expert de la qualité relationnelle. Le conflit n’est pas l’objet sur lequel il travaille. Les éléments affectifs et émotionnels qui ont teinté négativement la relation entre les parties sont sa matière première. Plusieurs de ces éléments ont contribué à dégrader la relation : prêts d’intentions négatives, jugements et interprétations, dynamiques contraignantes.

Il faut noter que le manager–médiateur et le médiateur professionnel analysent, avec un référentiel différent, le processus qui amène au conflit. L’un, plus manager que médiateur, y verra essentiellement « le symptôme d’un dysfonctionnement de l’organisation », de la ligne hiérarchique, du processus de management, … ; l’autre, médiateur professionnel, y percevra les conséquences d’une dégradation relationnelle, rarement conscientisée par les parties (analyse des faits, conséquences, ressentis). Le médiateur professionnel portera son attention en premier lieu sur le volet émotionnel du différend, là où le manager-médiateur aura la tentation de ne retenir que les volets techniques et/ou juridiques.

Passons à présent à la boîte à outils, autrement dit les techniques du médiateur. Selon l’article, le manager – médiateur disposerait en particulier de 3 postures présentées comme des techniques de gestion d’un conflit et qui en feraient une condition de réussite :
« Incarner l’exemplarité…Moduler le timbre de sa voix…Bâtir un rapport de force.»

[pullquote]La morale, le bon sens, le droit pas plus que le règlement intérieur ne font partie des ressources du médiateur professionnel.[/pullquote]

En premier lieu, on ne peut que pressentir (et forcément regretter) la place béante laissée à l’improvisation dans ce jeu de rôle attribué au manager-médiateur : le manager-médiateur jouerait donc dans la cour des improvisateurs en « agitant » son propre référentiel, autrement dit celui qu’il considèrerait comme le « bon » et à reproduire. L’esprit de médiation qu’incarnerait le manager le conduirait à devoir être un exemple aux yeux de ses collaborateurs. Cette exemplarité de comportement contribuerait à générer ou au contraire à éviter les conflits. Au travers des exemples cités dans l’article, il apparaît que cette exemplarité viserait notamment à illustrer les valeurs du travail, de l’engagement et de l’implication. Ces valeurs sont légitimes du point de vue du manager mais empêchent, de sa part, toute neutralité et impartialité dans la perception des comportements et actes des collaborateurs qui l’entourent puisque ces comportements sont nécessairement appréciés au vu d’un référentiel établi.

On ne peut s’empêcher d’y percevoir une approche très intuitive voire moraliste de la mission du manager-médiateur : il s’agirait pour lui de montrer ce qui est bien (par opposition à ce qui est mal), de donner de soi (on est proche du sacrifice) pour montrer la voie aux autres. Si cette posture est légitime côté manager, on est loin de la neutralité, de l’impartialité et de l’indépendance qui guident le médiateur professionnel dans son métier.

Que penser également de la théorie développée par l’auteur de l’article selon laquelle le timbre de la voix du manager-médiateur constituerait une technique clé de la médiation : la voix exercerait une influence d’autant plus pacificatrice qu’elle serait masculine et grave. Une voix grave favoriserait, selon des études présentées comme très sérieuses, les émotions positives des parties au dialogue.

Cette approche fait réfléchir le médiateur professionnel car l’objectif de la médiation est autre : le médiateur professionnel ne cherche pas l’adhésion des parties, encore moins par la voie de l’émotionnel qui passerait par un timbre de voix apaisant, rassurant, enveloppant ou convaincant…. Le médiateur professionnel entend développer le raisonnement chez les parties en conflit. Il met en place une démarche implicative par laquelle les parties, à partir d’une relation de confiance établie, vont développer leur réflexion et avoir un regard de conscience sur elles-mêmes, sur les émotions qui les ont enfermées dans leur différend. C’est en cela qu’il pratique l’altéro-centrage. Il met en évidence les contradictions exprimées par chaque partie pour organiser le lâcher-prise et la recherche d’autres solutions possibles, mais jusque-là inimaginables.

Par ailleurs, la méthodologie (ou instrumentation) mise en place par le médiateur professionnel est toute différente de l’outillage de 1er secours du manager-médiateur. La technique professionnelle du médiateur repose en premier lieu sur le rétablissement de la relation de reconnaissance et de confiance (PIC +) avec les parties. Là où le manager pratique aisément l’empathie (l’écoute active et la reformulation y contribuant), voire la sympathie ou complicité avec ses collaborateurs, le médiateur professionnel, parce qu’il a cette impartialité, cette neutralité et cette indépendance qu’il respecte, pratiquera exclusivement l’altéro-centrage par un exercice sémantique et rhétorique rigoureux. Enfin, le manager-médiateur, comme le rappelle l’article pré-cité, est souvent tenu, par sa position hiérarchique, d’entretenir un rapport de force avec ses collaborateurs : l’auteur de l’article va jusqu’à poser l’hypothèse que « cultiver l’adversité contribuerait à pacifier les relations ». Le médiateur professionnel œuvre lui dans le sens de l’altérité pour solutionner les différends: au lieu d’opposer les parties, il les accompagne pour la reconnaissance de leurs différences. Il aide les parties à comprendre ce qui les oppose et à dépasser les émotions qui empêchent une approche raisonnée du problème à traiter. Au final, que retenir de cet article ?

[pullquote]Postures et techniques du promoteur de la qualité relationnelle et celles du gestionnaire des conflits.[/pullquote]

En premier lieu que le manager a légitimement l’esprit « médiateur » comme il est souvent assimilé à un chef d’orchestre …mais sans connaissance musicale ni partition : il a l’idée de la pacification des relations, comme un manager-chef d’orchestre a l’idée de l’harmonie. Si la médiation comme l’orchestration peut contribuer à l’acte managérial, ne nous y trompons pas ! L’acte professionnel de médiation au sein des organisations constitue une nouvelle responsabilité de l’entreprise qui doit permettre de combiner Qualité relationnelle et Performance dans le respect de l’autonomie et de la liberté des collaborateurs. Le « bon exemple », la « trousse de 1er secours » et le « rapport d’autorité » n’y suffisent pas : la médiation professionnalisée qui vise la qualité relationnelle entre les parties, qu’elle soit préventive ou corrective, ne peut s’exercer dans l’improvisation et au nom du bon sens et des bonnes intentions qui sont habituellement celles du manager. C’est probablement aller au-devant de beaucoup de maladresses.

[pullquote]Dispositif de Médiation Professionnelle Internalisé.[/pullquote]

Le défi des organisations est bien de remettre l’homme au cœur de la relation en développant une nouvelle compétence : celle de la qualité relationnelle. C’est cette compétence qui contribuera à donner du sens à la cohésion d’équipe, à sa motivation et au final au sens du projet. A minima, les managers doivent être sensibilisés aux outils de la qualité relationnelle. Idéalement, les organisations doivent généraliser des dispositifs de médiation professionnelle interne.

Le D.M.P.I (Dispositif de Médiation Professionnelle Internalisé) est une solution apportée par le réseau des médiateurs professionnels. Le médiateur professionnel devient alors dans ce contexte un nouveau professionnel au service des organisations et de leur développement.